La Chronique Agora

L’hypocrisie règne autour des banques centrales (2/2)

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Les banques centrales et l’ensemble de la communauté financière ont longtemps favorisé la préférence pour le présent. Abandonner ce principe pourrait être le déclencheur d’une crise systémique.

Comme nous l’avons vu hier, de nouvelles critiques des banques centrales ont émergé récemment. Sur certains points similaires à celles que nous émettons depuis 2009, elles le sont par des économistes, dirigeants politiques ou leaders financiers qui, précédemment, étaient très contents des politiques menées, de l’émission monétaire sans limite. Ces critiques sont justes, mais ne vont pas assez loin.

Nous n’avons cessé d’alerter nos lecteurs à notre « modeste » niveau sur les trois dangers suivants :

Ces trois dangers que beaucoup occultaient ou considéraient comme hypothétiques et potentiels sont devenus bien réels.

Trois illustrations

Pendant longtemps, les banques centrales et l’ensemble de la communauté financière ont favorisé outrancièrement la préférence pour le présent. C’est « malheureusement » le mode de fonctionnement par excellence de l’économie moderne (agents économiques privés, état) en général et des marchés financiers en particulier.

Dès lors que cette préférence pour le présent est remise en cause, la financiarisation de l’économie va connaître une crise profonde.

Je vous propose trois illustrations de cette préférence pour le présent, et comment elle a changé le fonctionnement de nos économies pour le pire.

Première illustration de préférence pour le présent : les banques centrales dites modernes qui transmettent leurs spécificités, privilèges et habitudes à l’ensemble des acteurs de l’économie privée et publique.

Parmi les spécificités d’une banque centrale, il existe le non-remboursement de la dette émise. En créant de la monnaie, la banque centrale émet une dette sur elle-même qui est non exigible, en tout cas tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve.

On imagine mal qu’il en soit autrement dans une économie moderne. Eh bien, les quantitative easing ont déresponsabilisé des Etats dépensiers, qui sont désormais bien loin de penser aux remboursements de leurs émissions de dettes publiques. Ils se disent que, finalement, ces dettes finiront bien par être restructurées, ou seront purement et simplement monétisées, donc transformées en monnaie émise par la banque centrale.

Après tout, les banques centrales étant « nationalisées », la dette publique est donc de plus en plus auto-détenue et donc de moins en moins exigible. Dès lors, le surendettement public serait devenu un faux problème.

Mais attention, si le risque de crise des dettes publiques est devenu « inexistant » pour la partie détenue par les banques centrales, il refait surface pour la partie de la dette publique détenue par les créanciers privés. Et la situation empire dans un contexte d’arrêt des rachats de dettes publiques par la banque centrale et de remontée des taux nominaux (même si cela ne se voit pas trop pour l’instant, avec des taux longs réels qui restent très négatifs).

Les valorisations ignorées

La deuxième illustration est l’indifférence aux valorisations de marché.

En effet, une autre spécificité de la banque centrale est qu’elle reste relativement indifférente au mark-to-market (valorisation « au marché ») des actifs qu’elle possède, car elle n’est pas liée par les règles comptables qui s’imposent aux banques commerciales.

Cela signifie qu’il n’y a pas de stress et de pression à se recapitaliser, contrairement à une banque normale en situation de baisse des fonds propres provoquée par des moins-values, qu’elles soient latentes ou réalisées sur certains actifs détenus.

Les marchés et investisseurs se sont également progressivement installés dans cette logique d’indifférence vis-à-vis du prix auquel sont rentrés en portefeuille les actifs et vis-à-vis de leur variation de valorisation. Pour une raison simple : ils se sentent protégé par ce que l’on a appelé les « puts » successifs des banquiers centraux, de Greenspan (c’est vieux) à Powell et Lagarde en passant par Bernanke ou Yellen.

Le « put », c’est (sans doute faudra-t-il dire « c’était ») une assurance implicite mais inconditionnelle de la banque centrale, une sorte de promesse que celle-ci interviendra dans des contextes de stress sur les marchés financiers. Et cela soit par des mesures conventionnelles de baisse des taux directeurs, soit par des mesures non conventionnelles d’injections exceptionnelles de liquidités ou encore très non conventionnelles d’achat d’actifs privés et/ou publics. Toutes choses qui auront pour impact de faire remonter le prix de tous les actifs financiers, quels que soient leurs fondamentaux.

Alors oui, de temps à autre, des bulles d’actifs financiers éclataient à l’occasion d’événements extra-économiques qui mettaient en lumière l’insoutenabilité de leurs valorisations. Cependant, ces anciennes bulles finissaient par se reformer rapidement, puisque la crise née de l’éclatement de ces bulles réactivait le put du banquier central.

Aujourd’hui, ce put semble avoir disparu… ou, s’il existe encore implicitement, ici ou là, son niveau s’est considérablement déplacé. En d’autres termes, il nécessiterait l’intervention sous une forme ou sous une autre d’une banque de centrale seulement si les niveaux de taux longs étaient bien plus élevés qu’aujourd’hui, ou les indices boursiers bien plus bas).

Pour l’heure, la préférence pour le présent est là aussi remise en cause pour des investisseurs qui suivent de plus près l’évolution du stock de plus-values latentes sur leurs portefeuilles obligataires dans une configuration de hausse des taux longs sans intervention à attendre d’une banque centrale.

Un sentiment d’impunité

Troisième illustration de la préférence pour le présent : les banques centrales avaient développé et renforcé un sentiment d’impunité chez les investisseurs.

Les marchés ont vécu entre 2009 et 2021 avec de confortables rentes de situation. C’est un peu comme si l’investisseur achetait des produits financiers structurés avec le rendement assuré et bonifié sur la période de court terme, et les risques transférés dans le futur (à la collectivité par un bail-out, ou à un établissement qui reprendrait les actifs en cas de scénario catastrophe).

Combien de fois a-t-on entendu dire que, si les choses se compliquaient sérieusement sur les marchés, il y aurait toujours un acheteur ou prêteur en dernier ressort ?

Comment être crédible, si ceux qui prennent des décisions stupides et dangereuses ne tirent jamais les conséquences de leurs erreurs ? Il faudrait pourtant punir toute erreur (disons toute erreur systématiquement répétée) et récompenser tout effort. Ce n’est que de cette façon qu’un système économique peut fonctionner de manière juste et efficace.

Quoi qu’il en soit, ce sentiment d’impunité est en train de se situer bien derrière nous, et il faudra du temps pour que les banques centrales retrouvent une vraie crédibilité anti-inflationniste.

Il est toutefois trop facile de demander aux marchés d’exiger le retour de cette crédibilité, alors même que ceux-ci ont réclamé sans relâche aux banques centrales d’injecter de la liquidité en quantité illimitée pour lutter contre les risques de déflation.

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