La question des retraites des fonctionnaires masque un énorme passif de l’État. S’il remontait à la surface, les investisseurs en dette publique française pourraient s’effaroucher.
Au programme d’aujourd’hui, les régimes spéciaux des retraites. Vous n’êtes pas intéressé, vous ne vous sentez pas concerné ? Vous devriez, même si vous n’êtes pas proche de la retraite et même si vous avez compris qu’il n’y aurait pas grand-chose à attendre de l’État pour vos vieux jours.
Cette réforme est de la dynamite qui pourrait créer une explosion de la dette publique française.
Côté ragots et potins, sachez que sur les 5,5 millions de fonctionnaires, 765 000 sont classés en « catégorie active » (1). Je n’ai pas trouvé l’intitulé officiel du classement des 4 735 000 personnes qui n’appartiennent pas à cette « catégorie active ». Une collègue me propose « catégorie végétative », ce qui avouez-le donne un petit côté vegan et branchouille.
S’intéresser aux régimes spéciaux, c’est déjà s’intéresser aux cas particuliers d’un cas lui même particulier car les retraites des fonctionnaires sont hors champ du « régime général ».
« Le montant moyen des pensions versées dans la fonction publique d’État est plus de deux fois supérieur aux pensions versées dans le secteur privé par le régime général. Hors retraites complémentaires, il est même équivalent au triple de la moyenne. Surtout, le taux de remplacement pour les cadres dirigeants est supérieur dans la fonction publique d’État à ce qu‘il est dans le secteur privé. Autrement dit, le système de pensions civiles est beaucoup plus favorable que le système privé pour les niveaux hiérarchiques les plus élevés et son maintien en tant que tel s’explique largement par ces caractéristiques »
Eric Verhaeghe (2)
Nous touchons ici au cœur de ce que j’appelle la parasitocratie : des privilèges permettent à certains d’échapper au régime de droit commun — et les mêmes forgent les règles et les lois leur accordant ces passe-droit.
Privilèges et tours de passe-passe de comptabilité publique
Ce n’est pas tout… Eric Verhaghe, toujours :
« Certains s’interrogeront peut-être sur la soutenabilité financière d’un dispositif aussi avantageux. La réponse est simple. Le système n’est pas soutenable et il est épongé chaque année par le contribuable qui paie au moins deux fois pour les retraites : une fois pour la sienne et une fois pour celle des fonctionnaires. Dans son intelligence prédatrice, la technostructure (3) a en effet isolé la dépense des pensions civiles dans un compte d’affectation appelé ‘CAS Pensions’ inscrit au budget de l’État, dont les recettes fluctuent au gré des besoins pour donner l’illusion d’un équilibre des comptes. Dans la pratique, ce système revient à piocher librement dans la poche du contribuable pour préserver un système de retraite spécifique fortement déficitaire, mais artificiellement équilibré par une réglementation budgétaire trompeuse. »
En d’autres termes, il s’agit d’une magouille de comptabilité publique à laquelle les auditeurs de la Cour des comptes (catégorie active ou végétative ?) ne trouvent évidemment pas grand-chose à redire.
Pourtant, le déficit de ce régime qui couvre cinq millions de retraité est supérieur au déficit du régime général qui couvre 13 millions de retraités. Les « catégories actives » de la SNCF, d’EDF Engie et de la RATP nous coûtent 5,1 Mds€ (4).
Donc, même sans avoir fait l’ENA ou avoir un diplôme de comptabilité, vous comprenez que si les deux régimes fusionnent, à la louche, le déficit des retraites double.
Nous parlons au total d’environ 11 Mds€ officiellement déclarés. Cela peut vous paraître une larmichette dans un océan de déficits et de dette publique. Pour mémoire, le déficit 2019 était prévu à 98,7 Mds€ en septembre 2018. Il n’incorpore pas les promesses « gilets jaunes » d’Emmanuel Macron, qui a distribué 10 Mds€ en 10 minutes d’allocations dans son fameux discours de décembre.
Le côté obscur du « hors-bilan »
En réalité, les retraites de la fonction publique font partie du « hors-bilan », la partie encore plus obscure et rébarbative de nos finances publiques à laquelle bien peu de monde s’intéresse. Laissons parler l’un de ses rares spécialistes, l’économiste Jean-Yves Archer (5):
« La dette hors bilan désigne un engagement, une garantie ou une activité de financement ne figurant pas au bilan de l’Etat. Inférieure à 1 000 Mds€ en 2005 lors de la remise du rapport de Michel Pébereau (président d’honneur de BNP Paribas), elle s’élevait à 3 900 Mds€ en 2017. Sa dynamique est avérée dans la mesure où le chiffre a quadruplé en 12 ans.
[…]
Je considère, comme d’autres économistes, que la dette nationale représente 270% du PIB (99% de dette au sens de Maastricht et 171% de dette hors-bilan au sens des normes IFRS et IPSAS) et que seule l’épargne citoyenne serait en mesure de faire face à une fracture débitrice majeure.
[…]
Les engagements hors-bilan, en France, regroupent pour plus de la moitié de leurs montants les futures pensions des retraités de la fonction publique. Or ce poste ne cesse de déraper du fait de la démographie et représente ainsi une sorte de mine dérivante à hauteur de 2 450 milliards (dont 2 200 pour les seuls fonctionnaires d’Etat). »
Pour le moment, la dette française trouve suffisamment d’acheteurs étrangers et la Banque centrale européenne continue à manipuler les taux à la baisse.
Nul ne peut prédire quand cette cavalerie va finir par susciter la défiance, quelle est la goutte d’eau qui va déclencher la fuite des créditeurs complaisants. Mais il va falloir un jour admettre que les dettes passées, le passif au bilan ou hors-bilan, ne sera pas payé.
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(1) Un fonctionnaire qui appartient à la « catégorie active » occupe une fonction jugée « pénible » et peut jouir d’une retraite anticipée, parfois dès 52 ans.
(2) Ne t’aide pas et l’État t’aidera, éditions du Rocher
(3) Vocable propre à l’auteur pour désigner les fonctionnaires parasitocrates
(4) Le Figaro du mercredi 13 mars 2019
(5) https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0302335834469-dette-hors-bilan-attention-danger-2209876.php