La Chronique Agora

Hausse des taux, de l’inflation, des profits, des Bourses…

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De plus gros chiffres signifient probablement que tout va bien chez monsieur le Marché… Certainement pas qu’un effet d’aubaine a pu jouer mais va disparaître d’ici peu.

Allez, pour se mettre dans l’ambiance alors que l’Euro Stoxx 50 vient de boucler sa 22e semaine de hausse (avec un nouveau record absolu de clôture hebdomadaire), et que le CAC 40 en attaque une 23e par un nouveau record absolu à 7 390 points (soutenu par le secteur du luxe), voici la dernière déclaration de Christine Lagarde ce week-end :

« L’inflation va rester élevée dans l’UE, et une nouvelle hausse des taux de 50 points sera probable. »

La patronne de la BCE complétait alors un constat dévoilé 48 heures plus tôt :

« La décrue de l’inflation est irrégulière. La politique de fermeté sur les taux doit être poursuivie. »

Les spécialistes en sont bien convaincus. Le rendement de nos OAT et des Bunds allemands a lui aussi battu un record de 12 ans ce vendredi 3 mars (à 3,22% et 2,75% respectivement) et les anticipations de « taux finaux » pour la BCE sont actuellement supérieurs d’environ 40 points de base aux niveaux anticipés fin novembre 2022.

Le rendement des OAT a bondi de son côté de 75 points en tout juste quatre semaines, et même 100 points depuis le 1er décembre… tandis que le CAC 40 a pris 300 points en un mois et 10% depuis le 30 novembre.

Jamais un tel parallélisme entre la hausse des taux longs (et courts) et les indices boursiers n’a été observée. C’est classiquement une relation inverse qui se matérialise, puisque lorsque le rendement « sans risque » s’accroît, la valeur des actifs à rendement variable chute symétriquement.

Pronostics déjoués

Ce paradoxe fascine désormais toute la communauté financière, et personne n’ose formuler d’explication de peur d’avoir raté « l’éléphant au milieu de la pièce ».

Certains se risquent tout de même à invoquer l’inflation, qui gonfle le chiffre d’affaires des entreprises (et pas seulement de celles produisant des biens de première nécessité), mais aussi – et cela déjoue la plupart des pronostics – leurs bénéfices.

Pas de surprise naturellement pour Total Energies, LVMH ou BNP Paribas. En revanche, c’est le cas pour Stellantis, dont le nombre de véhicules vendus a reculé de 8%, mais dont les 16,8 Mds€ de profits ont largement déjoué les pronostics les plus optimistes. Il s’agit d’une hausse de 26%, après une année 2021 à plus de 13 Mds€ de bénéfices, malgré des ventes en stagnation par rapport à 2020 et en chute de 20% par rapport à 2019.

Avec le manque chronique de composants, Stellantis ne livre plus que des véhicules « premium » et fait une croix sur les modèles d’entrée de gamme (y compris pour sa marque Fiat). Tant pis pour la clientèle à petit budget… elle ne permettait pas de doper les marges.

D’ailleurs, les véhicules électriques qui coûtent 2 fois plus cher qu’un véhicule thermique pour une autonomie 3 fois plus faible ne s’adressent qu’aux 20% de la population la plus riche (et Tesla, Audi, BMW, Volvo, Mercedes… aux 10% les plus aisés).

De même, Saint-Gobain voit s’effondrer son chiffre d’affaires dans le neuf (chute de 31% des ventes de logements individuels et de 16% des appartements), mais se rattrape avec la rénovation et les travaux visant à améliorer la performance énergétique (activité subventionnée par l’Etat).

Pour résumer, les entreprises ont surfé en 2022 sur les « effets d’aubaine », en exploitant une clientèle n’ayant pas encore épuisé les excès d’épargne accumulés grâce au « quoi qu’il en coûte » de 2020 et 2021.

L’inflation est rentrée dans la consommation

Pour les classes les plus modestes, il ne reste plus rien de cette épargne. (D’ailleurs, les grandes enseignes fétiches de ces catégories sociales ces 30 dernières années déposent le bilan les unes après les autres depuis quelques mois.) Tout est parti depuis longtemps dans la nourriture dont les prix flambent au rythme de 15% par an, le carburant et le chauffage… mais ceux qui parviennent encore à consommer à crédit procèdent à des achats d’anticipation, convaincus que la valse des étiquettes ne fait que commencer.

Ce n’est ni plus ni moins qu’une forme de fuite en avant : les différentes strates de consommateurs ont intégré un scénario d’inflation durable et de taux qui seront de plus en plus élevés au fil des mois et dépensent tout ce qu’ils peuvent se permettre en fonction de leurs moyens.

Et le jour où les taux se remettront à baisser, alors ils adopteront la stratégie inverse : inutile de se précipiter puisque les conditions de crédit vont s’améliorer avec le temps… et autant épargner le plus possible, tant que les taux sont encore élevés.

Sur les marchés, il semble également que les investisseurs aient choisi la fuite en avant : la logique financière est totalement inversée. La montée des risques ne conduit pas à la fuite devant le risque, ils sont au contraire recherchés !

Le « non-risque » est pourtant de mieux en mieux rémunéré, mais les gérants se comportent comme s’il était toujours bradé, voire en négatif. D’ailleurs, d’une certaine façon, avec des hausses de prix caracolant 500 points au-dessus du loyer de l’argent en Europe, cela équivaut à des taux réels négatifs.

Les marchés devraient à un moment tenir compte de la volonté des banques centrales de resserrer la vis… mais ils se sont convaincus que ce ne sera que transitoire et se projettent déjà dans un futur idéalisé de d’assouplissement des conditions financières.

Pour la première fois

Ils créent en fait leur propre réalité, comme les banques centrales créent de l’argent qui n’existe pas… et cela dure depuis plus de 10 ans. Beaucoup de professionnels n’ont ainsi jamais connu rien d’autre : une carrière de trader dure rarement plus de 10 ans et, pour les gérants, ceux qui ont commencé leur carrière il y a 15 ans, ils n’avaient pas connu de cycle de hausse de taux dépassant les 200 points.

Pour les gérants de portefeuilles obligataires, ceux qui ont débuté il y a 30 ans, fin 1993, ils n’avaient jamais vécu une baisse de plus de 5% des bons du Trésor sur une période de 12 mois.

Et comme la hausse des taux ne semble pas terminée, tout comme les consommateurs qui le peuvent encore tentent de devancer l’inflation, les entreprises se remettent à émettre des quantités astronomiques de « papier » : pas moins de 300 Mds$ rien que pour les firmes américaines depuis le 1er janvier, dont 144 Mds$ en février.

Selon Reuters :

« Les entreprises américaines se précipitent pour émettre des titres de créance d’entreprise, le mois de février a été le plus chargé de tous les temps. »

Les analystes s’attendent à 160/165 Mds$ de nouvelles obligations en mars.

Avec la raréfaction de la liquidité du resserrement quantitatif – ou « quantitative tightening » – orchestrée par les banques centrales, ce raz de marée d’offre obligataire combinée à un redémarrage en flèche des émissions du Trésor américain, dès que le plafond de la dette aura été relevé par le Congrès, pourrait provoquer un corner.

En fait, du consommateur le plus modeste au gérant manipulant des milliards, tout le monde s’empresse de remplir son canot de sauvetage avant que le navire ne coule !

Le consommateur le plus modeste entasse des filets de poulet (leur prix a doublé en un an) dans son congélateur, les gérants entassent des valeurs du luxe dans leur portefeuille (déferlante de records absolus pour LVMH et Hermès) comme si le paraître et le snobisme allaient sauver l’humanité.

Et comme si notre Titanic de dettes ne faisait pas déjà eau de toute part, une nouvelle torpille ne devrait pas tarder à éventrer la coque et pulvériser la salle des machines, ce qui le fera sombrer rapidement : il s’agit du lancement du système contrôle du carbone aux frontières (pénalités sur les importations de produits en provenance de pays pollueurs) approuvé par l’Europe… mais ceci fera l’objet de notre prochaine chronique.

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