La Chronique Agora

Hausse du pétrole : attention

▪ Nous sommes à 48 heures la journée des « Trois sorcières » qui marquera le basculement des positions à terme vers le mois de décembre, celui du traditionnel rally de fin d’année. Il semblerait que le mot d’ordre consistant à faire en sorte que les indices boursiers n’aillent nulle part soit respecté à la lettre — ce sont les vendeurs d’options et de volatilité qui se régalent…

Après plus de cinq heures de stagnation de part et d’autre du seuil des 3 050 points, le CAC 40 — qui s’effritait de -0,5% vers 12h30 — en termine sur un gain limité de 0,5% à 3 064 points. Cet avantage s’est trouvé réduit de moitié dès 17h45 en transactions hors séance.

Jean-Claude Junker a jeté un froid vers 17h30 en rappelant que le taux d’endettement de l’Allemagne est supérieur à celui de l’Espagne. Il reste très comparable à celui de la France, récente victime de commentaires plutôt désobligeants et malvenus de la part de Bruxelles.

Le DAX a clôturé en repli de 0,35% ; le FTSE termine inchangé tandis que Milan et Madrid grappillent +0,8%. Cela a permis à l’Euro-Stoxx 50 d’afficher un score flatteur de +0,65%, lequel était loin de refléter le peu d’inspiration et de motivation des acheteurs.

La journée avait d’ailleurs bien mal commencé avec un repli général de 0,8% des indices en Europe… Mais en vertu d’un scénario désormais bien rôdé, les contrats sur indices, qui subissaient une forte pression baissière en préouverture, ont entamé leur remontée dès 9h03, avec la reprise des cotations sur les ETF. Le CAC 40 inversait radicalement la vapeur et grimpait de 2% en ligne droite en 90 minutes.

▪ Pour la quatrième fois en une douzaine de séances, l’euro se redresse juste avant que des supports importants ne soient cassés sur les principaux indices boursiers de l’Eurozone.

La monnaie unique, qui évoluait non loin des 1,3430 $ vers 9h, se retrouvait miraculeusement propulsée vers 1,3550 $ deux heures plus tard… avant de rechuter sous 1,35 $ vers 16h.

Les raisons de l’embellie initiale demeurent quelque peu mystérieuses. Une pincée d’intervention de la BCE sur la dette italienne par-ci… une pincée de rumeurs (invérifiables) concernant l’assouplissement des positions allemandes sur les moyens d’action de la BCE par là… et l’euro fait ce qu’on lui intime de faire, c’est-à-dire sauver l’Euro-Stoxx du naufrage.

Ce n’est pas un scoop : les tensions internes sur les taux au sein de la Zone euro pourraient déboucher sur une soudaine capitulation des indices boursiers. Cela dès lors que la BCE ne pourrait plus faire face à sa double mission : alimenter les banques en liquidités (et en dollars pour certaines d’entre elles puisque Wall Street ne leur fait plus confiance), et éteindre l’incendie sur le front des dettes souveraines.

Quand une accalmie semble se dessiner en Italie (avec des rendements qui retombent sous la barre des 7% en début de matinée), ce sont les taux longs français et belges qui se mettent à grimper de façon incontrôlable, avec des écarts de rendement qui dépassent chaque jour des records historiques depuis le début de la semaine.

▪ Si ce genre d’observation vous semble abstrait, sachez que chaque hausse de rendement des bons du Trésor — quelle que soit leur provenance — correspond à une chute symétrique de la valeur du portefeuille de créances détenues par les intermédiaires financiers (banquiers et assureurs).

Les pertes latentes viennent amputer d’autant les fonds propres et grever la capacité de prêt des établissements de crédit.

Les 50% de dette grecque effacés d’un trait de plume par les banques françaises n’ont eu d’impact que sur le montant des bénéfices trimestriels. En revanche, la chute des emprunts espagnols ou italiens affecte la valeur globale des actifs qui sert de base de calcul au ratio tier one.

Autrement dit, nous sommes confrontés à un double problème : la liquidité d’une part (les banques ne se prêtent plus d’argent entre elles depuis des mois mais la BCE y pourvoit), et la solvabilité d’autre part — puisque c’est la structure même du bilan qui se dégrade en même temps que la valeur des dettes souveraines.

Un ralentissement économique avéré fragilise par ailleurs de nombreuses entreprises. Il faut ajouter au calcul du « risque client » une inflation qui grève un peu plus la rentabilité du portefeuille de prêts accordés aux meilleures signatures avec des taux nominaux très bas. Ils ressortent bien inférieurs au niveau de l’érosion monétaire, qui atteint 3% dans la Zone euro en base annuelle au mois d’octobre (d’après Eurostat).

▪ Le spectre de la stagflation se profile donc en Europe. Si la France affiche un peu miraculeusement 0,4% de croissance au troisième trimestre (et l’Allemagne +0,5%), il ne faut pas oublier que sur la même période, l’économie espagnole affiche une croissance nulle, de même que l’économie néerlandaise (et ne parlons pas de l’Autriche ou de la Belgique où l’activité se contracte).

Cela ne se présente pas mieux outre-Manche. Malgré une monétisation massive de la dette et une réduction drastique du train de vie de l’Etat, le nombre de chômeurs britanniques vient d’atteindre son plus haut niveau depuis 1996 au troisième trimestre.

Lorsque l’on sait de quelle manière les chiffres britanniques sont tripatouillés depuis des décennies pour accréditer l’illusion du plein emploi, on réalise que l’Angleterre n’est plus très éloignée d’un taux de chômage bien supérieur à 15% en moyenne — petits boulots déduits — et dramatique chez les jeunes. Il pourrait devenir socialement explosif.

Quand même la City se met à licencier, c’est le signal évident que le principal moteur de la croissance britannique manque d’huile et de carburant. Si le marché interbancaire ne se fluidifie pas rapidement en Europe, il ne va pas tarder à rendre l’âme…

▪ Une menace que Wall Street ferait bien de prendre au sérieux — mais dès qu’un cumulo-nimbus chargé de grêle commence à obscurcir l’horizon boursier, les faiseurs d’opinion focalisent immédiatement l’attention du marché sur les quelques rayons de soleil qui parviennent à traverser la couverture nuageuse.

La bonne surprise du jour a été la hausse de 0,7% de la production industrielle américaine au mois d’octobre (elle était anticipée en hausse de 0,4%). Idem pour la sagesse des prix à la consommation, avec un indice d’inflation ressorti inchangé comme prévu : -0,1% en données brutes, +0,1% hors pétrole et inflation.

Les stocks de pétrole américains ont continué à se contracter légèrement mi-novembre. Cela a propulsé le baril de WTI au-delà de la barre des 100 $, jusque vers 102 $ (+2,6%) — un niveau qu’il n’avait plus approché depuis le 31 mai ou le 9 juin dernier.

L’or noir vient de reprendre 33% en six semaines : si cela ne nous alerte pas sur une possible ruée sur les actifs tangibles (au détriment des dettes souveraines), c’est que nous succombons au scénario ébouriffant d’une croissance américaine s’envolant spontanément de 3,5% (ce ne sera pas grâce à l’Europe ni à la Chine). C’est en tout cas ce qu’anticipe désormais Morgan Stanley dans une note de conjoncture en forme de joli conte de fées pour adultes publiée mardi.

Si l’industrie du rêve a encore de beaux jours devant elle à Wall Street… pour ce qui est de l’industrie bancaire, nous en sommes beaucoup moins sûr !

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