La Chronique Agora

Halloween, ou le spectre de la récession

Le consommateur commence à se voir refuser de nouveaux prêts, en même temps qu’explosent les retards et les défauts de remboursement.

Après plusieurs trimestres d’espoirs, systématiquement suivis d’une phase de désappointement, la Fed vient enfin de fournir une prestation appréciée de Wall Street, en plus de laisser – comme prévu – son principal taux directeur à 5,25/5,50% : une décision prise à l’unanimité.

Après un démarrage de mois de novembre timide ce mercredi, la Bourse de New York a enclenché le turbo au cours des 75 dernières minutes de la séance : la soirée d’Halloween promettait d’être joyeuse !

Nous ne savons pas exactement quel sort – ou élément de langage magique – lancé en conférence de presse a provoqué une soudaine euphorie des investisseurs (vers 19H45), mais Jerome Powell a dû introduire un nouveau concept ou retrancher une référence à l’inflation (la fréquence du terme diminue à chaque communiqué de la Fed depuis fin juillet), toujours est-il qu’il a conforté le sentiment que le cycle de durcissement monétaire est terminé.

Il n’est pas exagéré de dire que ce fut un feu d’artifices sur l’obligataire durant 45 minutes. Les T-Bonds de maturité 2 ans et 5 ans ont vu leur rendement se détendre de plus de 8 Pts dans l’intervalle… et vous pouvez nous croire, un tel écart, ce n’est pas monnaie courante, surtout en moins d’une heure, et cela coûte très cher si on a mal anticipé le franchissement de certains seuils techniques.

Prenons la maturité à 10 ans qui est la plus travaillée : le rendement s’est détendu de -21 Pts à 4,713%. C’est tout simplement le mouvement le plus brutal depuis le 13 mars dernier (-20 Pts)… et il ramène le T-Bond « de référence » sur les niveaux du 17 octobre dernier.

De quoi semer un vent de panique dans les rangs des opérateurs qui avaient parié sur le scénario d’un test des 5,00% en séance et d’un retracement des 5,05% d’ici vendredi, avec la publication du « NFP » (rapport mensuel sur l’emploi).

Côté actions, un soudain courant d’air haussier a fait claquer la porte sur les doigts des vendeurs : le S&P 500 a bondi en quelques minutes de +0,5% vers +1,05%, le Nasdaq de +0,7% vers +1,65%, dans le sillage des « 7 Fantastiques », qui ont toutes surperformé leurs indices de référence en gagnant de +2 à +3,8%.

Cette journée placée sous le signe de la Fed avait pourtant débuté par un coup de tonnerre avec la désintégration finale de 50% de WeWork à l’ouverture (le titre avait déjà perdu 96% depuis le 1er janvier). WeWork ne s’est jamais remis de l’émergence du télétravail post-COVID et officialise le « game over » avec son placement en situation de faillite, après avoir fait défaut sur plusieurs tranches de sa dette.

Voilà qui illustre l’évocation par la Fed des signes de difficultés identifiés dans certains secteurs d’activité comme l’immobilier commercial, les biotechs gourmandes en cash ou les banques régionales (maintenues sous perfusion de liquidités depuis le 13 mars dernier).

Des difficultés de refinancement qui mettent en péril essentiellement les petites et moyennes entreprises, plombées par le coût de l’argent. Le Russell 2000 en témoigne avec un repli de 7,5% depuis le 1er janvier (après un octobre noir qui se solde par une chute historique de 7%), qui illustre essentiellement le manque de pricing power de ces entreprises.

Voilà qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui ne jurent que par les sept titans de Wall Street, lesquels affichent une hausse annuelle combinée de 45%… et un PER étrangement identique – et colossal – de 45.

Apple, qui publiera ses résultats – très attendus, c’est un euphémisme – fait presque figure de valeur abordable, avec un PER de 29 et une hausse annuelle de « seulement » 33% (qu’il faut mettre en balance avec un chiffre d’affaire qui stagne depuis un an et un bénéfice en recul de 3%). Mais le titre se paye 7 fois son chiffre d’affaire, soit le double d’il y a trois ans !

Pour mémoire, la capitalisation d’Apple est de 2 700 Mds$, celle des 2 000 composantes du Russell atteint péniblement les 2 100 Mds$.

Donc, il faut se poser la question : en quoi la magie du verbe de la Fed pourrait encore la faire monter si jamais sa « marge » se met à son tour à décliner, après le volume des ventes et le profit par titre ?

Nous sommes probablement à un tournant, car les taux viennent de cesser de monter, les entreprises ne parviennent plus à passer de hausses de prix et renversent leur stratégie.

Tesla réduit le prix de vente de ses modèles les moins chers, McDonald’s réduit le prix de ses menus, Apple réduit le prix de ses MacBook, Kraft-Heinz fait face à une chute des volumes après avoir tiré les prix vers des sommets, au prétexte d’accompagner l’inflation (mais en la devançant de trois longueurs).

A part l’iPhone 15 « pro », les sacs Hermès en croco, les Bentley intérieur « veau grainé » et les Ferrari préparation « grand prix » sur lesquels les acheteurs se précipitent parce que le nouveau modèle est plus cher que le précédent, le consommateur « middle class » ne suit plus et commence à se voir refuser de nouveaux prêts, en même temps qu’explosent les retards et les défauts de remboursement.

C’est ainsi que se manifeste, à chaque fois, le spectre de la récession.

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