La Chronique Agora

La « guerre des spreads » obligataires

Cette guerre s’avère elle aussi très inquiétante.

Le gouvernement américain vient d’acter le fait que son déficit s’est élevé à 1 780 Mds$ (soit 6,3% du PIB) pour l’année fiscale septembre 2022/septembre 2023, contre 1 400 Mds$ lors de l’exercice précédent (soit 5,4% du PIB). Cela représente une hausse de 27% mais, en réalité, les chiffres de 2022/2023 sont « arrangés », car ils intègrent un changement comptable lié au programme d’annulation des prêts étudiants, désormais caduc. En réintégrant l’encours de ces prêts qui devront bel et bien être remboursés, le déficit 2022/2023 aurait été plus proche de 2 000 Mds$.

Symétriquement, la Chine continue de se délester de son stock de T-Bonds US, qui a désormais fondu de 40% en 10 ans (à un rythme homéopathique d’environ -50 Mds$/an) et aucun acteur de premier plan ne l’a remplacé.

Les Etats-Unis doivent donc offrir une rémunération de plus en plus attractive pour combler leurs déficits et c’est – au-delà des chiffre d’activité et d’emploi robustes – l’une des raisons de la hausse des rendements observée, ces derniers jours.

Le rendement des Treasuries à 10 ans – qui ne cesse de monter depuis six mois – a atteint ce jeudi 19 octobre un pic de 16 ans, à 5,001%. Une légère détente s’est amorcée vendredi (-5 pts à 4,938%), mais la semaine s’est achevée sur une tension de +20 pts et de niveaux de rendement inconnus depuis juillet 2007.

De la même façon, les Gilts britanniques ont terminé à 4,7250%, subissant une flambée de 35 pts de base sur la semaine, et le « 30 ans » a touché les 5,15% pour la première fois depuis… 1998, soit un quart de siècle (le « 30 ans » US affiche 5,08%).

Et on n’en a pas fini avec les situations « extrêmes », puisqu’à l’image du « 10 ans » US, les BTP italiens (l’équivalent de nos OAT version latine) ont également testé les 5% jeudi dernier, ce qui porte à +203 pts de base le spread avec le Bund allemand.

Et la situation devient étrangement « cocasse » puisque dans le même temps, le « 10 ans » grec, qui réintègre le club privilégié des dettes notées « investment grade« , n’offre plus que 4,37% aux créanciers, comme s’il y avait 3 notes d’écart en faveur des bons du Trésor émis par Athènes, alors que c’est tout l’inverse.

Et que dire des T-Bonds notés « AAA » par les deux plus grandes agences de « rating » qui offrent 60 pts de plus que… « du grec » ?

Mais la Grèce est loin de devoir 1 000 Mds$ d’intérêts par an à ses créanciers (soit 4% du PIB américain), plus de 80 Mds$ par mois.

Même la Fed vient de s’en alarmer par l’entremise de Jerome Powell ce 19 octobre, évoquant une trajectoire d’endettement qui n’est plus soutenable. Et il a lâché cette phrase en guise de demi-aveu : il est possible que la Fed en ait « un peu trop fait » lors de l’épisode COVID (avec un all-in monétaire sans précédent dans l’Histoire du pays).

Elle a encouragé l’expansion de la plus grosse bulle de crédit… la plus improductive de l’histoire, si l’on en juge par le ratio hausse de la masse monétaire/croissance du PIB.

La Fed poursuit la réduction de cette masse monétaire à raison de 95 Mds$/mois depuis 18 mois, ce qui la contraint à matérialiser des dizaines de milliards de moins-values sur son stock d’instruments obligataires pris en garantie lors de la crise sanitaire.

Maintenant que le service de la dette dépasse les 83 Mds$/mois, c’est le moment que choisit Joe Biden pour solliciter d’accroître le déficit américain de 80 à 90 Mds$ pour financer des belligérants auxquels les Etats-Unis vendent des armes, ce qui présente l’avantage de procurer de bons emplois aux américains… Un argument très vendeur auprès des politiciens qui mettent les « jobs » en tête de leurs priorités pour séduire les électeurs.

Mais ceux que Washington, la Fed et les membres du Congrès doivent séduire, ce sont les créanciers de l’Amérique, lesquels ont bien compris qu’en achetant de la dette US, ils financent les guerres du moment à crédit, comme ils ont financé celles menées en Afghanistan, en Irak, à l’Est de la Syrie (où des troupes US sont toujours stationnées après en avoir chassé les combattants de l’Etat islamique).

Les membres des « BRICS élargis » ont clairement fait savoir, depuis le sommet de mi-septembre de Johannesburg, que l’ère du soutien aveugle aux Etats Unis via l’achat systématique de dollar était terminée.

A bon entendeur…

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