La Chronique Agora

La guerre dans les rues de l’Occident ?

▪ La fusillade d’Ottawa fait couler beaucoup d’encre. Il y a eu 598 homicides au Canada en 2011 (la statistique la plus récente que nous ayons pu trouver). Pour autant que nous en sachions, aucun d’entre eux n’a suscité le moindre intérêt aux Etats-Unis. Mais qu’arrive une fusillade liée de près ou de loin aux extrémistes islamistes et tout le monde a un point de vue.

"La guerre dans les rues de l’Occident", titrait le Wall Street Journal ; le quotidien veut une approche plus musclée au Proche-Orient.

Pourquoi ? Après un quart de siècle… des milliers de milliards de dollars dépensés… et des centaines de milliers de vies perdues… les Etats-Unis semblent avoir plus d’ennemis dans le monde arabe que jamais auparavant. Pourquoi irait-on penser qu’une politique étrangère encore plus activiste produirait un résultat différent ?

Le professeur Michael Glennon, de la Tuft University, pose la même question : pourquoi être si pressé d’entrer en guerre ?

Les gens croient que les politiques gouvernementales sont décidées par des autorités élues qui appliquent la volonté de la nation telle qu’exprimée dans les urnes. Mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. En fait, peu importe ce que veulent les électeurs. Ils ont un peu d’influence sur les sujets émotionnels et symboliques — le mariage homosexuel, le salaire minimum et ainsi de suite. Mais ces questions n’ont pas vraiment d’importance pour les élites. Les politiques qui importent sont celles que les dirigeants peuvent utiliser pour transférer la richesse — des gens qui l’ont gagnée vers leurs propres poches.

▪ Bureaucrates et experts
M. Glennon, ancien conseiller juridique auprès du Comité sénatorial américain aux relations étrangères, en est arrivé à la même conclusion. Il déclare qu’il était curieux de savoir pourquoi Barack Obama terminait avec quasi-exactement les mêmes politiques étrangères que George W. Bush. Glennon :

"Cela n’a pas été une décision consciente… Les membres du Congrès US sont des généralistes et doivent s’en référer aux experts dans le domaine de la sécurité nationale, comme ailleurs. Ils s’inquiètent tout particulièrement d’être mis sur la sellette à cause d’une mauvaise décision au sujet de la sécurité nationale et tendent donc à suivre l’avis des experts, qui exagèrent généralement les menaces. De même, les tribunaux tendent à s’incliner devant l’expertise du réseau qui définit la politique de sécurité nationale.

La présidence elle-même n’est pas une institution ‘de haut en bas’, comme le pense la majorité des gens, dirigée par un président qui donne des ordres, suite à quoi la bureaucratie claque des talons et s’exécute. La politique de sécurité nationale provient en fait du sein de la bureaucratie elle-même. Bon nombre des politiques les plus controversées, du minage des ports nicaraguayens au programme de surveillance de la NSA, ont été générées par la bureaucratie. John Kerry n’exagérait pas lorsqu’il a dit que certains de ces programmes sont ‘sur pilote automatique’.

Ces bureaucraties particulières ne décident pas de la largeur des camions ou des tarifs ferroviaires. Elles prennent des décisions cruciales pour la sécurité, qui, dans une démocratie, peuvent être irréversible, peuvent étouffer le marché des idées et peuvent engendrer des conséquences extrêmement graves.

Je pense que le peuple américain s’illusionne… Ils croient que lorsqu’ils votent pour un président ou un membre du Congrès, ou lorsqu’ils parviennent à amener un cas devant les tribunaux, la politique va changer. Il y a certes de nombreux contre-exemples dans lesquels ces instances affectent effectivement la politique, comme l’avait prévu Bagehot. Mais l’ensemble du tableau reste vrai — la politique dans son ensemble, dans le domaine de la sécurité nationale, est menée par les institutions cachées".

Appeler la fusillade d’Ottawa une "guerre" est non seulement une insulte aux véritables guerres, mais c’est à côté de la plaque. Il n’y a pas de guerre dans les rues d’Amérique du nord. Mais il y a abondance de fraude.

Voilà comment ça fonctionne. Le secteur de la sécurité — le Pentagone, ses affiliés, ses financiers et ses fournisseurs — va piétiner le Proche-Orient avec ses gros sabots, causant mort et dégâts dans le monde musulman. Les "terroristes", naturellement, veulent riposter par rapport à ce qu’ils perçoivent être la source de leurs souffrances, les Etats-Unis. Tôt ou tard, ils y parviennent.

L’électeur moyen n’a pas le temps d’analyser et de comprendre les motifs complexes qui se cachent derrière l’événement. Il ne voit que les dégâts. Son sang bout ; il veut à la fois représailles et protection. Et lorsqu’on en appelle à plus d’interventions et plus de dépenses de sécurité, il est à fond pour.

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