La Chronique Agora

La grosse perte

Les Sept fantastiques ne seraient-ils pas en train de préparer leurs investisseurs à une grosse déception ?

Aujourd’hui, nous revenons à la question paroissiale : est-ce que les actions des Sept fantastiques ne seraient pas une « grosse perte » qui attend la bonne occasion pour pointer son nez ? Cela semblait être le cas, d’après Bloomberg :

« Le groupe le plus influent du S&P 500 s’est fait marteler mercredi [31 janvier], après que certains de ses plus grands représentants aient failli à satisfaire les attentes en termes d’intelligence artificielle. Microsoft Corp., Alphabet Inc. et Advanced Micro Devices Inc., comptant parmi les entreprises ayant conduit la locomotive de la Bourse à ses débuts, ont déçu les investisseurs en pariant que l’IA serait une aubaine qui entraînera des résultats rapides. Cette fois-ci, même la baisse des rendements obligataires n’a pas réussi à faire décoller le secteur de la technologie. » 

« L’information », ce n’est pas la même chose que « l’énergie ». Si on retire l’énergie, des millions de personnes vont mourir.

Mais si on se défait de la révolution numérique, que va-t-il se passer ? Nous retournerons simplement aux années 1980. Nous sommes assez vieux pour se rappeler du « monde avant l’avènement d’Internet », et ce dont on se souvient de cette époque, c’est que ce n’était pas si mal. Peut-être même mieux que maintenant.

Puis vint la révolution

Ce qui comptait vraiment, les choses qu’on pouvait sentir, voir, entendre et goûter étaient très similaires à ce que nous avons aujourd’hui. On consommait de la nourriture qui venait de partout dans le monde. On riait de nous et des autres. On regardait la télévision pour se divertir et on lisait les journaux pour être informés. Tout compte fait, c’était une époque satisfaisante.

Puis vint la révolution numérique après 1990… et la situation s’est généralement dégradée.

Les taux de croissance ont baissé. La dette a augmenté. Les salaires n’ont pas évolué. Nos politiques sont devenues désagréables et dysfonctionnelles. Et on ne pouvait plus rire de tout comme on le faisait : beaucoup de choses sont devenues taboues.

Et quelque part, avec toutes ces informations au bout des doigts, nous avons perdu le fil de ce que nous avons connu pendant des siècles : on ne peut pas acheter la prospérité, tout comme on ne peut pas bombarder pour avoir la sécurité. Les gouvernements Bush, Obama, Trump et Biden ont essayé de faire les deux.

La grande différence entre avant et après la révolution numérique est que, après 1990, nous avions de plus en plus de moyens de gaspiller notre temps et notre argent. En 1990, le temps et l’argent dépensés à être asservi aux appareils électroniques étaient proches de zéro, parce qu’il n’y en avait tout simplement pas. Aujourd’hui, l’Américain moyen passe 8h05min par jour devant un appareil électronique (selon Statista.com). En d’autres termes, on passe la plupart de nos heures d’éveil devant un écran.

Et la famille typique d’aujourd’hui est susceptible de dépenser autant en téléphones, en plateformes de streaming et en matériel électronique qu’elle ne dépensait en loyer dans les années 1980. 

Pas la première fois

Nous n’apportons pas de jugement quant au fait que ce soit une bonne ou mauvaise situation ; nous ne faisons que noter que cela n’a pas eu l’air d’améliorer ni la richesse, ni la santé, ni la qualité de vie des Américains.

Mais revenons-en à la question spécifique : ces Sept fantastiques ne seraient-ils pas en train de préparer leurs investisseurs à une grosse déception ? La réponse est oui, probablement.

Une fois de temps en temps, des investisseurs viennent à croire qu’une action ou un groupe d’actions serait leur ticket pour la richesse. Ils achètent l’actif privilégié. Son prix augmente, suggérant aux autres investisseurs qu’ils doivent « rejoindre la partie » aussi. Les prix s’élèvent encore plus, prouvant qu’ils ont eu raison et attirant davantage d’investisseurs à des prix encore plus chimériques.

Les « Nifty Fifty », les sociétés dot.com, les maisons et le financement hypothécaire, les valeurs du cannabis, les cryptomonnaies, les NFT… Ce ne sera pas la première fois.

Psychologiquement, on se dit qu’on va se retirer du marché au cas où les actions favorites commencent à perdre en valeur. Mais quand elles chutent, on n’est pas prêt à abandonner. « Elles vont remonter », qu’on se dit. Puis, lorsqu’elles chutent encore plus bas, on refuse de subir une perte. « Ce n‘est qu’une pente, qu’on se dit, je vais attendre que ça rebondisse, puis je vendrais tout. » Puis, après une baisse de prix encore plus importante, on se dit : « Mince, je ne peux pas vendre maintenant, j’ai perdu trop d’argent. » On attend. Les prix rebondissent. On ne vend toujours pas, on se met à penser qu’on a eu raison depuis le début. Puis, les actions se remettent à chuter. Et finalement, on abandonne et on vend au plus bas. On vient de subir une « grosse perte ».

La plupart de nos lecteurs ont plus de 50 ans. Ils font fructifier leur argent doucement mais sûrement, grâce à leurs entreprises, leurs emplois et leurs investissements. Ils bâtissent leur richesse tout au long de leur carrière, et la pire chose qui pourrait arriver est qu’ils perdent tout, car ils n’auront plus le temps de la reconstruire. 

Tranquillité d’esprit

Si nous considérons le grand groupe tech comme un tout, son P/E est de 35. Par conséquent, si nous achetions l’ensemble de la gamme… en bloc, en stock et en puce de silicium… et que nous en percevions tous les bénéfices, nous devrions attendre longtemps avant de récupérer notre argent. Après impôts, en supposant que les revenus restent constants, il nous faudrait attendre environ 2080.

Evidemment, d’ici là, la plupart d’entre nous seront morts. Et le monde sera bien différent, particulièrement le monde des nouvelles technologies. Dans un demi-siècle, les entreprises elles-mêmes ne vaudront probablement plus grand-chose.

Personne ne va acheter les sociétés dans leur entièreté. A la place, on va plutôt en acheter des petits bouts, c’est-à-dire des actions. Et le prix des actions varie à la hausse comme à la baisse.

Si l’on compare les 30 valeurs industrielles du Dow à l’or, par exemple, on constate que l’on aurait pu acheter l’ensemble du Dow, en 1929, pour 18 onces d’or. Aujourd’hui, combien coûte le prix de départ des actions du Dow ? Vous l’aurez deviné : environ 18 onces d’or.

On ne peut donc pas s’attendre à une plus-value sur nos investissements en actions. En termes d’argent réel – l’or –, nous n’arriverons à rien.

Ce à quoi on peut s’attendre, c’est une part des bénéfices. C’est pourquoi est généralement préférable d’avoir sa propre entreprise plutôt que d’avoir des actions dans l’entreprise de quelqu’un d’autre.

Lorsque l’on possède sa propre entreprise, on reçoit 100% des bénéfices que l’on peut utiliser comme bon nous semble. Lorsque l’on détient une action dans une société publique, on ne reçoit que ce que les dirigeants veulent bien nous donner (généralement, un dividende inférieur à 5% de notre investissement).

Mais là encore, les actions des Sept fantastiques risquent d’être une grande déception. Le rendement actuel du dividende du groupe n’est que de 0,18 %. Ainsi, si on investit 100 000 dollars, on peut s’attendre à un chèque de dividende de 180 dollars, ce qui est tout juste suffisant pour s’acheter un ticket de bus pour l’assemblée générale annuelle des actionnaires.

En somme, dans les dividendes comme dans les plus-values, la récompense sera probablement faible. Le risque, en revanche, est de subir une grosse perte… ce que nous préférons éviter.

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