La Chronique Agora

Grêle de mauvaises statistiques sur les bourgeons de reprise

** Nous avions souligné mercredi la situation particulièrement sinistre des finances de quelques-uns des états parmi les plus emblématiques de l’Union américaine (Illinois, Ohio, Vermont, Floride, Arizona, Alaska, New York, Nevada et bien sur la Californie) qui présentent des déficits fédéraux s’étageant entre -22 et -32%.

Sur les huit premiers mois de l’exercice budgétaire 2009 (qui a démarré le 1er octobre 2008), le déséquilibre budgétaire global des Etats-Unis a plus que triplé par rapport à la période correspondante de l’exercice 2008/2009. Il s’élève à 992 milliards de dollars (contre un cumul de 320 milliards de dollars en mai 2008), soit 11% du PIB en rythme annuel.

Pour mémoire, en Europe, la norme maastrichtienne en matière de déficits budgétaires est de 3%. Les économistes ultra-orthodoxes de la Bundesbank considèrent que le ciel leur est tombé sur la tête alors que les déficits atteindront en moyenne 6% au sein de la Zone euro d’ici fin 2009.

Allez vous étonner que certains détenteurs de dollars s’émeuvent de voir les déséquilibres atteindre quatre à cinq fois ce montant aux Etats-Unis ! Et la situation est à ce point dégradée outre-Atlantique qu’il faudrait une hausse massive de la fiscalité pour endiguer le processus : de quoi congeler irrémédiablement les "bourgeons de reprise" dont les médias ne cessent de nous annoncer l’éclosion.

Nous avons beau passer au crible les chiffres qui rendent compte de la situation sur le terrain, nous ne détectons rien qui soit annonciateur d’une année 2010 verdoyante. L’orage de grêle qui a haché menu les dérivés de crédit immobiliers pourrait être suivi d’une tornade réduisant en lambeaux les émissions obligataires correspondant aux encours des cartes de crédit ainsi que les bons municipaux (qui ne sont plus assurés, comme vous le savez, que par le contribuable américain).

Des experts des marchés de taux s’extasient sur la convergence du rendement des dettes corporate (entreprises commerciales, banques, firmes industrielles) et des T-Bonds. Cela marquerait selon eux un retour à la normale et préfigurerait un nouveau rush sur les actions, après un épisode de consolidation salutaire jugé imminent.

Mais la résurgence de l’appétit pour le risque résulte essentiellement du climat psychologique créé par une hausse des cours boursiers hors norme. Hausse par ailleurs étayée par une intense campagne médiatique visant à imposer l’anticipation d’un scénario de reprise en "U", au lieu de la stagnation en "L" qui devrait découler de la prise en compte objective d’un faisceau d’indices techniques incontestablement négatifs au sein des pays développés.

** Nous n’allons pas vous infliger un rappel des récentes déceptions concernant le nombre d’heures travaillées aux Etats-Unis, ni le nombre de pertes d’emplois que les autorités américaines sont parvenues à masquer grâce à la "fiction statistique" (leur méthodologie est dénoncée depuis des années par nombre d’experts indépendants qui évaluent le taux de chômage réel à 16,5% aux Etats-Unis).

Il nous suffit d’évoquer la contraction de la masse des crédits hypothécaires alloués ces dernières semaines et l’explosion du taux de défaut de paiement sur les cartes de crédit. La situation est à ce point critique que les associations interprofessionnelles de l’immobilier pressent le Congrès US de porter la déduction fiscale pour l’acquisition d’une résidence principale de 8 800 $ à 22 000 $ — et même d’étendre la mesure aux résidences secondaires.

Le coût d’une telle mesure se chiffrerait en dizaines de milliards de dollars de pertes de recettes fiscales immédiates… mais cela vaut peut-être le coup d’essayer, si cela peut enrayer en quelques mois la spirale baissière sur le prix des logements.

Ce sont en effet pas moins de 14 500 milliards de dollars (quatorze mille cinq cents milliards) de prêts immobiliers qui bénéficieraient d’une rémission du processus produisant chaque mois des centaines de milliards de negative equity.

Beaucoup de banquiers respireraient mieux s’ils avaient la conviction que cela contribuait à figer la sinistralité au niveau que nous connaissons actuellement. Mais comme ils ne sont sûrs de rien, ils préfèrent rembourser le TARP dans l’urgence, plutôt que de conserver un matelas de liquidités destinées à soutenir des projets d’entreprise ou des acquisitions immobilières.

Leur empressement à restituer leur argent au contribuable est peut-être — sinon très probablement — un cadeau empoisonné. Il constitue en effet l’aveu qu’ils n’escomptent tirer aucun profit des futurs prêts qu’il pourraient consentir en prenant un minimum de risque.

** En France, cela ne se présente pas mieux : le montant des crédits accordés aux ménages a plongé de 28% sur un an. Les prêts immobiliers, en déclin de 3% au mois de mai, sont en recul de 36% par rapport à la période correspondante de 2008.

Certes, les prix ne reculent pas autant qu’aux Etats-Unis, mais les transactions étaient en chute libre de 40% au premier trimestre. Les vendeurs se laissent convaincre que c’est "moins pire" que ce que les économistes prédisaient… et refusent donc de baisser leurs prétentions. Du coup, ils ne trouvent pas d’acheteurs solvables : c’est typiquement un marché de dupes !

** Si certains acteurs économiques mettent en avant un évanouissement progressif de l’aversion au risque, ce n’est pas dans le domaine du crédit aux particuliers ou aux entrepreneurs que cette embellie se manifeste.

Il semblerait que cela se situe plutôt du côté des stratégies spéculatives, avec un retour en force des investisseurs institutionnels sur le marché si volatil et moutonnier des matières premières (avec l’aveu assez fréquent d’une peur de rater la hausse).

Nous n’allons pas nous en plaindre car vous connaissez notre intérêt pour le pétrole, le gaz, le cuivre ou l’or depuis le mois de novembre dernier… Cependant, c’est peut-être le bon moment de sortir, car ce à quoi nous assistons depuis que le dollar a entamé sa décrue sous les 1,30 face à l’euro et 0,95 contre le yen nous apparaît tout sauf sain et durable.

** Nous restons extrêmement méfiant s’agissant de mouvements boursiers dont les causes apparaissent obscures ou qui relèvent de la manipulation de cours pure et simple. La séance de ce mercredi nous semble constituer une illustration parfaite de notre propos : les transactions "avant Bourse" sur les contrats sur indices américains ont enregistré une flambée de 1% à 1,3% jusque dans les ultimes minutes précédant l’ouverture de Wall Street.

Dès les premiers échanges, patatras, le Nasdaq bascule dans le rouge. Il est suivi quelques minutes plus tard par le S&P 500 (qui matérialise un double top à trois  séances d’intervalle sous les 950 points), puis par le Dow Jones qui chutait de 100 points peu avant la mi-séance — exactement l’inverse de ce qui était anticipé.

La journée s’annonçait pourtant sous de bons auspices à New York après le succès d’une émission de 35 milliards de dollars de T-Notes à 3 ans par le Trésor américain. Il y avait également l’envolée des places asiatiques (Tokyo affichait un gain de 2,1% alors qu’un rapport économique chinois fait état d’une hausse de 8,9% en rythme annuel de la production industrielle le mois dernier).

L’empire du Soleil-Levant espère bien surfer sur la croissance de l’empire du Milieu… et la Bourse de Hong Kong — qui se trouve aux premières loges — s’était littéralement envolée de 4% mercredi matin, vers un nouveau record annuel proche de 19 000 points.

** Malgré une progression moyenne de +2% des places européennes, Wall Street a rapidement anéanti les espoirs d’établissement de nouveaux records annuels.

Les chiffres macroéconomiques du jour ne semblent pas expliquer un tel revirement de tendance : le déficit commercial américain s’est accru comme prévu en avril (pour cause de renchérissement de la facture pétrolière), atteignant 29,2 milliards de dollars, contre 28,5 milliards en mars.

Les exportations ont chuté de 2,3% à 121,1 milliards de dollars, tandis que les importations ont diminué de 1,4% pour atteindre 150,3 milliards de dollars, leur plus faible niveau depuis juin 2006. Ce n’est certes pas beaucoup "plus pire" mais cela ne constitue en rien la preuve d’un redressement potentiel du PIB américain.

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile