La Chronique Agora

Grèce : vous êtes le maillon faible de la Zone euro, au revoir !

▪ Ce lundi 12 septembre 2011 fait partie de ces journées où les opérateurs ont davantage envie de partir à la pêche — ou de passer une annonce sur internet pour revendre leur dernière Porsche — que de distiller de fines plaisanteries pour détendre l’atmosphère.

A défaut d’apporter autant de légèreté que nous le souhaiterions, nous sommes cependant en mesure de produire quelques paragraphes de jeu de massacre jubilatoire à l’encontre de marchés totalement inefficients depuis deux ans. Ces derniers prétendent donner des leçons à des dirigeants politiques et des élites économiques jugées incohérentes.

Si les marchés étaient efficients, ils n’auraient pas mis deux mois pour reperdre ce qu’ils avaient gagné en deux ans grâce à la fausse mornifle de la Fed.

Nous entendons aujourd’hui la majorité des stratèges et des gérants les plus médiatiques expliquer qu’ils n’achèteront pas un bout de papier avec un CAC 40 à 2 900 parce que le marché est encore trop cher. Ce discours intervient alors qu’il y a encore trois mois, les mêmes stratèges répétaient en choeur que les actions étaient sous-évaluées à 3 900 et que le problème grec était dans les cours. Vous comprenez pourquoi nous lâchons un petit rire sardonique en entendant ces analyses.

▪ Comme nous le soupçonnions, la plupart des permabulls nous mentaient au sujet de la croissance et se tenaient prêts à embrasser l’opinion de ceux qui redoutent une récession.

Ils ont surfé sur l’effet d’aubaine de la liquidité déversée sur les marchés par la Fed. La hausse de 100% en deux ans de certains indices comme le Nasdaq Composite ou le Russell 2000 est vide de justifications concrètes ou théoriques.

Certains professionnels de la finance se mentaient à eux-mêmes avant de s’adresser à leurs clients — pour avoir l’air plus convaincants. Mais au fond d’eux, ils ne faisaient que réciter leur catéchisme haussier, sachant pertinemment que l’envolée des indices boursiers reposait sur du vent ; ce qu’ils admettent d’autant plus volontiers qu’ils se sont transformés en permabears en l’espace d’une lunaison.

▪ Les marchés sont inefficients à tous les niveaux. D’abord pour avoir orchestré une hausse de valorisation des actifs sans rapport avec les conditions présentes ou prévisibles dans un futur même idéal ; ensuite pour avoir entretenu un degré zéro d’anticipation par rapport à la dérive du dossier grec, passé de simple écorchure fin 2009 à gangrène incontrôlable en cette fin d’été 2011.

Passons maintenant à l’incohérence des sherpas de la Zone euro que dénoncent les marchés. Feignent-ils de découvrir les ravages de l’égoïsme national prôné par une frange influente du personnel politique allemand répondant aux voeux du patronat, le tout avec le soutien appuyé de la presse populaire germanique ?

Les marchés feignent-ils de découvrir la cacophonie qui règne à Bruxelles autour du dossier grec depuis début 2010 ? Et toutes ces solutions imposées à Athènes auxquelles ils prétendent aujourd’hui n’avoir jamais cru ! Elles leur apparaissaient satisfaisantes lorsqu’il s’agissait de justifier trois mois auparavant un CAC 40 à 4 000 points et un DAX 30 à 7 500 points.

Cette rigueur renforcée imposée aux Grecs — qui s’accompagne d’une récession prenant une ampleur historique –, ne l’ont-ils pas applaudie ? Pourtant, il était déjà évident au printemps dernier (même pour les plus autistes des conseillers d’Angela Merkel) que le remède germanique était en train de tuer le malade…

Et si la Grèce — déclarée en faillite et n’en pouvant plus de servir de bouc-émissaire — se retrouve contrainte de quitter l’euro, les marchés attendront-ils longtemps avant de s’attaquer au prochain maillon faible ?

La liste des pays qui ne respectent pas les critères de Maastricht est longue ! A tel point que l’on a bien plus vite fait de dresser la liste de ceux qui les respectent : les doigts d’une seule main suffisent largement. Et pas un seul de ces pays ne se situe au sud d’une ligne imaginaire reliant Rotterdam à Vienne.

La malédiction de l’euro, c’est que les Allemands ont voulu en faire une monnaie de pur cristal. Cela pèse lourd dans la main, cela émet un agréable tintement lorsque l’on trinque entre gens du même monde économique… mais mieux vaut éviter les chocs avec de grosses chopes en grès ou de simples verres de cantine Duralex.

▪ L’euro donne aujourd’hui le sentiment de pouvoir voler en éclats d’ici quelques semaines. Pendant ce temps, le dollar — qui ne semblait pas plus solide qu’un gobelet en carton fin juillet — parvient à traverser la crise actuelle sans dommage.

La Zone euro avait atteint vendredi l’heure de vérité. Tous les voyants étaient au rouge, la tension sur les marchés était à son comble après la démission de Jürgen Stark.

La démission de l’un des plus influent faucons de la BCE constituait une opportunité de faire prévaloir les valeurs de solidarité. Cela non parce que chacun serait prêt à y adhérer sans réserve, mais bien parce que ne pas se comporter ainsi risquait d’engendrer un désastre.

L’Europe était au bord du gouffre vendredi. Au lieu de faire trois pas en arrière, elle en fait un grand en avant : le seul espoir est que quelqu’un la rattrape in extremis par la ceinture.

Vu de Pékin, et compte tenu des réserves en euro de la Banque centrale chinoise, c’est le genre de geste qui pourrait valoir le coup.

Et vu de Shanghai ou de Hong Kong, une grande banque française qui capitalise désormais moins de la moitié de ses fonds propres, qui offre un rendement historique de 7,5% et vaut une fraction ridiculement faible de son chiffre d’affaires pourrait constituer une cible alléchante.

Mais les banques chinoises ne sont pas les seules à pouvoir se payer cash une des trois grandes du CAC 40. Les poids lourds de Wall Street ont tout à fait les moyens de prendre un ticket significatif dans le capital de leurs concurrentes européennes, renforçant ainsi leur assise planétaire à prix cassé.

▪ A la différence de leurs consoeurs européennes, les banques américaines ont largement limité la casse lundi. Le secteur bancaire US a même terminé en hausse notable (+2%, c’est quasiment surréaliste vu les 10% de chute des valeurs financières cotées à Paris).

Difficile de retrouver trace d’un écart de performance de 12% entre les titres d’un même secteur à Paris et à Wall Street à l’issue d’une seule séance de Bourse au cours des 25 dernières années.

La même observation vaut pour la performance globale. C’est à croire que le CAC 40 (-4%) et le Nasdaq (+1,1% à quelques heures d’intervalle) ont évolué ce lundi dans des univers parallèles.

Wall Street a littéralement ignoré le vent de panique qui a provoqué l’effondrement de 10% des valeurs financières à Paris. Vu des rives de l’Hudson, la faillite potentielle de la Grèce ne semble pas éveiller les mêmes terreurs systémiques que la faillite de Lehman (qui est souvent cité en comparaison).

Etonnant, non ? (Comme le disait systématiquement Pierre Desproges en conclusion de sa « minute nécessaire de M. Cyclopède).

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile