▪ "Mais vous n’avez encore jamais conduit de train ?"
Le sarcasme semblait approprié. Ni scandaleusement impoli ni outrageusement vulgaire. Juste légèrement insultant.
Le livret qu’on nous a donné plus tard dans le train expliquait que le VIA — l’équivalent canadien de la SNCF — était inspiré par l’exemple américain d’AMTRAK. Ce qui reviendrait à embarquer dans un navire de croisière disant qu’il s’est inspiré du Titanic. A ce moment-là, cependant, nous n’avions plus besoin d’explication. Nos tickets disaient que nous étions en Classe Prestige pour le voyage de Toronto à Vancouver ; il n’y avait rien de prestigieux dans la manière dont nous avons été traité. Après avoir attendu pendant 10 heures avant de pouvoir monter à bord, nous avons été invité à traîner nos bagages sur 400 mètres de quai afin d’arriver jusqu’à la Classe Prestige. Une fois arrivé là-bas, nous nous attendions presqu’à ce qu’on nous ordonne de nous pencher en avant pour que l’équipage puisse nous administrer une raclée avec une planche en bois.
Le train, qui était censé partir à 22h le samedi soir, n’a finalement quitté la gare qu’à 9h le lendemain — après qu’un agent nous eût conseillé d’arriver "à 6h du matin au plus tard" sous peine de le manquer. Nous avons rempli notre part du contrat. Hélas, pas la SNCF canadienne. Reprogrammé pour 7h, notre train a été à nouveau retardé à 7h30… puis 8h…
"Le train est arrivé en gare avec du retard… suite à quoi nous avons dû attendre un nouveau conducteur", nous a-t-on répondu quand nous avons demandé ce qui se passait.
"Les trains existent depuis longtemps", avons-nous commencé à sermonner. "Rien d’imprévisible à ça… Qui plus est, un train est un objet de taille considérable, vous devriez savoir où il est. Ensuite, il est très simple de calculer quand il arrivera. Vous savez, la distance divisée par la vitesse"…
Nous avons senti un coup de coude. Elizabeth nous faisait signe d’arrêter.
Nous avons préféré prier pour les pauvres voyageurs en classe économique, probablement enchaînés à leurs sièges et fouettés avec des barbelés |
Tenté de nous lamenter sur notre sort, nous avons préféré prier pour les pauvres voyageurs en classe économique, probablement enchaînés à leurs sièges et fouettés avec des barbelés.
Enfin, nous sommes en route à l’heure où nous écrivons ces lignes. C’est juste dommage pour le wi-fi : il ne fonctionne pas. Le mini-réfrigérateur non plus. Et le train recule presque autant qu’il avance. Mais bon… l’équipage est aimable et le paysage magnifique.
▪ Et pendant ce temps, en Grèce…
Nous avons appris que les banques grecques avaient rouvert. Les clients ont été séparés de leur argent pendant trois semaines. Même maintenant, on ne leur permet que de brèves visites conjugales : ils ne peuvent retirer que 420 euros par semaine maximum.
Le marché boursier grec a rouvert lui aussi. Sans le wi-fi, nous n’avons pas les chiffres exacts. Les valeurs grecques, comme on peut l’imaginer, ont été encore plus maltraitées qu’un voyageur sur le système ferroviaire canadien. Elles ont perdu jusqu’à 95% par rapport à leurs sommets de 2007. La valeur moyenne se vend à peine plus de deux fois les bénéfices.
C’est le marché écrasé, méprisé, pathétique qui a le meilleur potentiel — il n’a nulle part où aller sinon vers le haut |
Ce n’est pas à nous de connaître le cours auquel les valeurs grecques devraient s’échanger. Mais les Grecs sont là depuis longtemps. Ils ne vont sans doute pas disparaître. Leurs entreprises non plus. Et certaines des plus belles aubaines du monde de l’investissement viennent du fait d’avoir mis de l’argent dans des endroits où personne d’autre ne voulait aller. C’est le marché écrasé, méprisé, pathétique qui a le meilleur potentiel — il n’a nulle part où aller sinon vers le haut.
Si vous aviez investi sur le marché boursier turc en 1988, par exemple, votre investissement aurait enregistré à ce jour un gain de 1 188 047%. Chaque dollar investi, en d’autres termes, vaudrait plus de 11 000 $. En 1988, l’Argentine aussi était en pleine détresse. Si vous aviez investi votre argent là-bas, vous auriez à ce jour un gain de 39 297 300%. 10 000 $ d’investissement seraient devenus 392 973 000 $.
La pièce n’est pas finie en Grèce, cependant. Le pauvre Alexis Tsipras est coincé. D’un côté se trouve le marteau — bon nombre des membres de son parti refusant de suivre l’accord qu’il vient de conclure. De l’autre se trouve l’enclume de l’Europe du nord, en particulier l’Allemagne, qui refuse de bouger d’un pouce. Il y a toutes les chances que le gouvernement Tsipras disparaisse dans les prochaines semaines, déclenchant de nouvelles élections… d’autres négociations… encore plus de délais, encore plus d’embrouillaminis… et encore plus d’absurdités.
En attendant, la quantité de sottises publiées sur le sujet est stupéfiante. La presse grand public a transformé ça en une fable simplette, une lutte entre les cigales grecques et les fourmis allemandes. Les lecteurs sont censés choisir un camp — pour ou contre les pauvres Grecs. La plupart des économistes sont du côté des Grecs — poussant l’Allemagne à lâcher un peu de lest pour les cigales — à leur donner plus de temps… plus d’argent… et plus de corde. Ils pensent que ça stimulera l’économie grecque, facilitant le remboursement de ses dettes.
Mais tout le spectacle est idiot. Les Grecs ne vont pas commencer à agir comme des fourmis. Ils ne vont pas rembourser d’anciens prêts, ni de nouveaux. Et prêter plus d’argent à des gens qui en doivent déjà trop ne permettra jamais d’aider une économie en détresse.