Les banques centrales savent généralement mieux que quiconque ce qui se passe dans les coulisses du système monétaire mondial. Alors, si elles accumulent de l’or…
Le sujet de la dédollarisation est sur toutes les bouches.
Que ce soit dans le New York Times, The Economist ou d’autres médias financiers tels que CNBC, Fox Business et Bloomberg, les articles et analyses sur le sujet ne manquent pas.
L’idée derrière la dédollarisation est que les pays du monde entier se préparent à abandonner le dollar au profit d’autres monnaies. De nombreux événements vont dans ce sens, notamment le fait que la Chine paye désormais le pétrole importé d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis en yuans, ou bien l’accord bilatéral conclu entre la Chine et le Brésil qui permet à chacun des deux pays de payer les exportations de l’autre via sa monnaie locale.
La Russie est entrée dans la danse en acceptant de recevoir des roupies pour le pétrole livré à l’Inde et de payer les importations en provenance de Chine en roubles. L’aboutissement de tous ces efforts aura fin août lorsque les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se réuniront pour annoncer la création d’une nouvelle monnaie BRICS+ (les cinq précédents, plus d’autres pays invités, voire candidats à l’adhésion à ce groupe) adossée à l’or.
Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à ce que le dollar soit en chute libre. Mais ce n’est pas le cas.
Le dollar a été particulièrement fort ces derniers temps, et je m’attends à ce qu’il le soit encore plus dans les mois à venir. Alors que se passe-t-il ? Comment le dollar peut-il subir autant d’attaques à l’échelle mondiale, et garder sa puissance ?
Fort… par rapport à quoi ?
La réponse se trouve dans la manière dont on mesure la valeur d’une monnaie. La force ou la faiblesse du dollar est généralement mesurée par les principaux indices de devises, notamment le DXY (utilisé pour les opérations à terme) et le Bloomberg Dollar Index.
Il y a également les indices calculés par la Réserve fédérale, que j’utilise moi-même dans mes recherches et analyses. Ce qu’il y a de commun à tous ces indices est qu’ils comparent des monnaies entre elles, généralement les principales monnaies de réserve.
L’indice typique compare le dollar à un panier composé d’euros, de livres sterling, de yens, de francs suisses et peut-être d’une ou deux autres monnaies supplémentaires. En raison de la prominence de l’euro dans le commerce et les réserves mondiales (c’est la deuxième devise la plus importante après le dollar), ces indices ne sont en réalité que des versions plus complexes du taux de change euro/dollar.
Les monnaies des marchés émergents sont généralement exclues de ces indices. Par ailleurs, les accords bilatéraux de change décrits ci-dessus n’incluent pas le dollar. Lorsque vous regardez un accord bilatéral de devises impliquant des yuans ou des roubles, le dollar n’est pas du tout inclus.
Il est donc tout à fait possible d’avoir un dollar fort (mesuré principalement par rapport à l’euro) et une tendance croissante à la dédollarisation lorsqu’il est mis face aux yuan, au rouble et à la roupie. Les deux tendances se superposent.
La règle d’or
Existe-t-il un moyen de savoir si le dollar se renforce ou s’affaiblit sans se référer aux monnaies de réserve ou aux monnaies des pays émergents ?
Oui : l’or. Celui-ci permet de mesurer la force ou la faiblesse du dollar. En effet, la comparaison se fait en fonction du poids de l’or. Lorsque le prix de l’or en dollars est plus bas, le dollar est plus fort, et vice versa.
Mais la nouvelle monnaie des BRICS+ pourrait perturber ce marché en étant associée à l’or. Dans ce cas, la Russie et la Chine auront tout intérêt à ce que le prix de l’or augmente, car, si c’est le cas, leur monnaie BRICS+ vaudra plus cher. Cela pourrait déclencher le véritable déclin du dollar.
La monnaie des BRICS+ adossée à l’or est en fait le reflet d’une tendance plus large qui dure depuis plus d’une décennie…
La tendance est favorable à l’or
L’année 2010 a marqué une inflexion majeure dans les flux d’achats d’or des banques centrales, et le niveau global des réserves d’or détenues par les banques centrales et les ministères des finances à l’échelle mondiale. Revenons un peu en arrière…
En 1950, les Etats-Unis disposaient d’environ 20 000 tonnes de lingots d’or. En 1970, ils n’en détenaient plus que 9 000 tonnes. Cet or n’a pas disparu ; il a été livré à l’Allemagne, à la France, à l’Italie, au Japon et à d’autres partenaires commerciaux pour couvrir les déficits commerciaux des Etats-Unis dans le cadre de l’ancien étalon-or.
A partir de 1970, l’or détenu par les banques centrales et les ministères des Finances a considérablement diminué. Les Etats-Unis ont vendu 1 000 tonnes d’or entre 1970 et 1980 et ont encouragé le FMI à en vendre également environ 1 000 tonnes dans le cadre d’une tentative infructueuse de suppression du prix de l’or.
Après 1980, les Etats-Unis n’ont plus vendu d’or, mais ont encouragé le Royaume-Uni à en vendre – à commencer par plus de 300 tonnes en 1999. La Suisse a aussi vendu 1 000 tonnes entre 2000 et 2010. Le FMI en a vendu 400 tonnes en 2010 également. Le Canada a vendu l’intégralité de ses réserves d’or, qui n’étaient pas très élevées au départ.
Tous ces efforts pour supprimer les prix de l’or ont finalement échoué. L’or a atteint un record historique de 1 950 $ l’once en 2011 (ce record a été dépassé depuis, avec un passage à 2 060 $ l’once en 2020).
Enfin, en 2009, les banques centrales ont jeté l’éponge et ont recommencé à acheter des lingots d’or. Cette tendance s’est maintenue depuis lors.
Les augmentations d’achats d’or ont été spectaculaires, faisant passer le total des avoirs officiels en or d’environ 32 000 tonnes en 2008 à 35 000 tonnes aujourd’hui. Mais l’or a aujourd’hui changé de mains.
BRICS+ : Le nouveau bloc d’or
Les Etats-Unis n’ont pas augmenté leurs avoirs depuis les années 1950. Il en va de même pour d’autres grands détenteurs d’or tels que la France et l’Italie. Ce sont plutôt la Russie, la Chine, le Vietnam, le Mexique et de nombreux autres pays émergents qui ont augmenté leurs avoirs.
Bon nombre des pays ayant enregistré les plus fortes augmentations font partie de l’union monétaire BRICS+, qui annoncera bientôt la création d’une nouvelle monnaie liée à l’or, destinée à remettre en question la prédominance du dollar américain dans les paiements et les réserves mondiales.
Le premier trimestre 2023 a enregistré les plus forts taux d’achats d’or de la part de banques centrales, qui en ont acheté 228 tonnes au total. Et le champion dans le domaine n’est ni la Russie ni la Chine – il s’agit de Singapour. Au cours des trois premiers mois de 2023, Singapour a ainsi acheté 68,7 tonnes de lingots d’or.
On peut se demander si ces achats d’or sont dus à la dédollarisation, si les pays concernés se préparent à adopter la nouvelle monnaie des BRICS+ adossée à l’or, ou si ce n’est que de la prudence dans un monde incertain. Quoi qu’il en soit, la tendance est indéniable.
Les banques centrales savent généralement mieux que quiconque ce qui se passe dans les coulisses du système monétaire mondial. Si elles accumulent de l’or, vous devriez peut-être en faire autant.