La Chronique Agora

Le grand Bluff

Fed, inflation, guerre, Jerome Powell

La finance et le jeu priment sur la production de vraies richesses, le travail et l’effort.

Les marchés financiers ne connaissent rien à la géopolitique. Le peu qu’ils connaissent est faux car alimenté par le producteur mondial de fake news : les Etats-Unis.

L’imaginaire financier ne laisse pas de place à la compétition stratégique chaude dans laquelle nous sommes maintenant entrés de plain-pied.

Ils sont persuadés de la supériorité occidentale en tous domaines et ne peuvent comprendre que la compétition stratégique qui est ouverte globalement est aussi économique et sociale. Ce sont deux systèmes qui sont en concurrence, ce sont deux systèmes qui doivent prouver leur supériorité en tous points.

La succession de défaites humiliantes de l’Occident n’a pas ouvert les yeux, la débandade d’Afghanistan a été oubliée en un mois, et je n’évoque même pas la catastrophe qu’a été la gestion de la crise sanitaire !

Confrontation interne et externe

La confrontation sera en tous points. Et c’est pour cela qu’elle sera coûteuse et que la tension sur les ressources va être forte. La lutte sera interne, domestique, et externe, c’est-à-dire mondiale. L’épisode du pétrole, du gaz, de l’énergie et de l’alimentation est là devant nos yeux pour l’illustrer.

La politique occidentale est la même à l’intérieur et à l‘extérieur, elle repose sur un socle commun : la surestimation que les élites en place se font de leur puissance. Elles passent en force. C’est général, universel, elles refusent de s’accommoder, elles méprisent leurs opposants. Elles ne composent pas car elles sont structurellement construites sur une illusion : nous sommes toutes puissantes, nous avons raison, nous créons le monde, et les autres doivent s’incliner.

L’erreur de l’Occident est philosophique. Il a une pensée mécanique positiviste, pragmatique non dialectique et psychologique. Il est névrosé, enfant-roi qui se surestime sans se rendre compte qu’en fait il est profondément dépendant de ceux qu’il considère comme ses esclaves.

Ces faiblesses ont détruit ses capacités d’adaptation, l’Occident a cessé de s’adapter au monde réel, il ne s’adapte qu’à l’idée fausse, à la représentation fausse, truquée, délirante qu’il s’en fait.

Un exemple : la primauté de la finance sur la production de vraies richesses, primauté de la finance – qui n’est que la primauté du jeu – sur le travail et l’effort.

Ces vices occidentaux sont devenus dominants et structurels, inhérents à la pseudo culture commune du camp du bien. Au lieu de réunir et de tenter d‘unifier, ils divisent. Les vices occidentaux ont pour sous-jacent l’expansion considérable des inégalités.

A l’intérieur des Etats-Unis, Biden dit que ceux qui ne votent pas pour lui sont des ennemis de son pays, et il militarise la vie politique.

A l’extérieur, au lieu de chercher le consensus et l’unité, l’Occident multiplie les menaces, déclarations clivantes, les rejets, les insultes colonialistes.

Le beurre et les canons

Diviser pour régner est le maître mot.

Est-ce la bonne stratégie ?

Non, car le monde jusqu’à présent a été organisé et articulé autour d’un projet de coopération, de l’échange et de l’optimisation libérale. Le système en a besoin pour générer du profit et se perpétuer : il n’a pas de solution de rechange. Le système a lâché la proie pour l’ombre, pour le vent.

La compétition stratégico-militaire, à mon sens, est déterminante. Ce qui veut dire pour moi que la politique monétaire, budgétaire, financière du centre du système ne peut qu’être orientée par le souci de ne pas reculer, de ne pas régresser, de ne pas connaitre de revers.

Il faut selon moi entretenir le beurre, les canons, les drones, les livraisons militaires coûte que coûte. Quitte à saigner les alliés, quitte à cracher sur ses partenaires, quitte à faire mal aux périphériques.

C’est en vertu de cette analyse géopolitique historique que je récuse l’opinion de ceux qui croient que la Fed et le Trésor américain peuvent soutenir une politique que désinflation et de récession. Ils peuvent tenter de le faire croire, mais ils ne peuvent le faire réellement.

En 2008 les Etats-Unis et leurs vassaux s’en sont sortis par un colossal bluff et, cette fois encore, parce qu’ils sont incapables de se remettre en question, ils tentent de s’en sortir par le bluff.

Je crois à une économie de guerre, une économie de conflits coûteux sur de nombreux fronts avec en outre une obligation de maintenir un relatif calme social dans un empire divisé et sans véritable adhésion.

Donc n’oubliez pas, j’analyse toute la situation, et sur de nombreux fronts, comme faisant partie d’un colossal bluff.

Powell est déterminé : vraiment ?

Voyons maintenant le développement du discours du bluff sur le plan financier. On martèle avec force la détermination de Powell, ce qui en soi est déjà louche, on en fait trop.  Par exemple, voici un petit extrait d’une réaction peu après le discours : « Et pour ceux qui espéraient un retour en arrière après la mauvaise réception par le marché du discours belliciste de Powell sur Jackson Hole, il n’y en avait pas. »

Bloomberg précisait cela le 29 août :

« ‘De fortes pertes boursières montrent que les investisseurs ont compris que Jerome Powell et ses collègues sont sérieux dans la lutte contre l’inflation’, a déclaré le président de la Fed de Minneapolis, Neel Kashkari. ‘J’étais en fait heureux de voir comment le discours du président Powell sur Jackson Hole a été reçu… Les gens comprennent maintenant le sérieux de notre engagement à ramener l’inflation à 2%.’

La communauté mondiale des banques centrales est désormais alignée. Leur travail est aujourd’hui si difficile, car ils ont trop longtemps fait preuve d’irresponsabilité dans la croissance effrénée du crédit. Et il est certain que la ‘mondialisation’ a joué un rôle majeur au cours des années d’inflation relativement faible des prix à la consommation, malgré une inflation massive de la masse monétaire et des actifs.

C’est maintenant l’heure de la récupération. L’inflation est devenue un phénomène mondial. L’excès de crédit mondial, les problèmes de chaîne d’approvisionnement et le changement climatique dépassent la portée des banques centrales individuelles. De plus, les bulles mondiales défaillantes exacerbent certainement les risques géopolitiques aigus. Les crises énergétique et alimentaire en cours aggravent le risque d’inflation et les défis politiques. »

On enfonce le clou, il s’agit de faire croire que ça y est la prise de conscience est claire, large, profonde et que c’est promis on va tous lutter contre l’inflation, tout l’Occident !

Même le vassal européen va s’aligner sur cette priorité guerrière : suite au rapport sur l’inflation de 9,1% de la zone euro, les faucons enhardis de la BCE sont prêts à plaider la cause la semaine prochaine pour une forte hausse des taux d’intérêt.

Tout cela est de la poudre aux yeux pour deux raisons :

  1. Les taux réels, les seuls qui comptent, restent très négatifs. La hausse des taux est Canada Dry.
  2. Les excédents de liquidités mondiaux sont colossaux, astronomiques, avec les milliers de milliards oisifs qui sont stockés. Il y a un matelas considérable.

Avec 2 170 Mds$ de prises en pension actuellement à la Fed, on peut voir venir. Cet « excédent de liquidités » permet bien une réduction cosmétique du bilan de la Fed.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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