▪ « Mais qu’est-ce qu’ils vont faire de tout ce pognon ? »
Voilà l’une des questions décisive — et apparemment sans réponse — pour les stratèges qui planchent sur les retombées du second LTRO de la BCE orchestré mercredi dernier.
Où est passée la majeure partie de tout cet argent ? Là au moins, tout le monde a la réponse : retour à l’envoyeur, avec un record absolu de 820 milliards d’euros placés en pension auprès de la BCE le week-end dernier.
Les permabulls se frottent les mains depuis la mi-décembre. Avec des taux EONIA à 0,3% et une rémunération de 0,75%, quelle autre option pour les investisseurs que de choisir le risque ? Et ce sont les actions qui symbolisent le mieux ce risque, avec certaines catégories d’ETF basées sur des arbitrages de volatilité.
Cela fait trois ans qu’ils nous chantent le même refrain en ayant l’air à chaque fois d’avoir inventé la machine à dé-cambrer les bananes.
Mais la toile de fond macro-économique reste tout aussi obstinément chargée de couleurs rappelant un ciel d’orage… et les averses de grêle se succèdent en effet, à raison d’une tous les 18 mois.
La première s’est produite aux Etats-Unis (éclatement de la bulle immobilière). Elle a ensuite rapidement contaminé les pays d’Europe ayant adopté le modèle de développement à l’anglo-saxonne — overdose de crédit et orgie de dépenses affectées au logement. La seconde tempête (qui découle de la première) provient de la contamination des budgets des Etats par la gangrène de la mauvaise dette, passée de la sphère privée des banques commerciales à la sphère publique (nationalisation des pertes).
La troisième pourrait provenir du surinvestissement de la Chine dans tous les domaines. Cela a constitué une triple bulle immobilière, industrielle et des matières premières que Pékin a décidé de stocker en abondance ces derniers mois, bien instruite des effets indésirables des injections de liquidités en faveur des seuls brasseurs d’argent par leurs obligées que sont les banques centrales.
▪ Un affaiblissement des marchés à cause de la croissance chinoise
Le principal motif invoqué ce lundi pour expliquer l’affaiblissement –relativement marginal– des indices boursiers demeure l’abaissement des prévisions de croissance de la Chine à 7,5% avec une inflation contenue à 4% (au nom du maintien de la stabilité sociale du pays).
Tout le monde sait bien que cet objectif des 4% est intenable si Pékin doit faire face à un baril qui franchirait le seuil des 115 $ à New York et 125 $ à Londres… à moins d’opter pour un gel des prix et de coupler cette mesure avec un durcissement monétaire jugé suicidaire.
De nombreux économistes commencent également à mettre les marchés en garde contre un excès d’optimisme au sujet de la croissance américaine : elle ne serait guère supérieure à 1,5% en 2012 et l’objectif des 3% reste un pur fantasme.
L’indice ISM des services du mois de février aux Etats-Unis n’a pas convaincu Wall Street, bien qu’il ressorte à 57,3 (un peu au-dessus des attentes qui tournaient autour de 56,5).
A noter également le recul des indices PMI en Europe au mois de février qui confirme le repli de la production industrielle survenu en Allemagne le mois dernier.
▪ Des cas uniques qui se produisent quand même souvent
La seule véritable bonne nouvelle de ce début de semaine, c’est le reflux des taux longs vers 4,91% en Espagne comme en Italie. Mais les rendements continuent de se tendre vivement au Portugal, où ils dépassent les 13,5%.
Tout le monde sait bien comment cela s’est terminé pour la Grèce… Mais la BCE et les élites de Bruxelles jurent leurs grands dieux qu’un tel fiasco ne se reproduira pas, qu’il s’agissait d’un « cas unique »… tout comme Northern Rock aux yeux du gouvernement britannique à l’automne 2007 ou Bear Stearns aux yeux de la Fed à la mi-mars 2008.
Victimes de leur inconséquence et de pratiques commerciales douteuses, ces deux banques avaient cependant été sauvées de la faillite par la communauté financière. Elles devaient constituer l’exception qui confirme la règle, et nul n’osait imaginer qu’elles ne fussent pas la seule pomme pourrie au milieu du panier.
Hank Paulson et Ben Bernanke n’avaient pas hésité à confirmer que ces deux accidents avaient rendu le système financier encore plus solide… et de nouvelles baisses de taux ne tardèrent pas à redonner confiance à Wall Street au début de l’été 2008.
Mais l’analogie s’arrête là, car il est impossible de nationaliser la Grèce comme Northern Rock par l’Angleterre… ou la faire fusionner avec l’Italie comme Bear Stearns avec J.P.Morgan. La seule stratégie poursuivie depuis deux ans est celle du refroidissement et cantonnement, comme pour Tchernobyl ou Fukushima.
▪ Les fuites des CDS pourraient contaminer toute l’Europe
Un premier sarcophage de liquidités (provisoire) vient d’être achevé mi-février ; il est destiné à empêcher une réaction en chaîne qui anéantirait le système bancaire européen. Cependant,il se fissure déjà de toutes parts et présente de dangereuses fuites au niveau des CDS.
Certains experts estiment à seulement 3,6 milliards d’euros le montant des CDS susceptibles d’être exercés par les banques et les hedge funds qui ont misé sur la faillite d’Athènes… mais ce calcul relève d’une vaste fumisterie.
Il reste purement estimatif et découle de la prise en compte des positions de couverture déclarées à ce jour — parce qu’elles sont « avouables » ou n’ont pu être dissimulées…L’encours véritable est tout simplement impossible à connaître avec précision puisqu’il s’agit d’un marché de gré à gré d’une totale opacité.
Oui, opaque par nature et souvent d’une complète amoralité puisque l’achat de CDS nus revient à prendre une assurance sur une maison qui ne vous appartient pas mais que vous avez bien l’intention d’incendier.
De mauvaises langues prétendent que les enjeux concernant la Grèce sont probablement 10 à 20 fois supérieurs à ceux que les permabulls évoquent pour tenter de nous rassurer. Même si le taux de conversion des créances du secteur privé n’atteint pas les 70% et que le défaut partiel est prononcé, l’exercice des CDS resterait gérable puisque le FESF aurait largement les moyens d’y faire face.
Nous serons fixés jeudi… Mais c’est effectivement une question presque subalterne en regard des 90 milliards d’euros qui manquent à l’Espagne pour refinancer ses régions… sans parler des 50milliards d’euros dont les banques ibériques auraient besoin officiellement pour faire face à une vague de dépréciations d’actifs sur leur encours de prêts immobiliers. Il en faudrait plus du double pour faire face aux sinistres déjà subis par les promoteurs.
Tous ces chiffres sont connus, mais ils n’inquiètent plus les investisseurs. Après tout,140 milliards d’euros — mettons 200 milliards d’euros pour coller à la réalité de la débâcle immobilière espagnole qui ne se cantonne pas aux côtes s’étendant de Barcelone à Marbella mais sévit également aux Canaries et aux Baléares –, c’est presque quantité négligeable en regard des 750 milliards d’euros dont pourrait disposer le futur MES.
Mais qui va financer et garantir des telles sommes, qui ne seront jamais remboursées ?
▪ Les contribuables français et allemands vont pouvoir sauver l’Espagne
C’est bien le contribuable européen, et principalement les citoyens français et allemands qui seraient chargés, à leurs frais, d’éviter la faillite systémique de l’Espagne. Depuis l’adoption par le Parlement européen de l’automatisation de l’abondement du MES sur requête et sans possibilité de veto, le seul droit du peuple français — et des 24 autres qui viennent d’adopter le principe de la règle d’or — reste celui de faire un chèque (les Britanniques se sont naturellement abstenus d’une telle folie).
Lorsque l’on vous dit que l’Europe ne passera pas à la casserole, c’est en partie vrai… tout simplement parce que c’est chacun d’entre nous qui va se faire plumer !