Le rapport annuel « In GOLD we TRUST »* 2016 publié par Incrementum Liechtenstein Ag a cette année pris position sur deux thèmes : la théorie du portefeuille permanent d’Harry Browne, dont nous avons déjà parlé, et l’or en tant qu’actif antifragile, selon le néologisme créé par le mathématicien, ancien trader et essayiste libano-américain Nassim Nicholas Taleb.
Taleb : de la théorie de l’imprévisible à la théorie de la résilience
Taleb s’est fait connaître du public en français en 2010, avec la publication de son essai Le cygne noir : La puissance de l’imprévisible. Le cygne noir, c’est un évènement de faible probabilité et de fort impact. Dans son livre, Taleb prend l’exemple de la dinde, que l’éleveur nourrit chaque jour de son existence. Son exécution, la veille de Noël, de son point de vue imprévisible, constitue de son point de vue un « cygne noir ».
Appliquée aux marchés financiers, la théorie du « cygne noir » s’inscrit à l’encontre de la vision conventionnelle de la gestion du risque. Ainsi la théorie moderne du portefeuille développée en 1952 par Harry Markowitz qui établit un lien entre optimisation du couple rendement/risque et diversification des actifs détenus au sein du portefeuille commençait à être contestée à la lumière de crises récentes.
L’économiste Philippe Herlin estime que « la « théorie du portefeuille » […] marche à peu près en temps normal, mais se fracasse contre la réalité lors des crises, justement. […] cette théorie néglige les risques extrêmes, les « cygnes noirs », pourtant très courants en économie et sur les marchés financiers, elle amène donc celui qui la suit à prendre des risques qu’il croit à tort sous contrôle« .
Après avoir élaboré sa théorie de l’imprévisible, Taleb s’est logiquement orienté vers la théorie de la résilience, ce qui a donné lieu à la publication en 2012 d’un nouveau best-seller : Antifragile : Les bienfaits du désordre (2013 pour la traduction française).
Est antifragile tout ce qui se bonifie avec les épreuves
La thèse développée était en très résumé que le contraire de fragile n’est pas solide ou robuste, comme on pourrait le penser intuitivement, mais « antifragile ». Est fragile tout ce qui ne résiste pas à l’épreuve. Est solide tout ce qui résiste à un grand nombre d’épreuves. Est antifragile tout ce qui se bonifie avec les épreuves. Le concept s’applique à tout : la politique, la santé, l’éducation, l’économie, l’urbanisme… et, bien sûr, la finance. En finance, l’antifragile aime la volatilité, le capital-risque, les obligations convertibles, certains fonds de couverture…
« Certaines choses bénéficient des chocs ; elles prospèrent et se développent lorsqu’elles sont exposées à la volatilité, à l’entropie, au désordre, aux facteurs de stress et adorent l’aventure, le risque et l’incertitude. Appelons-les antifragiles. »
Nassim Taleb
Taleb n’a pas traité dans son livre de la question de savoir si l’or est antifragile mais nos deux Autrichiens se sont penchés sur le sujet.
L’or « antifragile » ? Un actif à plusieurs facettes
En tant qu’économistes de l’école autrichienne, Stöferle et Valek, les analystes d’Incrementum, commencent par souligner la dimension « autrichienne » du concept d’antrifragilité. Nul ne peut prévoir l’avenir et notre connaissance est toujours parcellaire. Le sous-titre de la version allemande de l’ouvrage est d’ailleurs « Manuel d’instruction pour un monde que nous ne comprenons pas ».
Taleb se distingue « de la foule des économistes, des banquiers centraux, des politiciens et des acteurs des marchés financiers qui […] ont une foi aveugle dans le caractère prévisible de l’économie et de la finance ». Au contraire, Taleb « montre comment il est possible d’agir avec succès au vu de son ignorance. »
Ni particulièrement fragile, ni complètement robuste ou antifragile, l’or est un actif à plusieurs facettes :
Aspect sous lequel on regarde l’or | Niveau de fragilité sous cet aspect |
1. Capital confiance | Impossible à determiner |
2. Histoire en tant que moyen d’échange | Pas parfaitement antifragile, mais certaines caractéristiques antifragiles |
3. Stabilité intrinsèque/durabilité | Robuste |
4. Valeur | Assez fragile |
5. Liquidité | Robuste |
6. Réciprocité vis-à-vis du système monétaire | Antifragile |
7. Risque de faire face à un cygne noir | Assez robuste |
La valeur de l’or réside dans son capital confiance, prérequis à toute forme de monnaie. Néanmoins, Stöferle et Valek estiment qu’étant impossible de définir ce sur quoi repose ce capital confiance, cet aspect ne constitue ni une force, ni une faiblesse.
L’or a toujours et en tout lieu été reconnu comme un moyen d’échange et comme une devise refuge en cas de crise. Mais, le futur n’étant pas certain, Stöferle et Valek jugent que « l’or n’est pas un actif parfaitement antifragile, mais a, au cours de crises sévères, manifesté des caractéristiques antifragiles. »
L’or est intrinsèquement stable/durable : il est connu pour sa résistance à l’air, à l’eau, au feu et aux attaques chimiques ; il en existe un stock stable ; l’extraction coûteuse donc lente combinée à un stock d’or extrait durable aboutit à un ratio stock/flux élevé. Dans ce sens, l’or est robuste.
La valeur accordée à l’or connaît de larges fluctuations de prix. La demande industrielle d’or joue un rôle très faible dans son prix qui est avant tout déterminé par la dimension monétaire attribuée à l’or. Le marché de l’or est manipulé et est (comme tous les marchés) l’objet de spéculations. Par conséquent, le marché de l’or n’est pas immunisé contre la formation de bulles, ce qui fait que le prix de l’or tend à être fragile.
L’histoire monétaire, l’or et l’irruption des cryptomonnaies
« L’or est liquide, même dans les situations de stress. » C’est en effet l’un des actifs les plus liquides au monde au vu des volumes dans lesquels il est négocié, ce qui participe à le rendre robuste.
Dépourvu de risque de maturité et de risque de contrepartie, l’or est l’anti-dette par excellence. Or « La dette fragilise toujours les systèmes économiques », comme le dit Taleb. Par ailleurs, « la tendance à long terme du prix de l’or n’est pas liée à l’histoire de l’or, mais plutôt à l’histoire du système monétaire. La tendance haussière de long terme du prix de l’or est le résultat de l’addiction du système monétaire à l’inflation. » A cet égard, l’or est « clairement antifragile ».
« Des cygnes noirs existent dans le monde de l’or, mais nous estimons que leur potentiel destructeur est limité. » La menace d’une interdiction de détention d’or existe, en particulier sous la forme de « restrictions et de taxation du trading de l’or qui diminueraient les avantages de la détention d’or ».
En outre, « la position de monopole de l’or dans le domaine des devises alternatives pourrait être remise en cause par des cryptomonnaies émergentes », ce qui, à l’échelle de l’histoire de l’or, constitue une nouveauté. « Néanmoins, de nombreuses cryptomonnaies sont basées sur l’or. […]
Ainsi, même dans le pire des cas, l’or continuerait à jouer un rôle proéminent. De plus, comme le souligne Taleb, les choses qui ont duré longtemps survivent dans la plupart des cas aux choses qui émergent. » Par conséquent, on peut sur ce plan considérer l’or comme robuste.
Stöferle et Valek concluent que l’or a toute sa place dans un « portefeuille antifragile », c’est-à-dire un portefeuille construit sur le principe selon lequel « un certain nombre d’éléments au sein du système doivent être fragiles afin de rendre le système antifragile. »
Taleb recommande non pas de construire un portefeuille à partir de composantes avec un risque moyen, mais au contraire d’avoir « deux sous-portefeuilles : le premier ultra-sécurisé et le second ultra-spéculatif, avec des investissements extrêmement risqués ».
Stöferle et Valek précisent que « le portefeuille permanent n’est pas un portefeuille antifragile mais un portefeuille robuste, et par conséquent tout à fait approprié en tant que portefeuille conservateur (c’est-à-dire en tant que portefeuille ultra-sécurisé). »
Qu’en conclure pour vos investissements ?
Non seulement Stöferle et Valek concluent dans leur dernier rapport que « […] l’or est demeuré dans un marché haussier de tendance longue[secular bull market] » mais ils considèrent que « l’or a toute sa place dans la construction d’un portefeuille ultra-spéculatif, s’il est géré activement et occasionnellement investi avec du levier. »
Dans la partie ultra spéculative d’un portefeuille anti-fragile, les actions de jeunes sociétés d’exploitation minière ont parfaitement leur place. Lesquelles choisir et comment y investir en toute sécurité ? La réponse est ici.
* accessible ici en langue anglaise
Stop ! N’achetez plus d’or… Le temps de lire ce livre. Ensuite, vous saurez quel or acheter et celui qu’il faut éviter à tout prix. |