La Chronique Agora

Géopolitique et économie : l'investissement est une arme (1)

Par Jean-Claude Périvier (*)

Guerre et paix, mais pas façon Tolstoï
Ouvrez votre journal quotidien ou allumez la télé pour le 20 heures… Rares sont les jours où vous n’apprenez pas que des affrontements ont eu lieu dans telle région du monde, ou qu’un attentat s’est produit contre un régime politique.

Ça dure depuis l’Antiquité et l’on n’y peut rien. Les sociétés humaines sont animées par deux constantes : préserver leur existence, et faire progresser leur prospérité. Et depuis l’Antiquité, cela passe par différentes phases que l’on peut identifier de manière simpliste en alternances de guerres et de paix. Toujours pour simplifier, la paix est perçue comme un moment d’activité économique intense, créatrice de richesse, de progrès social, avec des retombées culturelles. Par opposition, la guerre est une période de violence destructrice, s’attaquant à l’intégrité des biens, des personnes et des fondements d’une société, d’une culture, parfois même d’une civilisation.

Mais pourquoi passer en mode "guerre" ? A la fois pour des raisons matérielles et des causes idéologiques, qu’il est bien difficile de démêler tant elles peuvent être imbriquées, les unes dissimulant les autres ou les stimulant, et réciproquement. Disposer d’un espace supplémentaire pour qu’un peuple puisse se développer, avoir une terre à cultiver et un (riche) sous-sol à exploiter, disposer d’une main-d’œuvre qualifiée, de compétences et de savoir-faire, de biens industriels ou culturels… voilà des motifs matériels. Ce sont des motivations économiques, principalement.

Promouvoir et imposer une croyance religieuse ou un concept politique constitue un mobile idéologique puissant. A cela s’ajoute, dans la même catégorie, le nationalisme.

La conjonction de l’idéologique et du matériel donne l’impulsion qui, à coup sûr, conduit à l’affrontement. Vous l’aurez remarqué, rien que du classique dans cette analyse du risque géopolitique. Pourtant la situation s’est compliquée singulièrement, car le monde a changé…

Le monde réorganise ses conflits…
Souvenez-vous, la Guerre froide a figé le bloc communiste et le bloc occidental sur leurs positions pendant près d’un demi-siècle. "L’équilibre de la terreur", comme on l’appelait, était certes un genre nouveau, mais on restait dans les risques classiques d’affrontement, principalement basés sur des idéologies divergentes et des nationalismes anciens élargis.

Vous avez vécu en direct la fin de cette époque avec l’éclatement de l’empire soviétique. Une bonne chose ? Oui sûrement, pour les populations qui ont dû composer avec un marasme économique persistant et supporter un manque cruel de liberté individuelle. Mais quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur cette période, sa chute a bouleversé la donne mondiale.

Un contexte durable de crise internationale
Le vide laissé par l’ex-URSS, en Europe de l’Est comme en Asie centrale, ne demandait qu’à être comblé. Les candidats se sont révélés être nombreux. L’Union européenne s’est élargie à l’est, renouant avec une dimension et une stature qu’elle avait perdue depuis longtemps, mais introduisant aussi un déséquilibre interne qui peut être source de tensions (les salaires du plombier polonais ou de l’informaticien roumain font débat dans la partie ouest de l’Union).

Les Etats-Unis ont poussé leurs pions en Asie centrale, y installant des bases militaires et posant des relations commerciales qu’ils espèrent solides et durables, faisant fi de leur réputation d’impérialistes.

En parallèle à sa formidable montée en puissance qui crée de nouveaux rapports de force en Asie et en zone Pacifique, la Chine poursuit sa marche vers l’ouest et les richesses du Moyen-Orient et de l’Afrique.

Je suis particulièrement frappé par l’expansionnisme islamiste qui, par ses mouvances politiques et religieuses, poursuit une lutte acharnée contre la domination intellectuelle et technologique de l’Occident au sens large (Etats-Unis, mais aussi l’Europe). Sa menace terroriste en fait une force avec laquelle il faut compter.

Privatisation : les armées aussi
Y auriez-vous pensé il y a seulement dix ans ? De véritables armées privées se sont constituées. La rigueur budgétaire pesant sur les armées nationales a permis le développement de prestataires de services dans le domaine de la sécurité et de la logistique. Souvent composés d’anciens militaires, ils interviennent sur tous les théâtres d’opérations et auprès d’entreprises dont l’activité s’exerce en milieu difficile ou hostile.

Vous ne pouvez avoir manqué l’essor des ONG (Organisations non gouvernementales à but humanitaire), intervenant régulièrement comme lobby de pression sur les gouvernements, et souvent victimes de prises d’otages. Oui, les choses ont changé. Et que pensez-vous du récent droit d’ingérence, prolongé par la guerre d’ingérence, phénomène au demeurant surréaliste puisque c’est une autorisation à violer les frontières et la souveraineté nationale d’un pays pour des raisons humanitaires.

Kosovo, Serbie à la fin du siècle dernier — et même d’une certaine manière l’invasion de l’Irak en 2003 — procèdent de cette nature, pourtant autrefois décriée quand les soviétiques envahissaient la Hongrie ou la Tchécoslovaquie au nom de la "liberté".

Changement aussi avec l’apparition des guerres préventives supposées éviter un désastre humanitaire (exemple avec le Kosovo), et des guerres préemptives, c’est-à-dire qui permettent d’anticiper sur l’action agressive d’un adversaire déclaré… ou potentiel (l’exemple le plus célèbre, quoique déjà ancien, est celui de la guerre des Six Jours en 1967).

Les reporters de la télé vous promènent dans les zones de conflit qui ont, elles aussi, changé. Certaines ont disparu, surtout en Europe, d’autres perdurent (Afghanistan)… et de nouveaux points chauds sont apparus. Les tensions actuelles ne sont plus tellement le fait des belligérants d’origine européenne, comme lors des sept à huit derniers siècles, mais plutôt des pays émergents.

… et les conflits réorganisent le monde
Hormis les deux guerres du Golfe et la guerre Iran-Irak, les guerres des trente dernières années s’apparentent désormais à des opérations de police ou de maintien de la paix : Kolwezi, les Balkans, la Somalie, le Soudan, la Côte-d’Ivoire, même l’Afghanistan. Séparer des belligérants locaux ou éradiquer le terrorisme, tels sont les buts affichés, même si ces opérations ne sont pas dénuées d’arrière-pensées.

Les "nouveaux" dans le club nucléaire comme le Pakistan, la Corée du Nord, bientôt l’Iran, sont la cause de nouveaux armements. Défensifs en apparence — mais il est difficile de faire la part du strictement défensif et du potentiellement offensif –, mais ils poussent les pays tiers, partenaires ou voisins, à accroître leur propre armement. C’est l’exemple du déploiement du bouclier anti-missile américain en Europe qui fait réagir la Russie en modifiant sa stratégie.

Nous verrons la suite dès demain…

Meilleures salutations,

Jean-Claude Périvier
Pour la Chronique Agora

(*) Parallèlement à sa carrière dans le conseil aux entreprises et l’intelligence économique, Jean-Claude Périvier s’intéresse à la Bourse et à l’investissement depuis 1986. Analyste de talent, il excelle à détecter et anticiper les tendances futures… pour en déduire les meilleures opportunités de gain dans sa toute nouvelle lettre d’information, Défis & Profits.

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