Avec la tombée en disgrâce du nucléaire, le gaz naturel a le vent en poupe, disions-nous hier. Aujourd’hui, nous approfondissons un peu la question…
▪ Halte à la dépendance
Le gaz est une arme géopolitique. Pour l’Europe, les grands fournisseurs sont la Russie, et le MENA. Vous vous souvenez de l’épisode qui a vu le gaz russe se tarir lors d’un conflit entre la Russie et l’Ukraine. Le conflit avec la Géorgie et l’instabilité en Asie centrale ont conduit à la construction de pipelines au nord de l’Europe sous la Baltique, et au sud où la concurrence est exacerbée entre le pipeline sponsorisé par les Russes et un autre (Nabucco) plus indépendant
Le gaz de schiste est une réponse, puisqu’il se trouve réparti dans le monde, ce que la Russie ne voit pas d’un bon oeil. Le GNL est un autre élément de réponse, puisqu’il autorise un transport facile par mer en provenance de tous les points du globe. Toutefois, le risque est à prendre en considération avant tout investissement lié au gaz naturel.
▪ Le GNL s’impose et devient une alternative évidente
Le gaz naturel liquéfié est simplement du gaz naturel sous une forme liquide. Il est converti sous sa forme liquide par un refroidissement à -161°C. Ce processus de refroidissement réduit d’environ 600 fois le volume occupé par le GNL. Sous sa forme liquéfiée, le gaz naturel est beaucoup plus facile à transporter. Depuis plus de 50 ans, le GNL a été importé aux Etats-Unis sans accident majeur et sans créer de craintes particulières concernant la sécurité.
Le GNL n’est pas stocké sous pression et ses vapeurs ne sont pas explosives même s’il est mélangé avec l’air — sauf s’il rentre en contact avec un point d’ignition. Le GNL n’a pas d’odeur et n’est ni toxique ni corrosif. Supposez qu’il y ait une fuite quelque part, eh bien le gaz naturel liquéfié s’évapore rapidement, ne laissant aucun résidu. En fait, si on regarde l’aspect environnemental du produit, c’est vraiment un combustible propre : une fois qu’il a été à nouveau converti sous sa forme gazeuse, le GNL produit peu d’émissions lorsqu’il est brûlé.
▪ Les prix mondiaux ne resteront pas déprimés
Donc, voici un combustible qui est sûr. Mais est-il bon marché et y a-t-il une demande ?
Le gaz naturel est en forte concurrence avec le charbon. Environ 25% de toute l’énergie utilisée aux Etats-Unis provient du gaz naturel. Entre 1999 et 2009, le gaz naturel coûtait plus cher que le charbon. En 2010 cependant, le prix du charbon fit un bond en avant, rendant caduc son côté bon marché.
Cependant, au prix d’environ 14,3 $ le mètre cube, la plupart des producteurs de gaz naturel perdent de l’argent ; les producteurs de gaz de schiste devraient avoir des prix encore plus hauts pour ne pas perdre d’argent. Logiquement, ce niveau de prix bas entraîne mécaniquement une chute de l’offre.
D’un autre côté, les avancées technologiques, qui ont rendu possible l’exploitation des gaz de schiste, ont rendu le gaz abondant, avec l’incroyable montée des réserves américaines. Poussé par une envolée des prix du pétrole et une pression à la baisse des prix du gaz en raison de cette nouvelle abondance, le ratio de prix pétrole/gaz naturel est monté jusqu’à 30, alors qu’il avait longtemps été aux alentours de 10 à 12. Aujourd’hui, il est revenu à 26, ce qui veut dire que les opérateurs sont en train de basculer vers le gaz naturel.
Les prix du gaz dépendent des régions, et sont souvent liés au prix du baril de pétrole Brent. Or toutes les prévisions de revenus ont été faites avec un baril de Brent à 79 $… ce qui laisse une marge d’appréciation avec un Brent à 122 $ actuellement.
▪ Le GNL devient à la fois un combustible et un investissement
Le GNL est encore plus intéressant comme investissement que le gaz naturel conventionnel, car le gaz naturel est envoyé depuis les champs de production à travers des pipelines, ce qui en limite la destination à une région du monde avec un prix « régional ».
Mais le GNL, et les progrès survenus dans son transport, rendent possible pour les producteurs de satisfaire des clients beaucoup plus lointains. En convertissant le gaz naturel sous sa forme liquide, il est rentable de l’envoyer à travers les mers chez ces clients qui acceptent de payer un prix mondial beaucoup plus haut que le prix pratiqué aux Etats-Unis. Les prix actuels européens sont près de 11,30 $ par million de BTU (British Thermal Units), et le prix spot en Asie pour le GNL est entre 11 et 12 $ par million de BTU — contre 4,33 $ au Henry Hub spot price américain, la référence aux Etats-Unis. Et ça, c’était avant de considérer les événements dévastateurs du Japon !
Après le désastre, ce pays va se lancer dans une campagne de reconstruction que certains experts chiffrent à 300 milliards de dollars ou plus. D’un point de vue de l’énergie, on peut considérer que les réacteurs endommagés ne redémarreront jamais. A l’approche de l’été, le pays fait face à de sérieux déficits d’énergie, avec peu de moyens pour éviter la pénurie.
Déjà, le Japon est le plus grand importateur de GNL. Le gaz naturel, dont 95% arrivent sous forme liquéfiée, remplit 12% des besoins du pays. Les 2/3 de l’énergie consommée au Japon sont voués à la génération d’électricité. La pénurie d’énergie due à l’accident nucléaire doit être traitée, et rapidement. Le GNL est le candidat idéal pour combler ce vide.
Le gaz naturel va devenir un combustible beaucoup plus utilisé dans le monde alors que les pays tentent une transition vers les énergies renouvelables. Cela met en évidence les gains de long terme que l’on peut espérer en investissant sur les producteurs de gaz, comme celui que je recommande à mes lecteurs ce mois-ci dans Défis & Profits.
[Jean-Claude Périvier est notre spécialiste de la géopolitique ainsi que des investissements géostratégiques. En tant qu’entrepreneur il a appris que pour réussir il faut être visionnaire : identifier les méga-tendances de demain et y investir avant que le monde entier ne s’aperçoive de tout leur potentiel. C’est avec cette approche qu’il rédige chaque mois la lettre d’investissement Défis & Profits.]