La Chronique Agora

Gaz naturel : positionnez-vous avant que la machine s'emballe (1)

▪ Un marché en pleine évolution

En France, les tarifs de GDF, empêtré dans ses contrats avec Gazprom ou avec l’Algérie, ne cessent d’augmenter et de provoquer la grogne des consommateurs. En fait, les prix du gaz sont voués à une augmentation certaine. Il y a en effet une convergence de facteurs qui militent pour de futures augmentations du gaz :

– le retour de la demande, en particulier d’autres régions que les Etats-Unis ou l’Europe de l’Ouest ;

– la faiblesse du dollar US ;

– l’instabilité concernant les stocks ;

– les préoccupations concernant la contraction de la fourniture ;

– les fusions et acquisitions qui limitent la concurrence dans une industrie en consolidation.

Le gaz naturel n’a pas eu beaucoup la faveur des investisseurs ces derniers temps. Ils pensaient en effet qu’il était impossible de gagner de l’argent sur cette matière première. En réalité, la plupart des compagnies de gaz naturel gagnaient de l’argent malgré tout, soit parce que leurs coûts de production ont été plus faibles que les prix du marché, soit en se prémunissant par un hedging à des prix plus hauts.

En dépit du fait que le gaz naturel soit abondant, notamment aux Etats-Unis, ce n’est pas le principal obstacle à une hausse des prix. Il y a deux autres raisons majeures pour le manque de pénétration de cette énergie : pas assez d’utilisation dans le secteur des transports, et le lobby du pétrole.

En effet, pour utiliser le gaz dans les transports, cela nécessite à la fois des infrastructures et des véhicules ayant subi des modifications pour pouvoir héberger ce gaz naturel. Cela se développe ; par exemple j’ai vu de nombreux véhicules à gaz dans les pays émergents. Mais cela va encore trop lentement.

▪ Le marché du gaz va se restructurer

Ce retard, pour beaucoup, est de la faute des gouvernements qui n’ont pas assez fait la promotion du gaz naturel et ce en raison d’une certaine opposition des grandes compagnies pétrolières. Ce n’est pas que celles-ci dédaignent le gaz naturel, c’est même le contraire, mais en réalité, elles ne veulent pas du succès de cette énergie tant qu’elles n’auront pas établi de larges positions dans l’industrie du gaz naturel — ce qu’elles sont d’ailleurs en train de faire.

Les exemples ont fleuri ces derniers temps : Exxon Mobil a acheté un producteur de gaz naturel, XTO Energy, le Norvégien Statoil a pris une participation dans Chesapeake Energy, de même que le Chinois CNOOC.

Ce mouvement des compagnies pétrolières dans le marché du gaz naturel est important car il va permettre le développement des infrastructures indispensables afin de générer plus d’énergie pour une population en croissance permanente.

Ainsi, dans les années à venir, vous verrez que le gaz naturel va être largement adopté pour générer de l’électricité par les pays qui ne disposent pas d’une hydroélectricité abondante, ou qui veulent réduire la pollution atmosphérique sans pour autant développer le nucléaire. Bien que le gaz naturel ne soit pas à proprement parler une énergie propre, il est en tout cas beaucoup plus propre que le charbon qui continue à être utilisé dans des centaines de centrales électriques.

Le gaz naturel a d’autres avantages : d’abord, au fur et à mesure que les prix du pétrole continuent à monter, le gaz apparaît comme une alternative beaucoup moins chère. Le nucléaire est pratiquement le seul disposant d’un prix inférieur à celui du gaz naturel. La demande d’électricité étant de plus en plus grande, et compte tenu des amples réserves de gaz naturel, j’y vois un potentiel de production supplémentaire.

Au final, le gaz naturel va émerger en tant qu’alternative naturelle au pétrole, et par certains côtés, au nucléaire. Le gaz va devenir de plus en plus essentiel tandis que le monde évolue lentement vers les énergies renouvelables : l’existence d’importantes réserves de gaz de schiste en font un élément crucial. Un rapport récent d’une banque d’investissement canadienne (AltaCorp Capital) prévoit, à partir d’aujourd’hui, une augmentation de l’utilisation du gaz naturel de l’ordre de 80% jusqu’en 2050.

Un peu partout dans le monde, la pression est forte pour supprimer les centrales électriques alimentées au charbon. Aux Etats-Unis par exemple, 60 GW de capacités seront retirés du réseau d’ici 2020, soit à peu près le double de ce qui a été retiré durant les 10 dernières années. On va donc assister à un grand mouvement pour remplacer les centrales actuelles par d’autres, basées sur des énergies renouvelables ou le gaz naturel.

Le gaz naturel remplacera plus de 20% de la génération d’électricité par charbon dans les quelques années qui viennent, ce qui se traduit par un besoin de 140 millions de mètres cubes par jour dès 2015. Voilà qui explique la rapide expansion de l’extraction de gaz non conventionnel, en dépit d’un prix de marché qui reste déprimé.

▪ Le gaz de schiste à la rescousse

Satisfaire cette demande croissante implique d’obtenir du gaz à partir de sources non conventionnelles, comme par exemple des formations de gaz de schiste. Les réserves de gaz de schiste sont considérables aux Etats-Unis, mais pas seulement. Même en France, il semblerait qu’il y ait des réserves plus que significatives. Les Etats-Unis seraient le second plus grand détenteur de réserves de gaz naturel. Un rapport de l’administration de l’Energie américaine laisse entendre que les réserves de gaz de schiste, dans 32 pays autres que les Etats-Unis, devraient représenter à peu près 100 milliards de mètres cubes de gaz disponible, ce qui représente sept fois les réserves connues aux Etats-Unis.

La Chine a les plus grandes réserves de gaz de schiste connues en dehors des Etats-Unis, devant l’Argentine, le Mexique, l’Afrique du Sud, l’Australie, et le Canada. Le rapport d’AltaCorp Capital ne parle pas de la Russie, du Moyen-Orient, et de certaines parties de l’Asie et de l’Afrique, qui sont pourtant connus pour disposer de réserves de gaz naturel conventionnel.

La possibilité de puiser dans ces sources pourrait augmenter de manière significative l’offre globale de gaz naturel. Encore faut-il pouvoir le faire… La capacité des sociétés américaines à forer les schistes a créé un boom de l’offre l’année dernière, ce qui a permis de garder des prix raisonnables. Bien que beaucoup de pays disposent de réserves, tous n’ont pas la technologie disponible pour extraire ce gaz des formations schisteuse. De nombreuses compagnies étrangères ont cherché à prendre des participations dans des compagnies américaines ou canadiennes qui ont le savoir-faire pour forer dans les schistes.

Voilà qui peut donner lieu à une vague de fusions-acquisitions. Les deals sont en effet nombreux : Petrochina paye Encana pour disposer d’une partie de son gaz de schiste, BHP Billiton prend une participation dans un champ de Chesapeake Energy aux Etats-Unis, les Japonais ne sont pas en reste : ainsi Marubeni Corp. paye 270 millions de dollars américains pour disposer d’un tiers des réserves d’un champ de Marathon Oil.

Nous verrons la suite dès demain…

[Jean-Claude Périvier est notre spécialiste de la géopolitique ainsi que des investissements géostratégiques. En tant qu’entrepreneur il a appris que pour réussir il faut être visionnaire : identifier les méga-tendances de demain et y investir avant que le monde entier ne s’aperçoive de tout leur potentiel. C’est avec cette approche qu’il rédige chaque mois la lettre d’investissement Défis & Profits.]

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