La Chronique Agora

Gaz naturel : la guerre est déclarée

Ceux d’entre vous qui lisent le conservateur Times savent que le sensationnalisme n’est pas trop le genre de la maison. Je vous laisse donc juge des lignes suivantes, parues le 15 octobre dernier dans le quotidien britannique :

Une grande guerre se prépare en Europe
"L’épicentre du conflit est situé en Allemagne, en Autriche, en Hongrie et en Italie. Il y aura des batailles en mer du Nord ; une offensive d’Afrique du Nord vers les côtes italiennes, et le sud de la France. La confrontation finale pourrait déboucher sur un débarquement de l’Angleterre en France et au Benelux."

L’objet de cette guerre ?
"Le gaz naturel : le contrôle des prix pour ce carburant est crucial. Mais on ne va pas se battre pour des parts de marché. L’enjeu du conflit est plus fondamental : c’est la maîtrise du mécanisme de fixation des prix, la façon même dont le gaz se négocie en Europe."

"Il s’agit d’un affrontement idéologique entre les tenants du libre marché et les défenseurs de la régulation. C’est aussi un combat autour de 30 milliards de dollars de profits ou de pertes potentiels, liés aux excédents gaziers…"

Le Times n’a pas tort de battre ainsi le tambour : il y a de l’eau dans le gaz européen en ce moment — et c’est plutôt de l’eau lourde.

Les hostilités sont ouvertes.

Le rapport de forces a changé
Pourquoi ? Parce que depuis la récession, les prix du gaz sont en chute libre…

Et les shales y sont pour beaucoup !

Sur les marchés "spot" (au comptant), les cours ont été divisés par 3,5 en l’espace de 12 mois. Vous me direz que vous n’en avez guère vu la couleur sur votre facture : mais tel est précisément l’argument des gaziers comme GDF.

Les fournisseurs ne veulent rien entendre
Le Times l’explique fort bien : "D’un côté, les fournisseurs ne veulent rien entendre : Gazprom en Russie, Sonatrach en Algérie, StatoilHydro en Norvège. Ces opérateurs vendent essentiellement leur gaz selon des contrats de type take or pay."

Il s’agit d’accords à long terme où les prix, mais aussi les volumes, sont régulés. Vous signez pour un volume annuel et, si jamais vous ne prenez pas tout le gaz mentionné sur le contrat, vous devrez le payer quand même, à un prix indexé sur les cours du pétrole, quitte à vous faire livrer plus tard…

En face, poursuit le Times, les acheteurs fulminent :
"Centrica au Royaume-Uni, E.ON en Allemagne, ENI en Italie, GDF SUEZ en France… Ils voient les cours au comptant dévisser sur tous les marchés liquides… Mais ils ont déjà payé leur gaz à la Russie, à un prix indexé sur le cours du brut — cours qui s’obstine à tutoyer les sommets !"

Trop de gaz tue le gaz
Récession oblige, ces acheteurs européens ont aussi sur les bras des excédents de gaz à ne savoir qu’en faire. On estime ces surplus à plus d’une trentaine de milliards de dollars pour l’Europe entière. C’est au point que certains n’hésitent plus à les brader sur les marchés au comptant…

Pas étonnant que les acheteurs en aient assez. Comme expliqué plus haut, il se pourrait que la notion d’indexation du gaz naturel sur les cours pétroliers ait vécu.

Les acheteurs réclament une remise à plat du système de pricing du gaz :
Les contrats à long terme, l’engagement sur les volumes, l’indexation des prix…

Ont-ils les moyens de se faire entendre ?

L’ogre russe n’entend pas se laisser faire !
Gazprom qui use de son hégémonie sur les approvisionnements gaziers européens, a cassé sa tirelire pour mener à bien ses chantiers pharaoniques de gazoducs : il s’agit pour lui de les rentabiliser, et il n’hésiterait sans doute pas à couper les vannes pour appuyer son point de vue…

La réponse dépendra :
– de la diplomatie ;
– de la concurrence : le projet européen Nabucco (concurrent du gazoduc North Stream/Gazprom), l’approvisionnement en GNL… ;
– et de l’Eldorado des shales européens.

L’Europe dispose d’un atout géologique en la matière
Les sous-sols d’Europe du Nord, morceau de l’ancienne Pangée, probablement riches de réserves immenses de gaz naturel, notamment sous forme schisteuse.

"Le boom des gaz schisteux est en passe de prendre une envergure mondiale, écrit le New York Times. C’est une ressource abondante et bon marché. Rien n’arrêtera sa croissance."

Affaire à suivre de près…

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