La Chronique Agora

Gaz : la bataille des tuyaux est engagée

▪ Dans ma lettre, Défis & Profits, je parle régulièrement depuis plusieurs mois de l’investissement dans le secteur gazier. Nous avons déjà plusieurs titres de ce secteur industriel en portefeuille et je proposerai à mes lecteurs de se renforcer dans les mois qui viennent.

Le gaz est en effet naturellement abondant ; les réserves sont colossales dans de nombreux pays comme ceux d’Asie centrale, la Russie, ou encore l’Indonésie, l’Australie, le Brésil (des émergents, vous l’aurez remarqué). Mais deux éléments relativement récents mettent en lumière tout l’intérêt que vous devez porter au gaz.

Le premier est le formidable progrès technique qui permet d’aller chercher le gaz de schiste en procédant à la fracturation hydraulique des roches qui le retiennent prisonnier. Le shale gas, ainsi nommé par la profession, a fait son apparition il y a quelques années aux Etats-Unis mais des études géologiques ont démontré que beaucoup de pays disposaient de ce type de ressources : la Russie, la Grande-Bretagne, la Pologne, pour n’en citer que quelques-uns.

▪ Parlons GNL
Encore faut-il un consensus politique pour autoriser ce type de forage dont les populations craignent les effets de bord (pollution, tremblements de terre…). Mais l’abondance de cette ressource a déjà eu des conséquences vertigineuses : aux Etats-Unis, l’abondance de gaz ainsi a conduit à un effondrement du prix du gaz. Deuxième conséquence, les Etats-Unis vont vraisemblablement devenir dans les prochaines années un pays exportateur de gaz. Cela m’amène au deuxième élément qui révolutionne le secteur : l’émergence du Gaz Naturel Liquéfié (GNL).

Jusqu’à maintenant, extraire le gaz c’était bien, mais encore fallait-il le transporter du champ gazier du pays producteur jusque chez le consommateur. Pour cela, les compagnies avaient recours à des gazoducs qui présentaient plusieurs inconvénients : une dépendance au producteur, des contrats de longue durée fixant des prix et des volumes, les « péages » pratiqués par les pays traversés, une vulnérabilité aux éventuels attentats dans ces pays en cas de déstabilisation politique, un manque de flexibilité (les gazoducs étant par nature immobiles).

La maîtrise de la liquéfaction permet désormais de forer et de liquéfier sur place, souvent offshore, de transporter le liquide sur les océans jusqu’au pays destinataire où le gaz liquéfié retrouve sa nature gazeuse. La souplesse induite ne vous échappera pas : choix du pays producteur, choix du trajet, choix du transporteur, choix du pays destinataire, la concurrence impliquant un pouvoir de négociation accru pour fixer le prix de référence.

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Cette montée en puissance se produit au moment où la consommation mondiale de gaz progresse, des usines remplaçant le traditionnel charbon par le gaz moins polluant, plus facile d’emploi et plus économique. Et puis il y a eu Fukushima et l’arrêt des réacteurs japonais qui a nécessité de produire de l’électricité à partir de centrales au gaz, facilement importé sous forme de GNL.

Voilà pour le futur qui se dessine. Cela ne veut évidemment pas dire que c’est la fin du bon vieux gazoduc traditionnel, bien au contraire. Sur ce créneau, la concurrence fait rage, économiquement comme géopolitiquement.

▪ Des projets un peu partout en Europe…
Ainsi plusieurs projets s’affrontent pour amener le gaz de la mer Caspienne vers l’Europe occidentale. Le projet Nabucco, poussé par la Commission européenne, transporterait le gaz d’Azerbaïdjan, permettant ainsi de desserrer l’étau pratiqué par le Russe Gazprom, fournisseur actuel de l’Europe à hauteur d’un tiers des besoins.

Il est concurrencé par le projet SEEP (animé par BP), moins onéreux car utilisant des tronçons déjà en place en Turquie, et par le projet Tanap (animé par Socar, la compagnie azerbaïdjienne). Chaque projet a en fait des arrière-pensées géopolitiques car chaque intervenant cherche à s’affranchir de tout acteur qui pourrait, un jour, devenir bloquant. Pour tout producteur comme pour tout consommateur, le contrôle des tuyaux est fondamental.

Si les tracés sont assez proches de l’Asie centrale jusqu’à la côte ouest de la Turquie, la bataille se poursuit entre différents projets pour franchir l’étape des Balkans. Nabucco file sur Vienne à travers la Roumanie et la Hongrie ; le projet TAP rejoint l’Italie en passant par la Grèce et l’Albanie, le projet ITGI aboutit en Italie après avoir traversé la Grèce. Le projet Nabucco, financé par les pays consommateurs, a du mal à aboutir, son coût élevé étant justifié par le passage, en outre, de gaz en provenance d’Irak et d’Iran, ce qui reste bien hypothétique.

La liaison Asie centrale-Europe n’est pas la seule à agiter les professionnels des gazoducs, le Nouveau Monde n’est pas en reste.

▪ … et aux Etats-Unis
Ainsi la course est lancée au Canada et le gagnant est sûr d’engranger de solides profits. Il s’agit de véhiculer les gigantesques quantités de gaz et de pétrole sortant des sables bitumeux.

Transcanada Corp. a vu son projet Keystone XL, destiné à transporter les hydrocarbures du Canada jusqu’aux raffineries du golfe du Mexique, bloqué par Barack Obama pour satisfaire les écologistes, au moins le temps de sa campagne électorale, tandis que Enbridge pouvait avancer ses pions en optimisant des tuyaux existants.

C’est ainsi que la compagnie a contribué à désengorger les stocks américains de Cushing en Oklahoma, inversant les flux du pipeline Seaway. Enbridge récidive avec l’activation de plusieurs segments existants qui permettent de transporter du gaz ou du pétrole du Canada vers le sud des Etats-Unis.

Enfin, la concurrence est acharnée pour transporter des hydrocarbures de l’Alberta vers la côte Pacifique afin de les acheminer vers la Chine et l’Extrême-Orient : Enbridge, encore elle, progresse dans les autorisations de son pipeline Northern Gateway traversant les Rocheuses jusqu’au nord de Vancouver, tandis que Kinder Morgan Energy Partners propose une extension de son pipeline Transmountain vers le Pacifique.

▪ Quand la géopolitique s’en mêle
Si les enjeux nord-américains sont surtout économiques, les intérêts dans l’exploitation des pipelines peuvent prendre une tournure géopolitique beaucoup plus aiguë.

Les Egyptiens ont par exemple décidé de ne plus livrer de gaz à Israël via le gazoduc du Sinaï, pour défaut de paiements. Il faut dire que depuis la révolution égyptienne de février 2011, ce gazoduc fait l’objet d’attentats au rythme effréné d’un par mois en moyenne, ce qui a entraîné ce conflit d’apparence commercial. Mais Israël a découvert des champs gaziers importants au large de ses côtes en Méditerranée, ce qui pourrait en faire à moyen terme un exportateur de gaz naturel — et qui n’est évidemment pas du goût des puissances de la région.

Vous le voyez, cher lecteur, le gaz naturel n’a pas fini d’être au centre des préoccupations économiques et politiques des acteurs de l’énergie.

Même si les producteurs américains sont actuellement à des prix que l’on peut considérer comme bradés et peuvent représenter une bonne opportunité à long terme, je pense qu’il est préférable d’orienter vos investissements vers les « outils » qui permettent d’exploiter le gaz naturel, un peu comme « les pelles et les pioches » de la ruée vers l’or. Les opérateurs de gazoducs y sont au premier rang, mais je vous proposerai bientôt d’autres acteurs intéressants dans Défis & Profits.

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