La Chronique Agora

Gare aux promesses du métavers

métavers

Présenté par certains comme « le nouvel Internet », le métavers n’est probablement pas si innovant qu’il en a l’air. En effet, il existe déjà des exemples d’univers virtuels et le moins que l’on puisse dire, c’est que les résultats ne sont pas souvent au rendez-vous.

Ils n’ont plus que ce mot à la bouche.

Oubliez le Covid, les biotech ou même la crise du semi-conducteur : les investisseurs portés sur les nouvelles technologies n’ont d’yeux que pour le métavers. Même la maison-mère de Facebook, le plus connu des réseaux sociaux, a désormais été renommée Meta Platforms, Inc.

Ce qui est présenté comme le « nouvel Internet » mérite-t-il vraiment cette attention ? Faut-il y rediriger votre épargne sous peine de manquer la prochaine révolution technologique ? Je vous proposer de décrypter ce nouveau secteur, ce qu’il pourrait apporter à vos investissements et, surtout, ce qu’il ne sera pas, malgré les promesses non dénuées d’arrière-pensées de Wall Street.

Qu’est-ce que le métavers ?

Le néologisme métavers (contraction de méta et univers) regroupe l’ensemble des univers virtuels immersifs et non scénarisés. Il prend tout son sens en ligne, au travers d’Internet, pour que des personnes du monde entier puissent s’y connecter, et devrait, selon ses supporters, connaître son heure de gloire avec la démocratisation de la réalité virtuelle.

Celle-ci permet, en effet, de nous plonger (au niveau de la vue, du son, voire du toucher), dans un univers virtuel réaliste. Comme Internet, le métavers en tant que technologie a vocation à être agnostique. L’idée n’est pas de suivre un scénario prévu d’avance dans un monde numérique comme dans un jeu vidéo, mais de rejoindre un espace neutre dont l’intérêt vient de ce qui y est fait.

Pensez, par exemple, à un espace vide où des visiteurs, modélisés par des personnages en trois dimensions, viendraient discuter ; à une agence bancaire virtuelle où vous pourriez rencontrer un conseiller « en chair et en os », à une vraie-fausse plage paradisiaque où vous pourriez passer du temps – en réalité virtuelle – avec vos petits-enfants qui se trouvent pourtant à des centaines de kilomètres de vous…

Sur le papier, le métavers peut démultiplier nos possibilités de communication et d’échange d’information. En pratique, l’idée est moins révolutionnaire qu’il n’y paraît.

L’éternel retour du métavers

L’idée de métavers est vieille comme l’histoire des télécommunications.

Les chat rooms, ces salons de discussion textuels d’Internet, en sont sans doute la première implémentation à grande échelle (si l’on fait abstraction des premiers balbutiements sur Minitel qui restèrent confinés à l’Hexagone). Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des personnes des quatre coins du monde pouvaient se retrouver et discuter librement, sans limite, et pour un coût dérisoire.

Les chat rooms, premier métavers textuel. Photo : CC

Les discussions en ligne ont, sans conteste, parfaitement joué leur rôle de facilitateur de communication. Aujourd’hui, il est plus simple que jamais de passer une commande, discuter avec un conseiller, ou échanger quelques mots avec des collègues ou des proches – le tout sans se déplacer.

La seconde incarnation du métavers fut l’arrivée de la vidéo-conférence. Encore anecdotique et hors de prix dans les années 1990, elle se démocratise avec l’arrivée du haut débit dans les années 2000 et fut popularisée par les confinements durant la pandémie de Covid-19. Une nouvelle fois, nous avons pu constater qu’il est plus agréable et efficace de discuter de vive voix et de visu que par messages textuels, fussent-ils instantanés.

Pourtant, au-delà des échanges amicaux et familiaux, les travailleurs confinés ont rapidement remarqué que les vidéo-conférences n’étaient pas qu’un outil de productivité, mais aussi une manière de reproduire à domicile la perte de temps de certaines réunions…

Le déclin de l’utilité marginale des nouvelles technologies

C’est là que le bât blesse : les technologies de la communication sont soumises à la loi du déclin de l’utilité marginale, qui stipule que plus une bonne chose est répétée, moins elle a d’effets positifs.

Passer du pigeon voyageur au télégramme était une révolution. Passer de la lettre à l’e-mail en était une autre. Passer de l’écrit à l’oral, tout aussi efficace.

Mais passer de l’e-mail au SMS et de la voix à la vidéo apporte un progrès plus discutable. Le gain de productivité induit n’est pas clairement compensé par la perte de temps causée par l’augmentation des échanges « inutiles » causés par la facilité d’utilisation. A ce titre, l’arrivée des SMS, de WhatsApp et autres Skype n’ont pas causé d’augmentation de la productivité mondiale comme celle du télégraphe, du téléphone ou de l’e-mail.

Les métavers, qui ne sont ni plus ni moins que des salles de discussions multi-sensorielles, pourront-ils vraiment créer de la richesse au niveau global, ce qui est le seul moyen pour une innovation technologique d’être profitable ? Rien n’est moins sûr, si l’on en croit les expériences passées.

Les promesses non tenues des métavers

Il existe déjà des métavers, et nous sommes déjà capables de déterminer leur impact macro-économique.

Le plus connu d’entre eux est sans doute Minecraft, un univers virtuel aux graphismes volontairement naïfs dans lequel les participants sont libres de leurs actions. Construction, échange et même destruction : les actions dans ce monde qui n’est pas vraiment un jeu vidéo classique n’obéissent à aucun scénario pré-écrit.

De fait, pour ceux qui s’intéressent au sujet, il est fascinant de constater à quel point le libéralisme absolu qui règne sur cette plate-forme a permis l’éclosion d’échanges, de nouvelles formes d’art, et d’une économie parallèle. Cette dernière s’est même transposée dans l’économie réelle avec des échanges de biens numériques payés en devises sonnantes et trébuchantes.

Minecraft est sans doute le plus populaire des métavers. Crédit : Minecraft

Son ancêtre, Second Life, a été le premier métavers digne de ce nom. Lancé en 2003, avec des graphismes révolutionnaires pour l’époque, il permettait lui aussi aux participants de modeler leur univers à l’envi. Ici encore, créativité et économie parallèle furent au rendez-vous, et le ruissellement dans l’économie réelle bien présent.

En 2007, plus d’un million de personnes se connectaient mensuellement à Second Life et la pandémie lui a donné une nouvelle jeunesse avec plus de 900 000 utilisateurs actifs. Il ne lui manque, à vrai dire, que des images photo réalistes pour concurrencer les métavers imaginés en 2021.

Second Life, le pionnier des métavers en 3D, est encore bien vivant. Crédit : Second Life

Quels sont les enseignements économiques à tirer de ces deux métavers ? Le premier est que les utilisateurs sont bel et bien disposés à dépenser de l’argent réel pour acheter des biens virtuels. Lorsque l’on passe plusieurs heures par jour dans un monde numérique, le besoin de personnalisation est tel que l’on est prêt à renoncer à des biens matériels et céder de l’argent durement gagné pour acheter ce qui n’est, au final, que des pixels sur un écran d’ordinateur.

Le second enseignement est que la transcription en activité productive est plus difficile. De nombreuses entreprises ont tenté une incursion dans Second Life. Adidas, Belgacom, Dell, Nokia, Orange, Reuters ou encore Sun Microsystems ont toutes eu une présence virtuelle – pour des résultats discutables.

Le pari de la dernière chance de Facebook ?

Le fait est que le métavers semble, à ce stade, seulement capable de jouer le rôle d’espace publicitaire en ligne. Ce n’est en soi pas rédhibitoire, mais cela signifie que l’argent qui sera drainé dans le métavers viendra se soustraire aux budgets actuellement captés par la publicité en ligne.

C’est un problème car Google, Facebook et consorts ont fait leur fortune en siphonnant les budgets publicitaires qui revenaient précédemment à la presse papier, à la télévision et à la radio. Nous savons depuis dix ans que le « miracle économique » de la publicité en ligne fut en fait un jeu à somme nulle. Les GAFAM n’ont pas créé de richesse publicitaire, mais ont seulement pris une part du gâteau.

A ce titre, le métavers, s’il se démocratise comme espéré par Mark Zuckerberg, viendra se substituer aux budgets actuellement dépensés par les entreprises de l’économie réelle pour leurs annonces publiées sur Google et Facebook.

Au niveau macro-économique, rien ne laisse présager à ce stade d’un quelconque effet vertueux du métavers tant qu’il ne conduit pas à une amélioration de la productivité. Au niveau micro-économique, c’est peut-être le pari de la dernière chance pour Facebook.

Alors que le réseau social est désormais considéré comme « ringard » par les jeunes générations et peine à recruter de nouveaux abonnés (son chiffre d’affaires du T3 2021 était en baisse de 1,7% par rapport à 2020, et son Ebitda a plongé de 4,2% sur un an), sa planche de salut semble être de séduire les plus jeunes avec des mondes virtuels.

A la clé : un possible maintien des recettes publicitaires. Mais en aucun cas une croissance fulgurante – ni pour le groupe Meta, ni pour le reste de l’économie réelle.

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