Par Marc Mayor (*)
Vous vous en souvenez certainement : Isabelle Mouilleseaux nous a déjà parlé des terres rares, ces métaux indispensables à la haute technologie.
En 2007, le National Research Council américain les a considérés comme stratégiques pour l’économie et la sécurité des Etats-Unis, au même titre que l’indium, les platinoïdes et le niobium.
De son côté, Byron King notait que la Chine détient 97% des gisements mondiaux connus de terres rares.
Vous vous souvenez des frères Nelson et Bunker Hunt ?
Ces Texans qui avaient décidé de "squeezer" le marché de l’argent-métal il y a 30 ans… En fin de compte, ils avaient échoué, je vous le concède ; mais l’argent était tout de même passé de 11 à 50 dollars l’once en quatre mois.
A mon avis, le céleste empire est mieux organisé que nos deux cow-boys de l’époque.
Echec et mat !
Tout d’abord, la tradition asiatique se rit du court terme : Deng Xiaoping avait affirmé, en 1997 déjà, que la Chine serait pour les métaux rares ce que le Moyen-Orient est pour le pétrole. Echec et mat, serait-on tenté de dire 12 années plus tard. Maintenant que les Chinois ont verrouillé cette ressource, les quotas d’exportation risquent de se réduire à une peau de chagrin.
Vous souhaitez construire une turbine à vent, une ampoule basse consommation ou une voiture hybride électrique ? Pas de problème : il suffit de construire une usine en Chine, avec du personnel local. Ainsi, l’empire du Milieu acquiert la technologie et le savoir-faire pour pouvoir se débrouiller tout seul dans une génération ou deux.
Mieux : comme plus de neuf usines sur 10 actives dans ces hautes technologies se verront forcées de venir y réaliser leurs produits, il n’y aura probablement plus suffisamment d’experts non-chinois dans ce secteur d’ici une cinquantaine d’années.
L’alternative ?
Seule autre solution, à l’heure actuelle : tenter de s’approvisionner auprès des 3% de producteurs de terres rares pas encore sous le contrôle de la République populaire.
Selon des officiels nippons cités par le Times, un tsunami de panique invisible se prépare pour l’industrie japonaise, qui importe la quasi-totalité de ses besoins en terres rares. Toyota et d’autres se ruent actuellement au Vietnam et en Malaisie avant qu’il ne soit trop tard ; à long terme, toutefois, leurs efforts font autant de bien qu’un sparadrap sur une jambe de bois.
Ne commettez pas l’erreur du débutant
Si vous faites partie des profanes, votre réaction sera peut-être de sauter sur le premier investissement occidental lié aux terres rares, comme une société qui rouvrirait une mine aux Etats-Unis, ou encore une entreprise mettant sur pied une grosse raffinerie destinée aux terres rares. Ce faisant, vous pourriez commettre une erreur de débutant.
Vous avez vu le film Le Sucre ?
Contrôler l’accès à une matière ne signifie pas que le prix du sous-jacent soit nécessairement élevé. Comme disait Grezillo, l’industriel qui manipule les prix du sucre dans le film : "amusez-vous les Parisiens, prenez-en ! Il va faire beau. Mais à 8 000, stop ! Danger ! A 8 000 la tonne, je ne veux plus voir personne. A 8 000, je tire la trappe. Plouf !"
Ainsi, si la Chine, contrôlant le marché, décide de couler ses rivaux étrangers, il lui suffira de tirer la trappe : les usines basées dans le pays pourront se procurer des métaux rares à bas prix, et votre investissement fera "plouf", comme le sucre de Grezillo. Alors attention à ces sociétés dont les projets, basés en Malaisie ou en Australie, semblent viables tant que les prix se maintiennent.
Jouer les producteurs non-chinois à la baisse, alors ?
N’y pensez même pas : il suffit qu’une entreprise du céleste empire fasse une offre publique d’achat pour que vous perdiez votre chemise.
Il devrait être possible de gagner beaucoup d’argent grâce aux terres rares, quoi que fassent les indices
Non, la meilleure solution passe probablement par un arbitrage neutre au marché, en se rangeant du côté des initiés. Un exemple pourrait être de miser sur la hausse, à terme, d’un producteur qui roule pour la Chine, tout en spéculant, à la baisse, sur une société qui risque de connaître des difficultés pour s’approvisionner, soit en raison de sa taille (trop petite pour s’implanter seule en Chine), soit en égards à des aspects politiques (impossibilité de livrer des secrets de fabrication américains, notamment pour tout aspect touchant à la défense et à l’armement).
Ainsi, il devrait être possible de gagner beaucoup d’argent grâce aux terres rares, quoi que fassent les indices, et quels que soient les prix des sous-jacents. Comme disent les Américains, toujours si pragmatiques : si tu ne peux pas les battre, joins-toi à eux !
Meilleures salutations,
Marc Mayor
Pour la Chronique Agora
(*) De nationalité suisse, Marc Mayor est le fondateur d’Inside ALPHA, service d’information et de conseils financiers. Actif en Bourse depuis 1987, Marc Mayor a affiné au fil des ans une approche solide et disciplinée de l’investissement, basée sur le money management, une gestion rigoureuse du risque et des stratégies neutres au marché. Marc intervient régulièrement au sein de L’AGEFI Suisse, et participe à de nombreuses conférences pour investisseurs individuels. Vous pouvez le retrouver sur le site Le Coin des Insiders.