La Chronique Agora

Une froide journée en enfer (2/2)

Chine, planification, croisade, transition énergétique

La Chine a déjà suivi la voie de la planification absolue de l’économie. Si les gouvernements actuels veulent suivre le même chemin, ils pourraient obtenir les mêmes résultats…

Nous parlions hier d’événements qui peuvent réduire à néant l’épargne d’une vie. Pour ceux dont l’essentiel de la richesse se trouve dans la valeur de leur maison, par exemple, il suffit d’un effondrement du marché immobilier.

Certains événements vont atteindre même ceux qui ont prévu beaucoup de possibilités de krachs, et se sont préparés en conséquence. C’est le cas de l’hyperinflation, comme celle qui a touché l’Allemagne dans les années 1920. Comme l’expliquait l’écrivain Stefan Zweig, « réparer une fenêtre cassée coûtait plus que toute la maison n’avait coûté autrefois. »

Un autre exemple d’événement pratiquement inévitable pour tous les habitants d’un pays est celui de la Chine communiste.

Le grand bond en avant

A la fin des années 1950, la Chine a entamé une campagne ambitieuse pour se moderniser. Sous la houlette de Mao Zedong et du parti communiste, les Chinois se sont lancés dans une grande croisade.  Toute la société – son gouvernement, sa politique, son économie, ses finances et ses industries… tous ont été réunis, telle une armée d’assaut, pour transformer la Chine en une puissance industrielle moderne.

A l’époque, la Chine était une société agraire. La plupart des gens travaillaient encore la terre… et s’en tenaient à leur mode de vie traditionnel. Ce n’était pas l’économie la plus sophistiquée du monde. Mais elle était capable de faire vivre 600 millions de personnes.

Dans le nouveau plan de Mao, les agriculteurs ont été forcés de travailler dans des fermes collectives. Les parcelles privées sont devenues illégales. Les personnes qui tentaient de conserver leurs propres jardins étaient qualifiées de « contre-révolutionnaires » et souvent torturées, emprisonnées, tuées ou forcées de travailler jusqu’à la mort.

De même, les coutumes de la campagne étaient interdites. Les mariages, les funérailles, les fêtes – les rituels traditionnels des sociétés locales, vernaculaires – sont proscrits. Ils ont été remplacés par des réunions de propagande et des « sessions de lutte », au cours desquelles les « négateurs » et les paysans non reconstruits étaient battus… forcés d’admettre leurs crimes… et souvent tués.

Au début, Mao avait joué un petit tour à ses ennemis. Il a invité la critique. Cela a permis de débusquer ses adversaires, les intellectuels conservateurs, et les « éléments bourgeois ».  Plus tard, ces personnes ont été ciblées. Les intellectuels ont été envoyés à la campagne, où ils ont été mis au travail et affamés. Les résistants étaient torturés, jugés et exécutés.

Les critiques ont appris à se taire. Même au plus fort de la folie… quand des millions de personnes mouraient, et qu’il était évident que la croisade modernisatrice était un échec épouvantable… il y avait très peu de critiques ou de débats.

Le grand gaspillage

Mao ne connaissait rien à la métallurgie. D’une manière ou d’une autre, il a été convaincu, comme le sont souvent les ignorants confiants, que les paysans pouvaient fabriquer de l’acier dans des petits fours d’arrière-cour. Des millions d’arbres ont été abattus pour allumer ces aciéries primitives. Des milliards d’heures de travail ont été gaspillées à essayer de faire ce qui ne pouvait pas être fait. Le résultat n’était que quelques morceaux de fonte inutile.

Pendant ce temps, ceux qui restaient dans les fermes recevaient de nouvelles directives – de bureaucrates qui ne connaissaient rien à l’agriculture. On leur a dit de labourer plus profondément, en croyant que les racines auraient plus de place pour pousser… et de planter les graines plus près les unes des autres pour augmenter la récolte.

Ensuite, les décideurs ont fixé des quotas de productivité basés sur leurs projections fantaisistes et ont confisqué presque toute la nourriture que les fermes produisaient réellement.

Ailleurs, les récoltes n’ont pas été moissonnées, parce que tant de gens ont été détournés vers la campagne infructueuse de fabrication d’acier dans leurs fours miniatures.

Le résultat fut la plus grande famine de l’histoire, provoquée par l’homme… et inutile.

Combien de morts ? Peut-être 30 millions. Peut-être 50 millions. Jung Chang et Jon Halliday, les historiens qui ont écrit ce que beaucoup considèrent comme la biographie définitive, Mao : l’histoire inconnue, en ont compté 70 millions. Bien sûr, personne ne le sait exactement. Mais la souffrance était d’une ampleur inégalée depuis que la peste noire a hanté l’Europe. Des familles entières tentaient de survivre en mangeant des écorces d’arbre et de l’argile… mais mouraient quand même de faim. De nombreux rapports font état de cannibalisme. Tenter de s’échapper ou mendier était puni, même de mort.

En plus de la famine, la police et la milice communistes ont fait leur part. Dans leurs efforts pour imposer le Grand Bond en avant au peuple, ils auraient torturé et tué plus de 2 millions de personnes.

La prochaine grande croisade

Le Grand Bond en avant de la Chine mérite d’être étudié. Parce qu’il s’agit d’une histoire récente, qui s’est déroulée au cours de la vie de nombreuses personnes lisant ces lignes.

La science était déjà bien développée, notamment la chimie, la métallurgie et l’agriculture.

La Chine, malgré tous ses défauts, avait des automobiles et des trains… des tracteurs et des camions. Et elle avait une culture civilisée vieille de plusieurs milliers d’années.

Et pourtant, son élite – alors à la tête du parti communiste – pensait qu’elle savait mieux que tout le monde ce qui serait utile. Même lorsqu’elles ont constaté que leur nouvelle croisade allait en fait réduire le PIB et la population de la Chine, elles ont refusé d’admettre leur échec. Au lieu de cela, elles se sont accrochées, abandonnant progressivement et discrètement les pires éléments du programme.

Au début des années 1960, le président Mao était responsable de la mort de millions de ses compatriotes. Mais il n’a été ni disgracié ni pendu… au contraire, il est devenu un héros et a repris le pouvoir en 1966. Ensuite, il a commencé une autre grande croisade, la révolution culturelle, qui a causé peut-être un million de morts supplémentaires.

Comment cela a-t-il été possible ? Comment tant de gens ont-ils pu se laisser intimider et embobiner par des programmes aussi meurtriers ?

Les gens ne sont ni toujours bons ni toujours mauvais… ni toujours intelligents ni toujours bêtes… mais toujours soumis à des influences. Et ces influences ne sont pas toujours bonnes. Les grandes gueules, les fouineurs et les monstres avides de pouvoir causent toujours des problèmes. Puis ils proposent des solutions qui sont pires que les problèmes qu’ils sont censés résoudre.

Il n’existe aucune trace d’une croisade publique, destinée à rendre le monde meilleur, qui l’ait réellement fait. Les grandes croisades du Moyen Age, les guerres de religion des XVe, XVIe et XVIIe siècles, la Révolution française et la Terreur, la Première Guerre mondiale, la Révolution russe, l’Allemagne nazie, l’Union soviétique… La prohibition, la guerre contre la pauvreté, la guerre contre la drogue, la guerre contre le terrorisme – toutes ont été des désastres.

Et, maintenant, les mêmes personnes qui vous ont apporté ces merveilleuses mésaventures vous apportent une autre grande campagne. C’est peut-être la croisade la plus ambitieuse de l’histoire de l’humanité.

Comme le Grand Bond en avant, elle est menée par des fanatiques. La dissidence est réprimée comme de la désinformation. Et elle mettra fin à notre économie traditionnelle.

Il y a maintenant 8 milliards de personnes sur la planète Terre. Elles dépendent des combustibles fossiles. Plus important encore, elles dépendent du système qui nous a apporté le combustible fossile – un système d’offre et de demande… s’il vous plaît et merci… donner et prendre…

…c’est-à-dire qu’elles dépendent d’une économie vernaculaire qui leur donne ce qu’ils veulent – équitablement, librement et efficacement.

Enlevez cette économie… et remplacez-la par une planification centralisée par des bureaucrates et des valets du parti, armés de statistiques, de quotas, de fusils, de gaz lacrymogènes, de pénalités, de subventions,

…et de l’argent de la planche à billet…

…et qu’est-ce que vous obtenez ?

Une froide journée en enfer.

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