Le Royaume-Uni semble faiblir sous le poids de sa dette, alors que sa banque centrale peine à contenir la chute de la livre. La France, pas vraiment mieux placée, s’en sortira-t-elle mieux ?
J’écrivais il y a deux semaines dans une précédente chronique :
« Bien qu’elle s’en défende, [la Bank of England] rétablit le quantitative easing : il y avait donc le feu et un ‘super-Lehman’ était en cours de déclenchement outre-Manche.
La BoE devait absolument enrayer la panique, ce qu’elle a fait… mais le succès de son intervention en mode ‘qui qu’il en coûte’ n’est probablement que provisoire. »
J’avais indiqué qu’elle interviendrait chaque jour pour soutenir les Gilts de maturité longue, jusqu’au 30 octobre (le lundi 31 étant férié aux Etats-Unis, ce sera ultra-calme à la City)… sachant qu’elle avait de son côté déclaré qu’elle achèterait des obligations d’Etat britanniques à long terme jusqu’au 14 octobre.
Il me semblait évident que 15 jours de soutien ne suffiraient pas… et tout le monde se range aujourd’hui à cet avis. Nous allons vite découvrir pourquoi.
Jusqu’au bout contre l’inflation
La BoE avait du même coup rappelé ce fameux 28 septembre (jour du double « flash krach » de la livre sterling et des Gilts) qu’elle procèderait à une évaluation complète de l’évolution récente, lors de sa prochaine réunion, et agirait en conséquence.
Sauf que cela tombera en fait le 3 novembre. Elle va donc devoir continuer de contenir les assauts contre sa devise jusqu’à dévoiler aux marchés sa future stratégie. Si elle baisse sa garde d’ici ce jour fatidique, elle s’expose à de nouvelles attaques.
Le plongeon de 2% de la livre sterling le 7 octobre – malgré l’envol de 15 points du rendement des « Gilts » (remontés au-delà de 4,32%, pire clôture hebdomadaire depuis 10 ans) – scelle cependant l’échec de sa tentative de calmer le jeu et restaurer la confiance.
Dix jours après avoir enterré sa stratégie de réduction de son bilan, tout est à refaire pour la BoE, et elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même.
Elle a notamment jeté de l’huile sur le feu en déclarant ce 7 octobre qu’elle « ira jusqu’au bout de sa politique de lutte contre l’inflation, quoi qu’il en coûte ». Elle se montre surtout incapable de se dépêtrer des conséquences de sa politique monétaire « expérimentale » menée depuis 2009.
Les médias financiers britanniques refusent cependant de la lâcher : ils continuent de la dédouaner en expliquant que la chute des marchés obligataires, c’est à la fois la faute de Vladimir Poutine (inflation) puis du projet de budget de Liz Truss (déficits).
Choc fiscal et bouclier tarifaire
Seulement l’une des deux excuses fonctionne en France, mais la situation est tout aussi catastrophique… Cliquez ici pour lire la suite.
La Première ministre tient pourtant parole : elle s’est faite élire sur sa promesse de soutenir l’économie britannique, victime des retombées de la guerre en Ukraine (et surtout du boycott du gaz russe), via un éventail d’aides compensant la hausse des factures énergétiques et de baisses d’impôts (dont la suppression de la plus haute tranche de l’IR à 45% pour les revenus au-delà de 150 000 £ par an).
Pour redonner espoir à la « City », elle a frappé un grand coup en annonçant 200 Mds£ de mesures essentiellement fiscales… ce qui a paniqué les marchés.
Ce sont pourtant les mêmes marchés qui avaient applaudi la réforme fiscale de Trump –allégeant fortement l’imposition des plus riches – en 2018 (le montant du cadeau fut estimé à 1 500 Mds$), laquelle provoqua l’explosion du montant de la dette fédérale, sous les vivats de Wall Street.
Liz Truss ne fait pas pire : elle a juste parié que les créanciers du Royaume-Uni s’accommoderaient de ce choc fiscal qui se revendique anti-récession.
Elle n’est d’ailleurs pas la première à recourir à l’arme du soutien fiscal : la France y a déjà consacré 50 Mds€ en 2022 sous forme de « bouclier tarifaire » et a chiffré à 45 Mds€ le coût de la prolongation de cette mesure en 2023 dans son projet de loi de finance. Au bas mot, cela représente 100 Mds€ sur deux ans (sous forme de ristourne fiscale sur les carburants, et d’un encadrement des tarifs de l’électricité).
L’Allemagne vient également de dévoiler un « quoi qu’il en coûte » de 200 Mds€ (4% de son PIB) pour sauver ses entreprises de la faillite et éviter que le chômage n’explose.
Créanciers inquiets
Ce qui est remarquable, c’est que la France et l’Allemagne – le « couple » qui cimente l’Europe – ont goupillé leurs mesures de soutien sans aucune forme de concertation, sans aucune recherche de synergie.
Chacun pour soi, chacun dans son coin… Ce qui n’empêche pas Berlin d’appeler ses « partenaires européens » au secours pour trouver assez de gaz pour éviter de fermer la moitié de ses usines et faire tourner au ralenti l’autre moitié.
La France, grand seigneur, lui fournira du gaz en excédent et achètera de l’électricité allemande produite au charbon : résultat, aucun contrôle sur le tarif du MwH qui nous sera livré (alors qu’avec EDF, nous devrions être exportateurs), chute de nos réserves de gaz et explosion des émissions de CO2 et de particules fines dans le ciel européen.
La France pourrait figurer en tête de liste des pays qui peuvent légitimement inquiéter leurs créanciers : notre balance commerciale continue de s’enfoncer avec un déficit record de plus de 15,3 Mds€ au mois d’août (après 14,8 Mds€ en juillet). Le cap des 150 Mds€ de déficit sera donc allègrement franchi cette année, ce qui représente un peu plus de 5% de notre PIB.
Heureusement, la foudre s’abat sur la BoE située sur la rive gauche de la tamise, et épargne la Banque de France et l’agence France Trésor situées sur la Rive droite de la Seine (la seconde étant à Bercy).
Qu’est-ce qui vaut au Royaume-Uni, un tel acharnement de la part des cambistes et de nombreux hedge funds (qui flairent de loin l’odeur du sang) ?
Ses réserves en devises sont tombées à un plus bas historique et ne représentent plus que 13 jours de transactions sur le Forex. Il devient donc difficile de défendre efficacement la livre d’ici la prochaine réunion de la BoE. Et, second problème, les banques britanniques se retrouvent elles-mêmes en difficulté pour absorber la dette britannique, parce qu’elles vont devoir passer d’énormes provisions pour créances immobilières douteuses.
Des millions de ménages britanniques sont pris à la gorge par le renchérissement de leur crédit immobilier. Et leurs mensualités ne risquent pas de rebaisser significativement avant six mois ou un an. Nous en revenons ainsi à ce communiqué de la BoE du 7 octobre indiquant « qu’elle ira jusqu’au bout de sa politique de lutte contre l’inflation, quoi qu’il en coûte »…
Elle poursuit sur la même « ligne dure » qu’avait adoptée par la Fed lors du sommet de Jackson Hole provoquant une brusque correction du secteur immobilier aux Etats-Unis.
Un effondrement de plus
L’effondrement de l’activité crédit et la mise à mal de millions d’emprunteurs (parfois confrontés à un doublement de leurs mensualités) reste un phénomène spécifique aux pays anglo-saxons et demeure pour l’instant sans équivalent sur le vieux continent.
Mais la France se retrouve confrontée à d’énormes « déficits jumeaux » et depuis quelques jours à un climat délétère du fait de la pénurie de carburant qui pourrait devenir totale au cours des heures qui viennent (déjà 40% de stations à sec en France), ce qui pourrait provoquer un effondrement économique comparable au début du confinement de la mi-mars 2020.
Avec des similitudes assez troublantes : faute de carburant dans leur véhicule personnel, avec des lignes de bus à l’arrêt, plus aucun ramassage scolaire, des millions de français se retrouveraient contraints de télétravailler, éprouveraient des difficultés pour se ravitailler… comme lorsque les déplacements étaient limités à une dizaine de kilomètres autour du domicile.
L’activité du secteur de l’hôtellerie de loisir s’effondrerait, les réservations étant annulées… comme lorsque nous avions interdiction de parcourir plus de 100 km, de sortir de notre département. Sauf que, cette fois-ci, ce serait parce que nous ne le pourrions plus (pour cause de réservoirs à sec).
C’est bien une France en panne qui risque de subir à son tour des attaques, parce qu’elle se sera littéralement sabordée en faignant d’ignorer les conséquences d’une grève dans les raffinerie, sur fond de nouvelle déferlante de mensonges officiels concernant l’absence de pénurie de carburant Je finirais avec cet extraordinaire élément de langage, un pur diamant délivré par le porte-mensonge du gouvernement, Olivier Véran : « Il n’y a pas de manque d’essence dans notre pays, mais l’essence ne veut pas sortir de certaines raffineries. »
Est-ce que l’essence de ce gouvernement ne serait pas l’incompétence et le mensonge ?
Où veulent-ils mener notre pays ? Quelles pourraient être les conséquences de la mise à l’arrêt de notre économie et d’un chaos social ?
Une seule certitude : si nos créanciers nous lâchent, ce sera aussi brutal et impitoyable qu’au Royaume-Uni.