La Chronique Agora

La France en triste état, selon Paul Krugman

« Quel est le secret ? »

▪ Nous avions décidé de poser directement la question. Pourquoi pas ? Ce n’est pas souvent qu’on dîne avec un Rothschild — et encore moins avec des dizaines d’entre eux.

Nous sommes arrivé à Bordeaux le jour de l’enterrement de Philippine de Rothschild, mais ce n’était pas la raison de notre présence. Nous n’étions pas venu enterrer un Rothschild mais en féliciter un ; c’est-à-dire non pas des funérailles, mais le mariage de l’un des cousins de Philippine.

Philippine avait déclaré au journal Libération qu’en dépit de son nom et de la fortune familiale, elle n’avait pas toujours eu une vie facile. Pendant la guerre, il était dangereux d’être un Rothschild en France. Sa mère fut envoyée dans un camp de concentration, où elle mourut en 1945. Philippine utilisa le nom de jeune fille de sa mère, échappa à la rafle puis, après la guerre, monta sur scène à Paris en tant que Philippine Pascal. Lorsque son père mourut en 1988, elle revint à Bordeaux pour gérer le fameux vignoble Mouton Rothschild.

Au dîner suivant le mariage nous avons fait une pause et levé nos verres en son honneur — après tout, elle avait donné le vin pour l’occasion.

Assis à gauche d’une charmante ambassadrice et à droite d’une avocate vive et élégante (qui était entrée dans le clan Rothschild par alliance), nous avons passé quelques heures à deviser de choses et d’autres. Entre deux plats est arrivée l’inévitable question :

▪ Comment les Rothschild ont-ils fait pour prospérer pendant si longtemps ?
« Ils ont fait de bons mariages », nous a-t-on répondu. « D’abord, ils se mariaient entre eux. J’imagine que la communauté juive était peu nombreuse, à l’époque. Et les familles étaient très proches. Les cousins se mariaient entre eux. De la sorte, ils maintenaient les cellules grises et l’argent dans la famille. Même plus tard, ils sont demeurés très attentifs à ceux qu’ils laissaient intégrer le groupe ».

Il y avait une autre hypothèse : « ils sont restés dans les bons secteurs. La branche anglaise de la famille est restée dans la finance. Cela a toujours bien marché à Londres. Et c’est allé de mieux en mieux à mesure que Londres devenait le centre du capital international. Chaque fois que les Russes… les Arabes… les Autrichiens… ou les Français, d’ailleurs… avaient des problèmes dans leur propre pays, ils venaient à Londres. Ils le font encore. C’est pour cette raison qu’il y a tant de Russes et de Français là-bas en ce moment. Mais ne me lancez pas sur les Français ».

Nous n’allons pas nous lancer sur les Français. Nous allons toutefois nous autoriser un petit détour pour noter qu’en tant qu’économiste, Paul Krugman ferait un bon dentiste. Il pourrait alors exposer ses idées à une bouche ouverte sans causer de dommages supplémentaires.

Au lieu de ça, il a écrit un article remarquable dans le New York Times. Cette fois-ci, il s’est vraiment surpassé ; son éditorial sur la Chute de la France est vraiment exceptionnellement idiot. Après avoir fait des remontrances au président Hollande pour n’avoir pas adopté l’impression monétaire à l’américaine, il note que l’économie française ne va en fait pas si mal. « Les adultes dans la fleur de l’âge ont bien plus de probabilités d’avoir un travail en France qu’aux Etats-Unis », écrit-il. La France « n’a pas de déficit commercial et elle peut emprunter à des taux d’intérêt historiquement bas ».

▪ La France ne pratique PAS de politique d’austérité
M. Krugman est d’avis que M. Hollande et ses politiques « d’austérité » sont en train « d’échouer en France… mais aussi en Europe généralement ». Pourquoi ? Là, ses illusions se prennent à nouveau les pieds dans le tapis. Pour commencer, la France ne pratique pas l’austérité. Ses dépenses gouvernementales sont déjà à 57,1% du PIB — cinq points de pourcentage de plus qu’il y a 10 ans seulement. Et son déficit est bien supérieur aux 3% du PIB permis ; il se développe infiniment plus rapidement que l’économie elle-même — qui est à la croissance zéro.

On n’obtient pas la véritable prospérité en dépensant de l’argent qu’on n’a pas en choses dont on n’a pas besoin

Deuxièmement, on n’obtient pas la véritable prospérité en dépensant de l’argent qu’on n’a pas en choses dont on n’a pas besoin. Qu’on emprunte l’argent… ou qu’on l’imprime… le résultat est à peu près le même ; on devient plus pauvre, non plus riche. Si on pouvait s’enrichir simplement en vivant au-dessus de ses moyens… puis en imprimant l’argent pour payer ses factures… le Zimbabwe serait le pays le plus riche du monde. A la place, il est ruiné.

Krugman craint que la France ne tombe dans un ralentissement à la japonaise parce que l’Europe applique trop d' »austérité ». Mais ni les relances fiscales ni les relances monétaires ne pourront aider une économie noyée de dettes. Après 30 années de déficit, le Japon n’a rien engrangé de plus que des dettes croissantes, avec un ratio dette/PIB de 220%.

Troisièmement, Krugman pense que la prospérité est la clé de la paix. Voici ce qu’il en dit : les Européens ont pour objectif d' »assurer la paix et la démocratie par le biais d’une prospérité partagée », écrit-il. Cette idée est absurde lorsqu’on l’applique à la démocratie. La démocratie était soi-disant assurée par la Grèce antique il y a 2 000 ans de ça et à nouveau par les Américains en 1776. La prospérité n’avait rien à y voir : comparés aux Européens d’aujourd’hui, les deux nations étaient effroyablement pauvres.

De même, il n’y a pas de lien connu entre la prospérité et la paix. Le siècle dernier n’a été qu’un long et triste récit de gens les plus riches de la planète essayant de s’entre-exterminer grâce à une planification rigoureuse et un armement sophistiqué et coûteux.

Au début de la Deuxième guerre mondiale, le père de Philippine est parti rejoindre De Gaulle à Londres. Bon nombre d’autres juifs ont fui vers les Etats-Unis. La mère de Philippine, une catholique, pensait qu’elle serait protégée par les autorités bordelaises et épargnée par les nazis. Elle avait tort. Elle fut déportée à Ravensbrück.

Quant à sa cousine, alors que les nazis commençaient à s’emparer des juifs dans la zone occupée, la jeune femme s’enfuit, accompagnée par un jeune Français qui la protégea. Il l’emmena dans une ferme isolée où elle serait en sécurité. Il la quitta sur ses mots : « lorsque la guerre sera terminée, je reviendrai t’épouser ». Ce qu’il fit. Nous étions invité au mariage de leur petit-fils.

Omnes. Gentes. Alleluia.

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