La Chronique Agora

Et à la fin, qui paye ?

La politique monétaire ultra-souple explique l’envolée des cours boursiers… mais elle ne les justifie pas. Et lorsque les valorisations reviendront à la normale, c’est le public qui se retrouvera avec le mistigri.

Je vois de plus en plus souvent, en ce moment, affirmer que la politique monétaire justifie les valorisations élevées des Bourses. En particulier, ceci a été dit à la tribune du Forum de Davos.

La politique monétaire explique les valorisations élevées des Bourses, mais elle ne les justifie pas.

C’est très différent.

Aussi différent que d’affirmer, par exemple, que l’esprit de jeu justifie que les mises du loto sont valorisées à dix millions avant le tirage mais quatre millions après le tirage c’est-à-dire après que l’Etat a exercé son prélèvement. Le prix de tous les billets est de dix millions, mais leur valeur fondamentale est de quatre millions.

Le prix total, la capitalisation boursière, est par exemple de 20 000 milliards – mais c’est la valeur de l’ensemble des mises. Lorsque le tirage aura eu lieu, c’est-à-dire lorsque la politique monétaire de crise soit ne sera plus possible, soit aura été renversée, la valeur sera de 9 000 milliards au maximum.

Il ne faut pas confondre la valeur de la pyramide de Ponzi avec ce qu’il en restera après la découverte du pot aux roses : il suffit de penser à Madoff pour le comprendre.

Croissance ralentie et taux nuls

La valeur d’une action n’est pas déterminée par le jeu auquel se livrent les joueurs entre eux – sauf pour ceux qui vendent en cours de route, mais c’est une minorité. C’est toujours le public qui se retrouve avec le mistigri à la fin.

La valeur d’une action est la somme actualisée de tous les flux d’argent que la société aura versée à l’actionnaire… et ceci est indépendant des conditions monétaires et de la volonté de Jerome Powell à la Fed.

Si le taux d’actualisation est bas, c’est parce que l’on s’attend à ce que la croissance économique et celle de la série des cash-flows soient faibles, plus faibles que la croissance historique, et on démontre que ceci ne justifie aucune prime de valorisation par rapport au passé. Au contraire.

N’oubliez pas, nous sommes en croissance séculaire durablement ralentie, c’est pour cela que les taux réels sont nuls. Dire que les actions sont à leur prix, ce n’est rien d’autre que dire que les actions sont à leur prix… pour rapporter en réel, zéro, comme les fonds d’Etat !

Les marchés ne disent rien d’autre que ceci : quand la croissance est faible ou nulle, il ne faut pas espérer avoir un bon rendement. S’il y a une performance, c’est grâce à la loterie boursière qui a été branchée entre temps.

Les joueurs paient les billets de plus en plus cher car les autorités arrosent le marché financier de liquidités qui brûlent les doigts… justement pour les faire jouer et ainsi surévaluer les actifs financiers… afin de solvabiliser et éviter les faillites. C’est une opération de trucage des comptabilités : on ajoute des zéros dans les livres de comptes.

Hélas, une fois que c’est fait, on ne peut plus en sortir. Cela finit toujours mal.

Monnaie de singe pour les actionnaires

Le fait que les taux soient bas n’intervient pas dans le calcul de la rentabilité réelle d’un investissement, car le taux de rentabilité du placement est un calcul interne ou, si on veut, endogène. Il dépend de la société et de sa performance économique, entrepreneuriale.

C’est elle qui vous verse vos produits/dividendes avec ses cash-flows.

La performance boursière, elle, est liée au jeu ; elle est exogène, elle dépend de l’arnaque en pyramide.

Les raisonnements que l’on entend supposent que le porteur d’un titre a vendu ou vendra avant la fin de cette arnaque, avant que les choses ne se normalisent. Ceux qui viendront après lui – après celui qui a vendu au bon moment – se retrouveront avec le mistigri.

La rentabilité d’un placement, c’est le taux qui égalise d’un côté le prix payé aujourd’hui, et de l’autre la somme des flux à venir jusqu’à maturité. On estime que la maturité pour une action est de 40 ans.

Dans le futur, les marges bénéficiaires des entreprises vont se contracter.

Pourquoi ?

Parce que si elles sont élevées en ce moment, c’est dû au fait que les salaires n’ont pas progressé depuis 25 ans. Cependant, ceci n’a été possible que parce que, pour assurer leur train de vie, les ménages se sont surendettés.

Ils ne pourront à l’avenir s’endetter autant : on peut difficilement baisser les taux sous le zéro pour les crédits aux particuliers.

La progression des salaires va reprendre et les marges des entreprises vont baisser. Si les entreprises montent leurs prix pour compenser, cela engendrera de l’inflation et la monnaie va se dévaluer en accéléré – de sorte que les flux financiers que vont toucher les actionnaires seront… de la monnaie de singe.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile