Nous sommes désormais à Paris… mais voici la fin de nos aventures au ranch, en Argentine. Vous vous en souvenez peut-être : la semaine dernière, nous avons traversé le canyon pour nous rendre dans la vallée voisine…
Les deux vallées — la nôtre et celle-ci — sont parallèles, séparées par la montagne El Colorado.
Elles sont cependant très différentes.
La nôtre ressemble à ce qu’elle est — un ranch de bétail en altitude, sec et à moitié désert. Elle est grande est majestueuse… mais elle est aussi froide et venteuse.
Cette vallée-ci était aussi grande que la nôtre, mais pas majestueuse… et il n’y avait pas trace de bétail. Elle ressemblait plutôt à la petite vallée où nous cultivons notre vigne.
La différence, c’est l’eau. Ils ont de l’eau toute l’année, nous non. Ils peuvent utiliser cette eau pour produire des récoltes à forte valeur ajoutée : anis, oignons, pimientos, raisins, noix et quinoa.
En comparaison, notre business model est modeste… et marginal. Nous espérons avoir assez de pluie en décembre et janvier pour que les vaches ne meurent pas avant la saison des pluies suivante, 11 mois plus tard. Elever du bétail par ici a toujours été une affaire hasardeuse.
Nous avons dépassé quelques ouvriers cueillant du maïs dans un champ. Ils travaillaient, mais sans grande conviction. Ils semblaient plus mous et plus ronds que les habitants de notre ranch.
Nous gens sont plus durs et plus rudes. Ils doivent l’être. Ils vivent dans des maisons d’adobe sans chauffage… même quand les températures chutent jusqu’à -15°C.
Un paradis caché
Lorsque nous avons atteint notre destination, trois heures et demie s’étaient écoulées depuis que nous étions entrés dans le cayon. On était à présent au milieu de la journée… et nous avions été invités à déjeuner.
Nos hôtes étaient un couple suisse qui avait acheté une petite ferme au pied d’El Colorado, là où la montagne rencontre une autre chaîne dans la sierra, Durazno.
Ils avaient découvert un micro-climat où l’eau des deux montagnes s’écoulait dans leurs fossés d’irrigation alors même que c’était sec comme de l’os de l’autre côté — notre côté.
Il y avait partout de l’herbe verte et des arbres fruitiers… des buissons… des vignes. C’était un paradis… un Eden de verdure et de soleil.
Nous avons fait boire nos chevaux dans un fossé d’irrigation puis les avons mis à paître dans un petit pré. Le couple avait décidé de se lancer dans le vin biodynamique (ils utilisent des méthodes organiques avec quelques astuces ésotériques en plus).
Ils n’ont pas de tracteur et n’utilisent pas de produits chimiques. Ils font leurs cultures avec un cheval de trait — un Percheron — et luttent sans arrêt contre les fourmis et autres nuisibles.
Ils n’ont pas l’électricité et n’utilisent que des chandelles. Mais la maison a un air suisse et moderne — petite, efficace et très agréable.
Il ne coûte sans doute pas grand’chose de vivre ici, mais l’endroit était aussi confortable et charmant que n’importe où.
Ils avaient préparé un asado — un barbecue argentin — et ont proposé leur propre vin pour arriver le repas. Tout était délicieux.
Nous profitions des discussions amicales avec Jorge et le couple suisse, quand Jorge a jeté un coup d’œil nerveux à sa montre.
« Il faut y aller », a-t-il dit. « La nuit tombe ».
Etrange territoire
Le soleil était déjà bas dans le ciel lorsque nous nous sommes remis en selle.
Jorge, qui ne nous accompagnait pas pour le retour, nous dit au revoir et nous rappela de prendre à droite lorsque la rivière se séparait en deux bras, afin de retrouver le ranch. Il craignait que nous nous perdions dans l’obscurité.
Le bras droit de la rivière – Photo : Elizabeth Bonner
Le bras vers la gauche, au passage, mène à une propriété énorme appelée Jasimana.
Nous en avons souvent entendu parler — elle jouxte notre ranch au sud.
La propriété compte environ trois millions d’acres. De temps en temps, on peut voir une annonce de vente pour à peine un million de dollars — le vendeur espérant jouer un bon tour à un étranger crédule.
Jasimana n’a pas de véritable propriétaire, toutefois. C’est un territoire étrange, où des milliers de squatters, d’originarios, de fermiers traditionnels et de petits propriétaires vivent, oubliés du monde extérieur, depuis des centaines d’années.
Pendant des générations, aucun propriétaire n’a réussi à s’imposer sur la propriété ; quiconque s’y risquerait aujourd’hui s’exposerait sans doute à des conséquences désagréables.
« Ne vous inquiétez pas », avons-nous dit à Jorge. « Il ne se passera rien. Je sais par où aller. Nous irons tout doucement ».
Il se passe toujours quelque chose
Il était déjà six heures du soir. Nous avions deux heures de chevauchée jusqu’au lit de la rivière — c’était la partie facile. Ensuite, nous entrerions dans le canyon après la nuit ; une partie beaucoup moins facile.
Tout de même, les chevaux voient mieux que nous la nuit. Et les autochtones voyagent souvent à la lueur de la lune.
Sauf qu’il n’y avait pas de lune. Du moins pas pour l’instant — uniquement des étoiles.
Nous sommes entrés prudemment dans le canyon. Nous voulions arriver de l’autre côté au plus vite, et étions anxieux à l’idée de traverser un paysage mal connu dans le noir.
Nous y étions depuis 20 minutes environ, et tout allait bien. Peut-être que les chevaux pouvaient vraiment voir dans le noir. Peut-être que Dieu veille sur les cavaliers de minuit aussi bien que sur les ivrognes et les idiots. Peut-être que le prochain président des Etats-Unis n’empirera pas la situation. Peut-être que la Fed ne causera pas de désastre financier. Et peut-être que vieillir ne sera pas si épouvantable.
Et soudain, notre cheval plongea dans des sables mouvants.
C’était l’endroit que Jorge nous avait désigné à l’aller. Mais, venant de l’autre direction, dans le noir, nous ne l’avions pas reconnu.
Nous avons de petites zones de sables mouvants de notre côté de la montagne également. Les vaches et les chevaux savent où elles sont et les évitent.
Il arrive parfois qu’une vache s’y enfonce malgré tout… qu’elle lutte… puis meure de froid et d’épuisement. On la retrouve des jours après, morte dans la boue.
Notre cheval s’était enfoncé jusqu’au ventre. Il paniqua, envoyant son cavalier sur les rochers. Tout se passa très vite : il reprit pied sur quelque chose et se libéra — se retrouvant sur la terre ferme avant que nous ayons eu le temps de nous relever.
« Est-ce que tout va bien ? » demanda Elizabeth.
« J’espère », avons-nous répondu.
En réalité, nous avions été un peu meurtri — mais rien de sérieux. Nous sommes remonté sur El Bayo — l’un des chevaux facétieux pris à manger nos fleurs il y a quelques jours — et avons continué dans le canyon.
Une fois de l’autre côté, le paysage s’ouvrit. Nous avons pu accélérer un peu sur le lit de la rivière à sec… et, une demi-heure plus tard, nous vîmes de la lumière.
C’était la maison de Carlos, au bord de notre propre vignoble. Nous étions rentrés « à la maison ».