La Chronique Agora

Il est impossible de mettre fin à l’assouplissement quantitatif

▪ "Il… n’y a… aucun… moyen… d’en… sortir…"

Quoi ? Aucun? Vraiment aucun ?

Mais alors, toutes les dépenses, les traficotages, les relances, l’investissement, la dette, l’austérité, l’innovation et la technologie, les outils monétaires, les politiciens, les banquiers centraux, les bonnes intentions, le… l’espoir ?

"Il… n’y a… aucun… moyen… d’en… sortir…"

Voilà la conclusion plutôt sombre de la présentation de 90 minutes donnée par Satyajit Das lors de la conférence "World War D". Das était habillé pour l’occasion : tout en noir. Et cette conclusion était tout à fait appropriée, étant donné que l’ensemble de son exposé visait à nous expliquer pourquoi toutes les portes de sortie étaient bloquées. En un mot, c’est à cause de la dette. Il y en a tout simplement trop et nous essayons d’en créer encore davantage, dans l’espoir que nous tenions là une sorte de solution. Rien d’étonnant à ce que Das pense qu’il n’y a aucun moyen d’en sortir : on essaye de s’échapper par le toit. Ou, selon ses termes :

"Les taux d’intérêt faibles, la mauvaise évaluation du coût du risque et les niveaux d’endettement excessifs qui ont provoqué la crise sont maintenant considéré comme sa ‘solution’. Cela rappelle l’observation du critique viennois Karl Krause au sujet de la psychiatrie : ‘une maladie qui se prend pour son remède’."

Si nous descendions les escaliers et que nous sortions par la porte de devant ?

Et si nous prenions le chemin inverse ? Si nous descendions les escaliers et que nous sortions par la porte de devant ? C’est peu probable. Selon l’exposé de Das, le rez-de-chaussée est totalement inondé.

"En mettant fin aux programmes de relances budgétaires, on provoquerait un fort ralentissement de l’activité économique. La réduction des services gouvernementaux et l’augmentation des impôts accélèrent la contraction du revenu disponible, surtout dans un environnement où les revenus stagnent et où l’emploi est incertain. Ce phénomène mène à son tour à une forte contraction de la consommation. Une croissance moins rapide, exacerbée par de forts effets multiplicateurs rend la correction des déficits budgétaires et le contrôle des niveaux de la dette gouvernementale difficile".

Comment faire autrement ?
Difficile aussi de renoncer aux politiques de taux zéro et aux assouplissements quantitatifs. La normalisation des taux d’intérêt, la réduction des achats d’obligations d’Etat et la diminution des bilans des banques centrales nous font courir un risque de dérèglement financier.

"Augmenter les taux d’intérêts pourrait se révéler difficile pour les banques centrales. La réduction de leurs achats d’obligations nous ferait aussi courir le risque de taux plus élevés et d’une baisse des financements disponibles. Des taux faibles permettent à des entreprises et à des nations déjà surendettées de maintenir, voire d’accroître leurs emprunts plutôt que de les réduire. Un endettement encouragé par des taux faibles devient rapidement insupportable à des taux plus élevés…

Une augmentation de 1% des taux d’intérêts du G7 augmente les intérêts débiteurs des pays du G7 d’environ 1 400 milliards de dollars

En 2013, la timide proposition de réduction de la dette de la Réserve fédérale, qui consistait en réalité en une légère réduction des achats d’obligation, avait provoqué une instabilité des marchés. Le taux des bons du Trésor à 10 ans a augmenté d’environ 1% par an.

Si elle se poursuit, cette augmentation de 1% pourrait faire grimper les frais de la dette du gouvernement américain d’environ 170 milliards de dollars. Une augmentation de 1% des taux d’intérêts du G7 augmente les intérêts débiteurs des pays du G7 d’environ 1 400 milliards de dollars."

Mince alors… on est coincé.

Avec cette montagne d’intérêts potentiels à l’esprit, on comprend peut-être mieux pourquoi la Réserve fédérale et d’autres banquiers centraux envoient chaque semaine des armées de commerciaux chargés de rassurer les marchés sur le fait que les taux d’intérêts officiels ne vont pas changer du tout (même s’ils ne peuvent pas vraiment contrôler les taux du marché).

▪ Mauvaises nouvelles = bonnes nouvelles…
Qui dit taux plus élevés dit intérêts supplémentaires à payer. Le gouvernement finance ces intérêts soit en s’endettant d’avantage, soit en augmentant les impôts, ce qui subtilise les ressources de l’économie réelle. Pour faire simple, une augmentation des taux d’intérêts paralyserait l’économie mondiale, ce qui explique pourquoi le marché craint tant un resserrement de la Fed. Toute amélioration des données économique qui présupposerait la fin de l’argent facile nous rapproche donc d’un nouveau ralentissement économique violent.

Voilà pourquoi on entend si souvent ces derniers temps sur les marchés la ritournelle financière : "les mauvaises nouvelles sont de bonnes nouvelles".

Si vous pensez que nous allons finir par réussir à revenir plus ou moins à la "normale" en matière de fixation des taux d’intérêts, Satyajit Das a une statistique pour vous ramener sur terre. Il a souligné par exemple que selon une étude de la Banque des règlements internationaux, une augmentation de trois points de pourcentage des taux d’emprunts publics dans le monde aurait des effets dévastateurs sur la valeur des emprunts existants, avec des pertes équivalentes à environ 8% du PIB américain pour les bons du Trésor, ou à un chiffre vertigineux de 35% du PIB pour les obligations du gouvernement japonais.

Aïe aïe aïe…

Une telle augmentation des taux partout dans le monde est peu probable, cependant, et elle ne se produira certainement pas sans une augmentation majeure de l’inflation. Coincés dans un environnement croissance faible/inflation faible, Das pense donc que nous allons assister à des assouplissements quantitatifs jusqu’à la fin des temps.

Les gouvernements du monde entier augmenteront les impôts et diminueront les services pour essayer de remettre leurs finances en ordre

▪ La répression financière n’est pas près de s’arrêter
En plus de ces assouplissements quantitatifs sans fin, ou plutôt comme une extension de ces assouplissements quantitatifs sans fin, Das pense que nous serons tous soumis à la répression financière pendant des années encore — une répression qui prendra deux formes : d’une part, les gouvernements du monde entier augmenteront les impôts et diminueront les services pour essayer de remettre leurs finances en ordre. D’autre part, leurs banques centrales mettront au point des taux d’intérêts réels négatifs pour essayer de sortir du problème de la dette grâce à l’inflation.

Das reconnaît les problèmes posés par cette technique :

"La monétisation de la dette crée du ‘hasard moral’. Les taux faibles et le crédit facile rendent le marché laxiste. Les emprunteurs doivent faire face à moins de pression pour réduire un endettement qui n’est pas soutenable. Les faibles coûts de l’emprunt permettent le maintien d’investissements non-productifs. Les gouvernements sont moins encouragés à garder les finances publiques sous contrôle.

A terme, les politiques utilisées pour gérer la crise punissent la frugalité et l’épargne, et récompensent l’emprunt, la dilapidation des ressources, l’excès et le gâchis."

Eh oui. C’est bien vrai. Les "solutions" que les politiques recherchent sont la source exacte de tous nos problèmes depuis le départ. Une histoire tristement familière pour ceux qui nous suivent depuis un moment…

Mais comme Das l’a souligné, les problèmes que nous rencontrons sont des problèmes structurels profonds qui ne peuvent pas être résolu grâce à des politiques fiscales ou monétaires. Ce n’est rien de nouveau pour les lecteurs fidèles de la Chronique Agora. Nous clamons depuis bien longtemps que nos problèmes sont structurels et non cycliques et que la politique monétaire ne fait qu’alimenter les prix et l’activité de manière cyclique dans un monde structurellement déformé.

Et nous en revenons donc toujours à notre point de départ…

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