La Chronique Agora

La Fed monétisera la dette avec un énième assouplissement quantitatif

▪ Wall Street était tout entier mobilisé vendredi pour faire gonfler le soufflé… afin de le servir tout chaud aux épargnants (avec leur propre argent) par le biais de médias totalement acquis au concept de fabrication d’un « effet de richesse » boursier qui devrait un jour ou l’autre trouver sa traduction dans l’économie réelle.

Il est donc assez naturel que les opérateurs aient accordé peu d’attention à l’interview de Jeffrey Lacker (président de la Fed de Richmond) sur CNBC. Il affirme pourtant qu’il n’y a aucune logique économique justifiant la mise en oeuvre d’un QE3 ou de tout autre programme de rachat de créances hypothécaires, peu en importe la nature.

Avec une croissance de 2,5% à 3% en 2012 puis 2013, la Fed devrait selon lui plutôt songer à déterminer le bon moment pour éponger la surliquidité. Elle devrait également envisager de ramener les taux d’intérêt vers des normes historiques compatibles avec une croissance telle qu’il la constate. La promesse de taux durablement bas jusqu’en 2014 constitue une incitation à des prises de risque et à une survalorisation excessive des actifs. Jeff Bullard et Richard Fisher défendaient exactement le même argumentaire 48 heures auparavant.

Jeffrey Lacker précise que la Fed ne doit pas attendre que le chômage US revienne vers 6,5% pour durcir sa politique monétaire car l’inflation, elle, n’attendra pas, comme le prouve l’envol des prix de l’énergie.

Cette déclaration confirme à quel point la Fed est aujourd’hui divisée sur la stratégie prônée par Ben Bernanke. Les positions défendues maintenant par près de la moitié des membres du FOMC sont exactement ce que la Chine souhaite entendre. Pékin a déjà fait connaître dès le printemps 2011 sa farouche opposition à tout nouveau recours à la planche à billets pour monétiser la dette américaine.

▪ Europe contre Etats-Unis, retournement de situation ?
Si l’Europe continue d’inspirer confiance au lieu de servir de repoussoir en faveur des T-Bonds américains, la Fed va connaître les pires difficultés pour placer la dette US auprès des créanciers des pays occidentaux.

Il en découlerait une hausse des taux sur l’ensemble de la courbe qui alourdirait singulièrement le coût de refinancement des Etats-Unis. Cela obligerait Barack Obama ou son éventuel successeur à prendre le même genre de mesures d’austérité que celles réclamées par les marchés auprès des pays surendettés au sein de l’Eurozone.

Parce que s’il existe un pays qui n’a mis en oeuvre aucune réforme fiscale en vue d’accroître les recettes à la hauteur des dépenses programmées depuis le début de la crise… c’est bien l’Amérique.

Un pays qui ne cesse de dispenser ses leçons et ses conseils de bonne gestion de la crise aux pays qui flirtent avec la faillite pour avoir volé au secours de leur système bancaire dynamité par les mauvaises créances concoctées sur le sol américain.

Ben Bernanke semble se délecter en voyant les taux flamber en Europe — parce qu’il rêve surtout de démontrer l’efficacité de sa lance d’incendie, capable de projeter des milliers de milliards de liquidités en quelques mois, afin de rester dans l’histoire économique comme le seul pompier ayant réussi à éteindre le brasier de la dette avec encore plus de dette.

▪ Autant projeter des hectolitres de kérosène sur un hélicoptère en flammes !
A propos de flammes, la torchère de la plateforme gazière exploitée par Total s’est éteinte « naturellement ». Le problème, c’est que 4 000 mètres plus bas, le gaz continue de s’échapper — et personne ne sait au juste ce qui se passe au sein de cette portion de croûte terrestre qui héberge un gisement sous haute pression et dont le contenu jaillit à des températures infernales.

Cela fait beaucoup de problèmes hors norme à résoudre… Et nous sommes incapable d’évaluer la probabilité d’une résolution à plus ou moins six mois dans la mesure où à notre connaissance, il n’y a pas de précédent historique : pour ceux qui voient en Total une nouvelle cible pour une campagne de ventes à découvert, le climat d’incertitude actuel, c’est du pain béni.

Il est indéniable que le repli de 7% de ce titre en une semaine a plombé aussi bien le CAC 40 (50% des volumes négociés à Paris mardi) que l’Euro-Stoxx 50 ou l’Eurofirst 80.

Cependant, prétendre que la chute de Total explique une consolidation de 2,2% des places européennes est un peu court. En effet, la séance de jeudi a été marquée par un plongeon collectif — et heureusement sans lendemain — des valeurs bancaires italiennes.

Le rebond technique survenu vendredi était attendu mais il n’a pas dissipé les doutes sur la poursuite du marché haussier dans l’Eurozone. Trop de doutes au sujet de la croissance, et peut-être un regain d’attentisme avant des échéances électorales majeures en France et en Grèce (qui sollicite déjà un troisième plan de sauvetage alors que l’encre du second plan n’est pas encore sèche).

Athènes vient à peine de bénéficier de l’effacement de 107 milliards d’euros de dettes aux frais des contribuables européens qu’elle les prévient déjà qu’ils vont devoir remettre la main à la poche… Et dans ce cas, comment refuser d’aider le Portugal qui a toujours fait son possible pour complaire à Berlin et à Bruxelles ?

▪ Pendant ce temps, aux Etats-Unis…
Wall Street continue d’échapper à cette variante roulette russe qui consiste à mettre le pistolet sur la tempe des gouvernements aux prises avec des déficits insoutenables afin qu’ils infligent à leurs populations des cures d’austérité de plus en plus radicales et mortifères pour la croissance.

Que font les Etats-Unis pour réduire leurs déficits dans des proportions comparables à l’Irlande, l’Angleterre… et ne parlons même pas de l’Espagne ?

Rien.

Que feront-ils pour restaurer leurs finances d’ici les élections de novembre ?

Ils monétiseront leur dette par le biais d’un énième assouplissement quantitatif.

Pas de surprise donc à la clôture des marchés américains vendredi soir : c’est la hausse qui l’a largement emporté après deux séances de repli marginal, suivies d’une stabilisation jeudi.

L’essentiel était de terminer le trimestre à proximité des sommets : mission accomplie puisque la performance annuelle s’établit à +8,15% pour le Dow Jones, +12% pour le S&P et +21% pour le Nasdaq 100.

Le S&P 500 a grappillé 0,37% ce vendredi et 3,1% sur le mois de mars ; le Dow Jones affiche +0,5% et +2% sur le mois écoulé. Le Nasdaq Composite (-0,15% ce vendredi) semble plus que jamais sur une autre planète avec +4,1%, grâce au titre Apple qui affichait jeudi soir +50% depuis le 1er janvier et +11,5% en un mois.

Cette avance s’est réduite ce vendredi avec une baisse de 1,7% qui ramène le titre juste sous la barre des 600 $ (contre 621 $ mercredi).

Beaucoup de stratèges affirment qu’il faudra surveiller en ce début avril les trimestriels d’Alcoa, les créations d’emplois au mois de mars, le prix d’IPO de Facebook, la conjonction Vénus/Jupiter… mais la réaction des investisseurs face à la courbe des ventes d’iPad3 s’avèrera à notre avis tout aussi décisive : inscrivez ça sur vos tablettes !

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