▪ Tous les week-ends, nous prenons le temps de terminer la lecture des articles économiques de fond stockés dans notre base de documentation Word.
Il y en a certains dont le titre nous a paru accrocheur, d’autres dont le thème nous apparaît complètement décalé. Mais le critère de sélection numéro un, c’est le sentiment que les rédacteurs ont pris leur distance avec la Pensée Unique.
Remettre en cause le consensus par principe ne suffit pas ; se borner à une critique purement intellectuelle des sophismes qui pullulent dans la presse grand public non plus. Il faut aller plus loin… dans tous les sens du terme.
Nous aimons beaucoup les articles témoignage. Ces derniers décrivent la réalité économique — et les véritables pratiques des entreprises — dans des pays où peu d’experts et chantres de la mondialisation ont véritablement mis les pieds, ou alors invités comme des VIP. Ce contexte leur a donc épargné la mise en contact avec certaines vérités qui dérangent.
▪ Une fossé entre la théorie et la pratique : la Grèce est un bon exemple
Nous évoquons ce sujet parce que nous avons rarement eu le sentiment depuis l’aube du XXIe siècle que le discours optimiste des élites — dont beaucoup de médias propagent les thèses sans émettre la moindre objection — divergeait autant de la réalité de terrain. Plus l’expérience contredit la théorie, plus les docteurs de la foi économique se réfugient dans un discours incantatoire et abstrait.
Prenez simplement l’exemple de la Grèce. Les chiffres sont chaque jour plus catastrophiques : ceux publiés lundi font état d’un ratio dette sur PIB passé de 155 à 170% en un an et d’un déficit budgétaire supérieur à 10%. Mais nos élites ne parlent que des fantastiques efforts accomplis par Athènes ces derniers mois.
Plus la Grèce s’enfonce, plus il n’est question que de progrès, plus la Troïka constate l’ampleur du désastre, plus un impossible accord sur la dette est jugé imminent.
Plus l’Espagne se rapproche d’une demande d’aide, plus cet appel au secours — signifiant que le pays bascule dans une situation de faillite avérée — est considéré comme une étape décisive dans la résolution de la crise au sud de l’Europe.
Plus les salaires s’effondrent, plus l’édifice social se disloque, plus les chômeurs peuvent se réjouir de retrouver un statut d’employabilité. A mesure que les rémunérations proposées se rapprochent de celles de la Chine et que la couverture sociale des employés tend vers le Moyen Age, l’Europe se félicite d’avoir accompli un nouveau pas sur le chemin de retour de la compétitivité et du redressement économique.
Jamais nous n’avons eu le sentiment que l’Europe accomplissait autant de progrès en avançant à reculons depuis que le projet d’une Monnaie Unique a vu le jour !
▪ Où vont l’Europe et les Etats-Unis ?
Mais ces constats ne sont pas nouveaux ni originaux. Surtout, ils ne suffisent pas à comprendre là où l’Europe et les Etats-Unis en sont rendus, ni ce vers quoi ils se dirigent.
Deux exemples glanés au hasard de nos lectures vous éclaireront peut-être. Un ingénieur allemand se rend en Chine pour la maintenance d’une machine-outil installée trois ans auparavant.
Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que le nombre d’employés chez le client avait été réduit d’un bon tiers.
Etonné de ce constat, il s’est demandé si l’entreprise ne subissait pas de plein fouet ce ralentissement économique dont on commence à reconnaître l’existence en Occident. Renseignement pris, les ateliers tournaient à plein régime et la charge de travail n’avait absolument pas diminué.
En revanche, des ingénieurs locaux s’étaient penchés sur les logiciels pilotant les robots et les avaient nettement upgradés. Cela a permis une amélioration du rendement de 20%, sans préjudice pour le bon fonctionnement machines, lesquelles travaillaient plus vite… et avec moins de salariés pour les piloter.
Le double constat — et qui devrait inquiéter nos amis allemands — c’est que les Indiens, les Chinois, les Mexicains, les Indonésiens participent tous à l’effort visant à réduire les coûts de production tout en étant moins dépendants de l’étranger. Si quatre machines achetées en Allemagne, au Japon ou en Italie peuvent voir leur rendement amélioré de 25%, pourquoi en acheter une cinquième ?
A aucun moment, le but n’est de faire travailler davantage d’ouvriers mais bien d’accroître les profits. Abaisser les salaires n’est d’aucune utilité pour rester compétitif face à de tels concurrents. Il faut juste ne pas se retrouver en face d’eux avec des produits de qualité comparable parce qu’ils vont de toute façon démontrer une vitesse de réaction supérieure à la nôtre, grâce à des capacités d’investissement dont nous n’osons même plus rêver en Occident.
Mais quittons le domaine de la production pour nous intéresser à celui de la matière grise où nous pensons rester une référence en la matière.
▪ Concurrence déloyale entre Orient et Occident
Voici un second témoignage. Il s’agit d’une société de service aux entreprises, concurrente de nos plus grandes multinationales de l’infogérance qui débauche à grand frais certains des plus talentueux ingénieurs occidentaux. Le but est de leur confier la supervision d’une armée de jeunes ingénieurs locaux prêts à travailler gratuitement durant six mois ou un an, avec une chance sur 10 de décrocher une place offrant un très bon salaire à l’échelon local.
Lorsque la firme ainsi organisée s’attaque au marché — disons par exemple de la hotline pour toutes les questions informatiques ou de la gestion de grands projets de BTP nécessitant un suivi h24 — ils parviennent à proposer des devis 30% moins élevés que ceux de sociétés occidentales pourtant implantées dans ces eldorados des cerveaux pas chers.
L’explication réside dans le fait que les autorités locales se montrent très sourcilleuses sur le respect des réglementations et des normes locales quand il s’agit d’une entreprise étrangère. En revanche, elles sont très peu regardantes quand leur champion national pratique l’emploi dissimulé, le recours massif aux stagiaires non rémunérés, le différé de versement des taxes et impôts.
En d’autres termes, l’Occident se trouve confronté — mais subit sans broncher — une concurrence non seulement féroce et habile, mais également déloyale.
Pourquoi une telle passivité ? Parce que nous voyons se dresser une armée de lobbyistes chaque fois qu’un politicien occidental veut passer de la dénonciation verbale de ces pratiques anti-concurrentielles aux mesures de rétorsion concrètes.
Se concilier la bonne grâce des électeurs, c’est toléré, dresser des barrières protectionnistes, c’est la ligne jaune à ne pas franchir, et disons-le clairement un tabou absolu !
Et qui finance les lobbyistes hostiles à toute régulation et tout rééquilibrage du commerce international ? Les donneurs d’ordres, c’est-à-dire majoritairement des multinationales occidentales qui passent commande auprès des fabriquant et prestataires implantés dans les pays émergents.
Celles-là ont très bien compris comment les choses fonctionnent puisqu’elles en sont les architectes et n’ont comme seul préoccupation que de préserver leurs marges — y compris si cela doit déboucher sur un effondrement de la solvabilité de leur clientèle. Si le pouvoir d’achat recule, c’est aux Etats-Providence de prendre les mesures adéquates pour soutenir la demande intérieure.
Quand les Etats sont jugés trop endettés, un bon coup de poignard dans le dos par le biais d’une spéculation contre la dette souveraine, et hop, c’est encore de l’argent bien gagné qui rentre à flots.
Pas question de s’en prendre au surendettement des Etats-Unis ou du Royaume-Uni. Pas question de s’inquiéter de l’absence de toute initiative comparable (en matière de rétablissement des comptes publics) à celle que les agences anglo-saxonnes exigent de la part des pays endettés de la Zone euro.
Lorsqu’il s’agit de maintenir Wall Street à flots, toutes les manipulations indicielles sont autorisées, comme nous avons pu le constater une fois de plus lundi soir.
▪ Rumeur à Wall Street et silence des Anglo-Saxons
La rumeur d’un accroissement des achats mensuels de MBS par la Fed a commencé à circuler — comme par miracle à une heure de la clôture de Wall Street, qui chutait lourdement — mais la réaction des commentateurs anglo saxons nous a surpris.
Une fois n’est pas coutume, et c’est assez rare pour être souligné, ils n’ont même pas essayé de fournir une explication rationnelle à la remontée miracle de Wall Street au cours des 50 dernières minutes de la séance (de -0,80% à +0,02%… inscrit à 21h59 et 58 secondes).
Ce rebond magistralement orchestré a permis à la fois d’enterrer les vendeurs et d’invalider les signaux baissiers consécutifs à une déferlante de mauvais trimestriels et de profit warnings.
Les opérateurs sont prévenus, quoi qu’ils pensent de la conjoncture. Il y a un patron sur le marché… et il rappelle brutalement aux trublions qu’une baisse du marché avant les présidentielles américaines est jugée inopportune et de nature à saper la confiance des électeurs.
Certains d’observateurs ont même l’audace d’émettre l’hypothèse que la Fed tirerait quelques ficelles afin de maintenir Wall Street en lévitation et d’écraser artificiellement la volatilité. Mais nous ne saurions accorder le moindre crédit à de telles allégations !
Nous exigeons des preuves formelles et des aveux circonstanciés, signés de la main même de Ben Bernanke… sinon n’importe qui peut prétendre n’importe quoi… et cela pourrait fausser les élections américaines.