La Chronique Agora

Que peut faire la Fed face à l’effondrement de la dette ?

▪ Un gros titre du Wall Street Journal a retenu notre attention la semaine dernière : "les actions à nouveau en baisse. Que fait la Fed ?"

Cette question nous a été posée plusieurs fois à Bombay, où nous avons récemment séjourné pour affaires.

Nous avons été interviewé par le journal Economic Times of India et par Bloomberg TV. Ils voulaient savoir ce que nous faisions en Inde et ce que nous envisagions pour les marchés mondiaux. Notre réponse a pris un tour familier…

"Tout ce qui grimpe doit baisser", avons-nous dit de plusieurs manières différentes. "Ce qui grimpe beaucoup baisse beaucoup".

Cela ne semblait guère compliqué ; nous ne nous attendions pas à des contre-arguments. Mais les médias financiers du sous-continent — comme leurs homologues et compagnons de bar dans d’autres pays — n’arrivent pas à l’imaginer.

Dans l’esprit des journalistes juniors et des économistes seniors, les hausses et les baisses n’ont rien d’inévitable. Ils pensent que les marchés ne vont que dans une seule direction — le haut –, avec quelques reculs et erreurs politiques occasionnels.

L’erreur qu’ils voient en ce moment, c’est le "resserrement" supposé de la Fed sur les conditions de crédit.

▪ Le grizzly de l’enfer
"N’estime-vous pas que la Fed a augmenté prématurément les taux le mois dernier… considérant le déclin infernal des valeurs depuis ?" a demandé un reporter.

Pour l’instant, cet ‘ours’ baissier n’est pas un grizzly de l’enfer — plutôt un panda câlin

"Non. Pour commencer, nous ne qualifierions pas cette baisse d »infernale’. Pour l’instant, cet ‘ours’ baissier n’est pas un grizzly de l’enfer — plutôt un panda câlin. Et la Fed n’a pas été prématurée. Elle est en retard".

Le problème avec cette réponse, c’est qu’elle exige bien trop d’explications. Les médias financiers n’ont pas le temps pour ça. Ils veulent des phrases choc… de préférence positives.

Après un petit temps, nous avons rejoint la danse. Oublié la nuance. Oublié l’ironie. Oublié les conséquences inattendues. C’est ça, le show-business !

"Vous n’avez encore rien vu", avons-nous dit à un journaliste. "On est en train de revivre la correction de 2008… en pire. Le monde a souscrit 57 000 milliards de dollars de dette supplémentaire depuis l’effondrement de Lehman Brothers. Nous verrons donc le Dow sous les 6 000 avant la fin de cette histoire".

Juste entre nous… ce n’était pas une prédiction sérieuse. Nous sommes relativement certain que les marchés finiront par baisser substantiellement. Mais nous ne savons pas quand, ni jusqu’où ils baisseront.

Le contexte crée le contenu. Les médias financiers font partie de l’industrie du spectacle, largement financée par l’industrie financière. N’en attendez pas d’analyses ou de commentaires sérieux.

Les commentaires sont censés fournir des analyses simples et nettes… avec aussi peu de gradations que possible. Emphatiques. Confiants. Complètement à côté de la plaque.

▪ Quand la dette rebondit
Nos partenaires à Bombay ont réuni certains de leurs meilleurs clients pour une conversation plus en profondeur.

Les mêmes questions ont fait surface, mais nous avions plus de temps pour y répondre :

Le problème, c’est la dette. Il y a trop de dette. C’est ce qui arrive quand on prête trop longtemps à des taux trop bas. Les gens empruntent pour consommer… ou pour investir dans des choses qui n’ont pas vraiment de sens.

Le monde a rajouté 170 000 milliards de dollars de dette au cours des 20 dernières années

Ensuite, ils ne peuvent pas rembourser. Tel était le problème avec la dette hypothécaire subprime en 2007 et 2008. Aujourd’hui, nous avons la dette étudiante, la dette automobile, la dette d’entreprise et la dette gouvernementale. Le monde a rajouté 170 000 milliards de dollars de dette au cours des 20 dernières années — alors que l’économie mondiale n’augmentait que de 3% par an environ.

Il est intéressant de voir que cette bulle de dette est née des consommateurs et de l’industrie de la finance aux Etats-Unis… avant d’être expédiée vers les exportateurs en Chine… puis de la Chine vers ses fournisseurs au Brésil et autres économies de matières premières.

A présent, les mauvaises dettes rebondissent d’une économie à l’autre.

▪ Mise à l’épreuve
Les marchés cassent les mythes, avons-nous continué. Pour la troisième fois de ce siècle, ils s’attaquent au mythe financier fondamental de notre époque, selon lequel un groupe d’universitaires diplômés en économie peut réussir là où des générations de banquiers avant eux ont échoué… qu’il peut gérer une devise fiduciaire — et toute l’économie mondiale avec — sans que ça tourne à la catastrophe.

Paul Volcker y est parvenu, concédons-nous. Mais c’était à l’époque où les Etats-Unis n’avaient qu’une fraction de la dette qu’ils ont actuellement… et avant que l’économie mondiale soit accro à l’endettement.

A présent, dès que nous connaîtrons un ralentissement sérieux — et nous n’y sommes pas encore — toutes les banques centrales paniqueront et lanceront des programmes de relance encore plus agressifs.

Nous ne l’avons pas dit à nos lecteurs indiens — mais peut-être devrions-nous le faire à présent : cette phase — où les banques centrales font grimper les prix des actifs avec des politiques expérimentales — n’est probablement pas terminée.

Les marchés mettront les nerfs de la Fed à l’épreuve. Ils testeront sa force de caractère avec une baisse des cours et une récession. Ensuite, la Fed réagira. Après tout, elle "dépend des données".

Tenez bon. Ce sera passionnant. C’est probablement la seule chose dont nous puissions être certain : ça va devenir plus intéressant.

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