La Chronique Agora

La Fed continue d’injecter du dollar : la Chine va-t-elle apprécier ?

banques centrales

▪ Pour un jeune étudiant qui s’engagerait dans un cycle d’études supérieures visant à en faire un gérant de fonds ou un opérateur de front office dans une salle de marchés, la séance de mardi a été un bon condensé de ce qu’est devenue la finance moderne.

Commençons par une petite mise en condition : le délit d’initié qui s’est matérialisé en Europe à partir de 11h25 sous forme d’un algorithme acheteur. Ce dernier semble avoir été activé sur l’ensemble des indices de l’Eurozone mais a visé en priorité les valeurs de l’EuroStoxx 50.

L’ascension des indices a été d’une perfection géométrique digne d’un logiciel de dessin industriel. Un canal ascendant de 0,05% d’épaisseur est apparu ; il s’est constitué sans le moindre accroc baissier durant trois heures. Le CAC 40 a gagné 20 points sans jamais en reperdre plus de trois, ce qui est proprement hallucinant.

Bien évidemment, il n’y aura jamais d’enquête sur ce mouvement de cours surnaturel ; aucune enquête n’aboutira jamais — aucune manipulation de cours manifeste n’a jamais été réprimée depuis 20 ans. Et de toute façon, pourquoi enquêter… puisque le délit d’initié est parfaitement évident pour tout le monde ?

Que notre étudiant se rassure, il devient beaucoup plus difficile de détecter une séance où les cours n’ont pas été manipulés de bout en bout que l’inverse.

▪ L’emploi va mal, réjouissons-nous !
A 14h30, on a compris ce que ceux qui payaient savaient avant tout le monde : les chiffres de l’emploi américains du mois de septembre sont franchement mauvais… et le shutdown n’y est pour rien. La Fed va continuer d’injecter jusqu’en mars 2014.

Il n’a fallu que cinq secondes aux cambistes pour le comprendre et envoyer le dollar par le fond. Il est d’abord passé sous les 1,3750/euro (cela a pris une dizaine de secondes pour qu’il plonge de 1,3670 vers 1,3730) puis 1,3790/euro vers 19h40.

Pendant que le dollar prenait le bouillon, les marchés exultaient littéralement. Ils invoquaient sans complexe le marasme du marché du travail américain avec seulement 148 000 nouveaux emplois contre 193 000 au mois d’août.

Le taux de population active est collé à un plancher historique de 63,2 en septembre, le nombre d’heures travaillées stagnant également autour de 35,5.

Voilà qui garantit pratiquement la poursuite de la politique d’injection de la Fed, plein pot jusqu’à l’entrée en fonction de Janet Yellen. La planche à billets va continuer de tourner au rythme de 85 milliards de dollars durant six mois : c’est tout ce qui importe et plus personne ne s’en cache.

▪ Furia haussière
L’euphorie débridée du créneau 14h30/16h20 avec un EuroStoxx 50 à +1% et un DAX 30 explosant de +1,4% s’est un peu calmée en fin de séance. Cependant, la tendance demeurait très clairement positive à 17h35 — même si Paris réduisait ses gains de moitié, de 0,8% (à 4 309 points) à 0,43%.

Cette pseudo furia haussière alimentée par un déferlement d’acheteurs étrangers (les habituels relais de la Fed puis une poignée de gros hedge funds) s’est toutefois très concrètement déroulée une fois de plus dans le vide. Le volume sur le CAC 40 a été « boosté » de 2,3 milliards à 2,9 milliards d’euros au moment du fixing afin de donner l’illusion d’une forte participation des acheteurs.

L’autre aiguillon haussier des dernières séances, c’est paraît-il le ravissement des investisseurs face à des résultats en baisse mais « moins pires que prévu ».

Les chiffres d’affaires sont également révisés en baisse ou ratent les objectifs dans 40% des cas mais pour les 60% restants « c’est mieux que prévu »… Voilà une notion cardinale qu’un étudiant de troisième cycle se doit d’intégrer au même titre que le monétarisme ou les calculs actuariels.

Il lui faut admettre que l’économie est un domaine bien à part où les insuffisances à tous les niveaux (théorique, logique, organisationnel) donnent lieu à de bien meilleures notes qu’un mémoire en béton, structuré, documenté, limpide.

Eh oui : si un candidat est idiot, distrait, paresseux alors soyons pleins de confiance car la Fed va lui administrer son cocktail magique (boisson énergétique-cocaïne-adrénaline). Cela fera de lui une bête de concours le moment venu… alors que le bachoteur appliqué risque d’arriver avec l’air fatigué au grand oral, ce qui pourrait indisposer le jury.

Lorsqu’un blaireau se présente au concours avec 8 de moyenne, le jury est prié de s’extasier sur le fait qu’il ait fait mieux que les 5 dont il était crédité en début d’année.

▪ La Chine est moins ravie
De même, plus l’économie américaine se dégrade, plus Wall Street s’émerveille que les marges ne souffrent pas davantage… car fort heureusement, les entreprises se montrent encore capables de tenir leurs coûts et de réduire sans hésiter leurs effectifs. Ajoutez l’argent de la Fed et vous obtenez un marché haussier invulnérable.

Cela fait quatre ans que Wall Street applaudit ce système ubuesque, mais les cambistes un peu moins… et Pékin pas du tout. La chute du billet vert sous des supports majeurs moyen terme (1,3730/euro) risque d’indisposer les gros détenteurs de dette américaine, au premier rang desquels figure la Chine… qui affirme qu’il est temps de « désaméricaniser » l’économie mondiale.

Ce à quoi la Fed va riposter par encore plus d’impression monétaire et la génération d’encore plus de volatilité sur les marchés émergents. En effet, la stratégie poursuivie inlassablement par les Etats-Unis depuis 2008 (mais cela dure en fait depuis 1971) consiste à causer plus de perturbation à l’extérieur de ses frontières que ses « partenaires » ne pourraient en provoquer sur le sol américain.

Est-ce qu’aux yeux de Pékin, ce nouveau plongeon du dollar — qui s’enclenche avec la bénédiction de la Fed, laquelle ne cesse faire répéter par chacun de ses membres depuis une semaine qu’elle ne touchera pas au QE3, ni fin octobre ni en décembre — ne va constituer la provocation de trop ?

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