La Chronique Agora

La Fed n’a pas retenu la leçon de la crise du baht et du ringgit

▪ Le 17 septembre 1997, alors que mon vol de New York à Hong Kong avait atterri et roulait vers la porte, l’avion parqué à la porte voisine attira mon attention.

C’était un Boeing 707 portant les mots « United States of America » sur son fuselage, ressemblant étrangement à l’appareil Air Force One qui avait transporté le corps du président Kennedy de Dallas à Washington après son assassinat en 1963.

Mais cet avion n’avait pas les finitions bleu clair de la flotte présidentielle. Il était peint en vert sombre — de la nuance que j’appelle « vert Trésor ». C’était l’avion gouvernemental acheminant le Secrétaire au Trésor US Bob Rubin, accompagné d’autres personnalités, à la réunion annuelle de l’IMF.

J’étais là pour la même réunion, en tant que représentant de Long Term Capital Management — hedge fund encore méconnu à l’époque mais qui dominait le trading en obligations gouvernementales de pays du monde entier. Avec moi se trouvaient plusieurs partenaires de LTCM, dont David J. Mullins Jr., ancien secrétaire-assistant au Trésor en charge des finances fédérales et vice-président de la Réserve fédérale.

Un an plus tard, LTCM aurait des ennuis… mais nous ne le savions pas encore. En septembre 1997, nous étions au sommet. Nous étions donc parfaitement à notre place dans ce rassemblement de banquiers centraux, chefs d’Etat, ministre des Finances et banquiers privés du monde entier.

La réunion de septembre 1997 a été la plus importante et la plus mémorable de toutes les réunions du FMI

▪ Où le carry trade est remis en question…
La réunion de septembre 1997 a été la plus importante et la plus mémorable de toutes les réunions du FMI. Elle se déroulait peu de temps après le début de la crise financière asiatique, qui avait commencé en Thaïlande en juillet 1997 avec la dévaluation de la devise thaï, le baht. Avant cette dévaluation, le baht était fermement lié au dollar US.

Cela avait encouragé le premier carry trade. Les investisseurs du monde entier empruntaient des dollars, les convertissaient en bahts, investissaient en Thaïlande à des rendements plus élevés en faisant jouer l’effet de levier, et empochaient joyeusement des profits relativement sans risques — tant que le lien baht/dollar tenait.

Puis les investisseurs décidèrent de se retirer de Thaïlande. Cela déclencha une panique bancaire classique. La Banque centrale thaïlandaise se retrouva rapidement à cours de réserves de dollars ; en juillet, elle brisa son lien avec le billet vert et dévalua sa devise.

Ce même carry trade était pratiqué dans d’autres marchés émergents. Une fois le baht thaï dévalué, les investisseurs perdirent confiance dans tous les marchés émergents et commencèrent à exiger le retour de leur argent. La contagion atteignit rapidement la Malaisie, qui vit sa devise, le ringgit, être victimes d’attaques multiples.

La Malaisie, menée par son Premier ministre, Mahathir Mohamad, adopta une approche différente de celle de la Thaïlande. Au lieu de compter uniquement sur la dévaluation, Mahathir imposa des contrôles de capitaux. Il n’était pas prêt à voir les réserves de la Malaisie siphonnées par les intérêts financiers occidentaux. Il déclara donc que leur système était verrouillé et que les investisseurs ne pourraient pas récupérer leur argent. Ledit argent resterait en Malaisie.

Mahathir prononça un discours cinglant durant la réunion du FMI. Il déclara : « je sais que je prends un gros risque en faisant une telle suggestion, mais j’affirme que le trading en devises est superflu, contre-productif et immoral ; il faut y mettre fin. Il devrait être illégal. Nous n’avons pas besoin de trading en devises. L’argent devrait être acheté uniquement lorsque nous voulons financer le commerce réel ».

Mahathir continua : « pas mal de personnes, dans les médias ou contrôlant les gros intérêts financiers, semblent souhaiter que les pays du sud-est asiatique, et en particulier la Malaisie, cessent de tenter de rattraper leurs supérieurs et apprennent à rester à leur place ». Mahathir rendait les spéculateurs et les hedge funds, ainsi que leurs soutiens dans les grandes banques, responsables des problèmes qui affligeaient la Malaisie.

▪ … Mais pas pour longtemps
Deux jours plus tard, le spéculateur et financier George Soros répliqua : « le Dr. Mahathir a suggéré d’interdire le trading en devises. C’est une idée si malavisée qu’elle ne mérite même pas d’être sérieusement envisagée. Interférer avec la convertibilité des capitaux à un tel moment est une recette pour le désastre. Le Dr. Mahathir est un danger pour son propre pays ».

Le Secrétaire au Trésor US était pris entre la colère des nations souveraines, représentées par Mahathir, et l’outrage de ses amis de Wall Street, représentés par Soros. Il marmonna quelques phrases diplomatiques, mais il était clairement du côté de Soros.

Ce fut le début de la première contagion financière mondiale de l’après-guerre

Les contrôles de capitaux comme ceux imposés par Mahathir n’étaient tout simplement pas acceptables pour le « consensus de Washington » sur la manière dont le système monétaire international devait fonctionner. Durant cette semaine à Hong Kong en septembre 1997, j’eus une place au premier rang pour assister à l’un des grands tournants de l’évolution du système monétaire international. Ce fut le début de la première contagion financière mondiale de l’après-guerre.

La panique qui avait commencé en Thaïlande avant de se propager à la Malaisie ne tarda pas à atteindre l’Indonésie et la Corée fin 1997/début 1998. Il y eut des émeutes et du sang dans les rues dans les deux pays ; le président indonésien Suharto fut obligé de démissionner après 30 ans de règne. En août 1998, la contagion toucha la Russie, qui dévalua sa devise et fit défaut sur ses dettes internes et externes. Cela déclencha une panique mondiale qui n’épargna pas mon hedge fund, LTCM.

A la fin septembre, tous les marchés mondiaux étaient au bord de l’effondrement. Wall Street organisa un sauvetage de LTCM, que je négociai personnellement au nom du fonds. Je ne savais pas, en ce mois de septembre 1997 à Hong Kong, que l’incendie financier entamé ici se propagerait à Greenwich, Connecticut, une année plus tard, avec le potentiel de mettre le feu au monde financier dans son ensemble.

Il serait réconfortant de dire que le monde a retenu les leçons de 1998 et qu’une telle crise ne pourrait pas se reproduire. Sauf que rien n’est plus éloigné de la vérité. En réalité, le monde répète les mêmes erreurs — sur une échelle bien plus vaste.

La Réserve fédérale est actuellement en train de préparer une hausse des taux d’intérêt. Cela rendra le dollar encore plus fort qu’il ne l’est actuellement et poussera les capitaux à fuir les marchés émergents, mettant une pression énorme sur les devises émergentes et préparant le terrain pour des défauts massifs de la part d’emprunteurs libellés en dollars dans ces pays.

La Fed est aussi aveugle à ce danger aujourd’hui qu’elle l’était en 1997. Une contagion est sur le point de se déclencher que la Fed et la plupart des intervenants financiers ne voient pas venir. Comme en 1997, elle n’aura pas lieu du jour au lendemain, mais se répandra lentement dans le monde entier. Les ressorts de la contagion sont les mêmes, cependant. La crise ne se limitera pas aux marchés émergents.

Les similitudes avec 1997 sont frappantes — et les pays occidentaux subiront l’effet boomerang de plein fouet, comme toujours.
[NDLR : Comment vous immuniser contre cette contagion ? Jim Rickards a des explications — et des solutions — à découvrir sans attendre en cliquant ici.]

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