La Chronique Agora

Fed, BCE et secteur bancaire : un jeu dangereux

banques centrales

▪ Les opérateurs ne pouvaient espérer scénario plus idyllique à la veille de la séance des « Trois sorcières ». Cette journée d’expiration des produits dérivés va consacrer un mois de juillet flamboyant pour Wall Street.

Le Dow Jones engrange 4,5% depuis le 28 juin, sa meilleure performance mensuelle depuis janvier. Quant au S&P 500, il reprend pas moins de 8% depuis le 24 juin dernier, la précédente journée des « Quatre sorcières ».

Les indices américains viennent d’aligner une série record de 15 séances de hausse sur 18, plus une de stabilité… pour seulement deux séances de repli (-0,45% au maximum).

Les chartistes voient déjà le S&P 500 (+133 points en quatre semaines) se faire aspirer vers les 1 700 points. Ils pourraient bien avoir raison si le scénario récurrent du double sommet avant correction majeure survenait une fois de plus — comme en 2007 (1 555 en juillet puis 1 576 en octobre) ou en 2011 (1 344 mi-février puis 1 365 début mai).

La grande correction de 2000/2002 s’était également enclenchée à partir d’un double sommet parfaitement dessiné entre mars et août 2000, à respectivement 1 552 puis 1 530 points.

A chaque fois, 21 points d’écart ont séparé les deux sommets — et rebelote avec un S&P à 1 690 points.

L’analogie ne s’arrête pas là puisque les oscillateurs mensuels ont à chaque fois dessiné un double top sur des niveaux de surachat historique. Le S&P 500 y est revenu avec allégresse… et un sens du défi qui force l’admiration : les taux longs sont 50 points plus haut que lors du précédent record. La petite décrue de mercredi n’est déjà plus qu’un souvenir après la publication d’un très bon indice de la Fed de Philadelphie — en forte hausse à 19,8 contre 12,5 en juin –, et du net repli du chômage hebdomadaire (-24 000 à 334 000).

Ces chiffres auraient pu raviver les craintes d’une réduction du QE3, mais les opérateurs se félicitent de ces bons indicateurs.

▪ Enthousiasme européen
Les bonnes nouvelles macro-économiques semblent être une exclusivité américaine ; grâce à l’effet « poisson rouge », la chute de 10% des mises en chantier au mois de juin est déjà oubliée. Toutefois, l’enthousiasme le plus démonstratif reste l’apanage des places européennes depuis le début de la semaine.

La bourse de Paris s’est par exemple envolée de 1,44% à 3 928 points jeudi, le CAC 40 finissant au plus haut du jour. L’indice a repris 100 points en une séance et demi, et il engrange pas moins de 10% depuis le plancher du 24 juin dernier (à 0,1% près).

La flambée du pétrole WTI à New York ne saurait pas davantage inquiéter les investisseurs. Le gallon de sans-plomb a franchi le cap psychologique des quatre dollars dans de nombreux états américains… mais qui se soucie de l’effet que cela a sur le pouvoir d’achat des ménages ?

Il n’est pas une fin de mois difficile qui ne puisse être résolue par un peu plus d’endettement !

▪ Zombies bancaires
Et si l’excès de dette conduit à un nouveau « choc d’insolvabilité », cela ne pose pas de problème. Les banques systémiques (les partenaires de la Fed) seront sauvées par de l’argent public… malgré toutes les dénégations de la Maison Blanche.

Le plus merveilleux, c’est qu’elles mettront la main sur les actifs des « bons clients » des banques qui seront mises en faillite sans l’ombre d’une hésitation. Cela avec l’aval et sous la supervision de la Fed : pas moins de 470 banques locales ou régionales ont fermé leurs portes aux Etats-Unis depuis l’été 2008.

En Europe, on répugne à démanteler les banques zombie. Au mieux, on essaye de les faire fusionner, comme en Espagne. Le but étant d’obtenir assez rapidement des faillites massives (de type Bankia), qui ne laissent pas d’autre choix que de laisser la BCE traiter le problème… par des injections permanentes de liquidités qui ne disent pas leur nom.

La BCE en profite pour prendre peu à peu le pouvoir — de manière très informelle mais redoutablement efficace — et dicter ses conditions aux Etats… Car ce sont ces mêmes banques zombie qui souscrivent aux émissions des gouvernements au bord de la faillite de l’Europe du sud.

Sans le soutien indirect mais vital de la BCE, le système financier européen s’effondrerait en quelques heures.

Combien de temps va-t-il pouvoir survivre face à des économies en récession de -2% ou plus… avec des taux voisins de 4,5% en moyenne en Espagne et en Italie, et de 7% au Portugal ?

▪ Manoeuvres à la BCE
Mario Draghi attend son heure pour obtenir carte blanche de la part de la Bundesbank et de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Une occasion historique de se faire attribuer les pleins pouvoirs pourrait provenir d’une réélection d’Angela Merkel obtenue de justesse grâce à une fragile coalition hétérogène en septembre prochain.

Affaiblie politiquement, la chancelière n’aurait plus les moyens de s’opposer à une OPA amicale de la BCE sur les rouages économiques de l’Europe.

Il y a eu un célèbre précédent en mars 2009 : Goldman Sachs, avec l’entier soutien de la Fed, avait convaincu Barack Obama de ne pas suivre l’exemple britannique et irlandais — qui avait opté pour la nationalisation de Northern Rock, Lloyds TSB, Royal Bank of Scotland, la mise sous tutelle de Barclays, etc.

Ce jour-là, les banques américaines ont su qu’elles avaient pris le pouvoir… et cela ne leur avait coûté que l’approbation du contrôle de la rémunération des plus hauts dirigeants jusqu’à ce qu’une partie de l’argent public soit remboursé.

Un engagement dont elles se sont acquittées avec une facilité déconcertante puisque la Fed a mis sur pied à leur intention les QE1, QE2 et QE3.

Vous connaissez la suite : les banques ont mis la main sur cette manne pour s’assurer des profits à tous les coups sur les marchés. Goldman Sachs se vanta même un peu bêtement d’avoir enchaîné 50 journées sur 50 de trading gagnant au printemps 2010 — tout cela par le biais du gonflement de bulles d’actifs dont la Fed se retrouve incapable de se dépêtrer.

Mais après Bernanke, le déluge… Tout le monde sait bien que ce sont les épargnants qui se feront lessiver : avec un S&P 500 à 1 690 points et les résultats décevant de Microsoft, Intel, UPS et Google, le jour du Jugement dernier n’est peut-être plus si lointain.

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