La Chronique Agora

Couvertes par la Fed, les banques prennent de plus en plus de risques

▪ Les actions boursières connaissent une tendance haussière historique ; voilà 40 ans qu’on n’avait pas vu aussi peu de jours de contre-tendance à la baisse. Tel est le pouvoir des taux zéro ! Jamais encore les marchés financiers n’avaient eu un tel vent en poupe : de quoi en perdre sa chemise.

Dans un monde normal, les épargnants ont le choix entre rester investis en liquidités ou quasi-liquidités et recevoir un taux d’intérêt décent. Pas plus. L’intérêt qu’ils perçoivent sur un bon du Trésor US à 10 ans dépasse tout juste les 2,5%. Mais le véritable taux d’inflation des prix à la consommation — selon l’étude la plus exhaustive, menée par le Billion Prices Project — est de 3,91%.

Dans quel monde vivons-nous si un ménage honnête perd près d’1,5% de son épargne tous les ans ? Un monde étrange, truqué et dangereusement venteux.

Le Wall Street Journal rapporte que les investisseurs hissent les voiles pour obtenir des rendements plus élevés. Résultat, les prix obligataires ont grimpé, réduisant les rendements des obligations notées CCC aux niveaux les plus bas jamais constatés.

"Les grands investisseurs se précipitent sur les obligations d’entreprise les plus risquées, frustrés par les taux bas sur des investissements plus sûrs et convaincus que même des entreprises ayant des finances fragiles présentent peu de risques de faillite.

Ces achats font grimper les prix de ces obligations et baisser leurs rendements, qui ont ce mois-ci chuté à 8,187% sur l’indice Bank of America Merrill Lynch, surveillé de près — soit le plus bas niveau jamais enregistré. Les rendements baissent quand les prix grimpent.

La demande pour ces obligations et d’autres obligations du type junk bonds aide à nourrir l’activité de fusions-acquisitions.

Cet environnement de taux bas, selon Ford O’Neil, gestionnaire du fonds de 14,5 milliards de dollars Fidelity Total Bond, ‘force les gens à adopter des stratégies plus risquées, grâce auxquelles ils pensent être plus richement récompensés’."

Si la mer est trop démontée, se disent les investisseurs, le gouvernement enverra un hélicoptère chargé d’argent

Les taux bas de la Fed poussent les investisseurs à faire des choses imprudentes. Mais pourquoi s’inquiéter ? Si la mer est trop démontée, se disent les investisseurs, le gouvernement enverra un hélicoptère chargé d’argent.

▪ Une différence cruciale
Oui, cher lecteur, vous voyez là la différence entre une économie qui fonctionne correctement et une économie qui a été truquée par les banques centrales et les politiciens. Dans une économie normale, les entreprises empruntent de l’argent quand elles en ont besoin. Et les prêteurs prêtent de l’argent quand ils pensent pouvoir en retirer quelque chose. Sinon, ils restent en cash

Les prêteurs cherchent des emprunteurs solides, avec de bons business plans. Ils exigent aussi un taux d’intérêt pour se protéger du risque. Les prêteurs savent que même les meilleurs plans échouent de temps en temps ; un échec leur coûtera leur épargne durement acquise.

Mais dans l’économie actuelle, même de mauvais emprunteurs peuvent obtenir des financements bon marché. Pourquoi pas ? Personne n’a jamais gagné cet argent, pas plus qu’il n’a été épargné. S’il est perdu, qui s’en soucie ? Qui encaisse les pertes, quand l’argent provient du QE de la Fed ou du portefeuille de prêts non-provisionnés des banques ?

Et qui perd quoi que ce soit tant que la Fed garde un oeil vigilant sur le système tout entier, comme un jeune parent nerveux surveille son babyphone ?

C’est ainsi que le programme TARP est né au plus fort de la crise, le fruit d’une union malheureuse entre la cupidité et la panique

Durant la crise de 2008, tous les yeux se sont tournés vers Washington. Les autorités, dans leur sagesse, ont tout de suite su quoi faire. C’est ainsi que le programme TARP est né au plus fort de la crise, le fruit d’une union malheureuse entre la cupidité et la panique.

Le TARP était un programme de renflouage. Il offrait 700 milliards de dollars en subventions directes… et le chiffre vertigineux de 23 000 milliards de dollars en garanties et autres incitations au crédit. Ce genre de somme ne peut qu’avoir des conséquences imprévues. En l’occurrence, nous les constatons aujourd’hui sur le marché susmentionné des junk bonds… et dans les actifs bancaires. Une étude des professeurs Duchin et Sosyura, publié dans Journal of Financial Economics, nous dit que les banques sont désormais plus hardies :

"Cet article a examiné l’effet de l’aide gouvernementale sur la prise de risque des banques. Si nous ne trouvons pas d’effet significatif de l’aide gouvernementale sur la masse de crédit agrégée, nos résultats suggèrent toutefois un effet considérable sur le risque des prêts générés. Après avoir obtenu un accord pour des fonds fédéraux […] les participants accordent des prêts plus dangereux et augmentent les allocations de capital vers des titres plus risqués et à rendement plus élevés, par rapport aux banques à qui les fonds fédéraux ont été refusés […] l’effet net est une augmentation significative du risque systémique et des difficultés probables pour les banques aidées. Dans l’ensemble, nos preuves sont généralement cohérentes avec les théories qui prédisent une augmentation de la prise de risque comme conséquence d’une protection gouvernementale".

Dans une économie qui fonctionne correctement, les emprunteurs font faillite les uns après les autres. Mais dans un système financier frelaté, les investisseurs grands et petits déploient toute la voilure et prennent de la vitesse. C’est quasiment un affront à Neptune et à tous les dieux ; les marins doivent montrer du respect envers la météo… et les vagues vineuses. Sinon les eaux montent… et les petites barques sombrent toutes ensemble.

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