La Chronique Agora

Des faillites inimaginables donc impossibles ? (3/3)

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Que faudrait-il pour qu’une banque centrale disparaisse ?

Nous évoquions hier la possibilité d’un défaut des Etats-Unis. Si cet événement prendrait des formes différentes de défauts précédemment observés dans l’Histoire, comme ceux de la Russie, du Mexique ou de l’Indonésie dans les années 1990, il n’est pas si impossible que cela.

Si ce risque reste en effet assez improbable à court terme, en tant qu’investisseur, il est utile de réfléchir à long terme. Alors passons au dernier type de faillite qui semble inimaginable, la faillite d’une banque centrale. Et même de l’une des principales banques centrales du monde, comme la Fed ou la BCE.

Tout part des questions de la soutenabilité des dettes publiques et d’une crise généralisée des finances publiques. Ces questions sont désormais mal posées et sont, en réalité, remplacées par la question suivante : est-ce que le porteur principal des dettes publiques (la banque centrale) peut « disparaître » ou, à tout le moins être contesté et devenir illégitime ?

Autrement dit, techniquement, une banque centrale peut-elle faire faillite ? La quasi-intégralité des spécialistes de l’économie répondra en cœur que c’est impossible.

D’où vient l’argent de la banque centrale ?

En effet, la banque centrale use et abuse de son privilège principal, l’émission de monnaie (création monétaire « ex nihilo », c’est-à-dire à partir de rien). Cela passe par une dette que la banque centrale émet sur elle-même, donc un passif non exigible, contrairement à celui de n’importe quel agent économique. Il n’y a donc pas de limites techniques à cette création monétaire, en tout cas tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve. Et sauf circonstances historiques « exceptionnelles », on ne voit pas comment il pourrait en être autrement.

Par ailleurs, la banque centrale n’est pas liée par les règles comptables qui s’imposent aux banques commerciales. Ainsi, elle ne valorise pas les actifs qu’elle possède en valeur de marché. Cela signifie qu’il n’y a pas de stress et de pression pour une banque centrale à se recapitaliser comme pour une banque normale en situation de baisse des fonds propres, provoquée par des moins-values latentes ou réalisées sur certains actifs détenus.

Oui, mais alors imaginons un instant que la banque centrale soit contrainte de vendre des actifs pourris et de matérialiser des pertes qui viendraient alors faire disparaître une partie de son capital. Dès lors, deux solutions sont envisageables.

Première solution : les pertes s’imputent sur le capital, ainsi que sur les comptes de réévaluation, qui intègrent les plus-values latentes accumulées depuis sa création. Aujourd’hui, la BCE dispose encore de 8,9 Mds€ de capital et de 36,1 Mds€ sur un « compte de réévaluation » destiné à couvrir les pertes de marché.

Seconde solution : la recapitalisation par les Etats de la zone euro, à hauteur du poids de ceux-ci dans le capital de la BCE. Ce qui est absurde puisque, dans le même temps, la banque centrale crée de la monnaie pour acheter la dette publique d’Etats qui la recapitaliseraient à concurrence de leur poids dans le capital de la BCE.

Le vrai risque est ailleurs

Ceci étant dit, d’un point de vue réglementaire, rien n’empêche une banque centrale de vivre avec des fonds propres négatifs (stress scénario extrême) si les Etats actionnaires de celle-ci refusent de mettre au pot.

D’ailleurs, de façon assez irresponsable, des officiels de la banque centrale n’hésitent pas à minimiser les conséquences potentielles de pertes de marché, allant même jusqu’à considérer que la BCE pourrait tout à fait opérer avec un capital négatif.

Certes, ceci est vrai d’un point de vue réglementaire, et surtout dans un contexte où l’on prendrait des libertés vis-à-vis de ladite réglementation. Les exemples sont si nombreux de situations devenues difficiles où ceux-là même qui sont à l’origine de lois et de règles s’en affranchissent les premiers.

Mais, d’un point de vue économique et financier, imaginez seulement qu’une banque centrale, voire plusieurs grandes banques centrales, affichent des fonds propres négatifs. Ceci poserait la question de la légitimité des banques centrales, et donc la question de la légitimité des monnaies traditionnelles (monnaies dites fiduciaires, émises sans limite par les banques centrales).

Dans ce cas, puisque les dettes publiques (ou tout du moins la partie de plus en plus importante détenue par les banques centrales) ne seront jamais remboursées, il ne serait plus déraisonnable de considérer que l’un des risques de contrepartie le plus important sur les marchés financiers deviendra le risque vis-à-vis du porteur principal de ces dettes (BCE, FED, BOJ, BOE et les autres).

Naturellement, ce risque n’est pas un risque de contrepartie classique, puisqu’il équivaut à une dégradation de la qualité du passif des banques centrales, mais aussi, à très long terme, à une perte de confiance de plus en plus élevée vis-à-vis de la monnaie émise, ainsi qu’à une baisse du rendement des réserves déposées par les banques à la banque centrale.

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