Le défaut des Etats-Unis, évité de justesse il y a un mois, semble tout à fait possible sur le long terme.
Nous avons commencé vendredi dernier à nous demander pourquoi il est si impensable d’envisager la faillite d’un grand Etat. Pour en arriver là, il faudrait qu’un certain nombre de conditions soient rassemblées. Les grands Etats disposent en théorie de ressources pour éviter ce défaut.
Cependant, plusieurs pays ont déjà fait face à des défauts. Le premier type, le défaut explicite, a par exemple été observé en Russie dans les années 1990.
Un second type de défaut est le défaut déguisé. Dans ce cas, les pays concernés peuvent par exemple bénéficier d’un large montant de prêts accordés par le FMI pour éviter le défaut réel.
Ce fut le cas du Mexique au milieu des années 1990. Le pays présentait d’importantes vulnérabilités au niveau de la structure de sa dette souveraine, En particulier, les vulnérabilités du Mexique résidaient dans l’obligation pour le gouvernement de remplacer les émissions d’obligations libellées en peso par des obligations libellées en dollars (Tesobonos) face aux inquiétudes des investisseurs quant à la surévaluation réelle du taux de change.
Un plan de sauvetage de 50 Mds$ (dont 20 à la charge des Etats-Unis et 18 à la charge du FMI) aura permis au Mexique d’éviter un vrai défaut souverain.
Mais ces « défauts déguisés » ont aussi touché des pays asiatiques comme l’Indonésie et la Thaïlande (1997).
Le cas de ces pays est différent, dans la mesure où ces économies ne possédaient pas de grandes faiblesses au niveau de la structure du bilan du gouvernement, mais plutôt au niveau de la structure des bilans du secteur privé financier et non financier. Le décrochage des monnaies asiatiques à partir du mois d’août 1997 a initié un plan de sauvetage du FMI de plus de 40 Mds$, afin de stabiliser ces monnaies locales et d’empêcher que la crise ne se propage aux secteurs institutionnels.
Quand les Etats-Unis évitent le défaut
Bien entendu, les Etats-Unis ne sont ni la Russie, ni le Mexique, ni l’Indonésie.
Au-delà de l’actualité récurrente sur la question du plafond de la dette, deux questions se posent : un défaut sur la dette souveraine US est-il possible ? Et s’il survient, est-il technique (une échéance non remboursée avant un accord pour relever le plafond de la dette), réel (impossibilité de payer les fonctionnaires du pays), ou – plus grave – systémique (impossibilité durable de se refinancer sur les marchés auprès des investisseurs non-résidents) ?
La situation budgétaire américaine est toujours très compliquée avec le débat sur le relèvement du plafond de la dette qui resurgit régulièrement et, avec lui, les craintes de défaut technique du plus grand emprunteur du monde sur les marchés financiers. Depuis 1960, le plafond de la dette américaine a été relevé au total 78 fois.
Mais les derniers relèvements se sont avérés de plus en plus douloureux, certainement en raison de l’explosion du niveau de la dette publique américaine : 6 000 Mds$ en 2000 ; 10 000 Mds$ en 2009 ; 16 000 Mds$ fin 2012 ; plus de 20 000 Mds$ en 2019 ; 31 000 Mds$ aujourd’hui. Et ils sont d’autant plus douloureux que le contexte politique est parfois complexe quand l’échéance se présente, comme ce fut le cas cette année (exécutif démocrate, courte majorité démocrate au Sénat et courte majorité républicaine à la Chambre des représentants).
On se souvient que durant la dernière décennie, les débats sur le relèvement avaient été fortement influencés par l’environnement politique.
Les démocrates n’ont pas oublié le shutdown de 2013. A l’époque, voulant remettre en cause la mise en place de l’Obamacare, une partie des républicains avait refusé de voter le budget 2014, entraînant un défaut technique de l’Etat de 16 jours, dont le coût final sera estimé à 24 Mds$.
Les arrangements continuent
A contrario, souvenons-nous que le débat sur le plafond de la dette en 2011 par exemple avait vite trouvé une solution grâce à la pacification du Speaker John Boehner, qui a toujours cherché à neutraliser la minorité des partisans de la rigueur fiscale au sein du parti républicain, via un accord « bipartite » avec Nancy Pelosi, alors chef de la minorité démocrate, et Barack Obama.
Au pire, si la situation politique est similaire lors de la prochaine échéance, les Etats-Unis reproduiront l’épisode de défaut technique de 2014 pendant quelques jours…
Mais cela ne doit pas masquer les points suivants :
- Jusqu’à quand le Trésor américain pourra-t-il « tricher » en matière de finances publiques en faisant passer des emprunts d’état pour des investissements ? Comme en France, la créativité budgétaire et fiscale est au rendez-vous : par exemple, des sommes empruntées pour financer la Sécurité sociale se transforment artificiellement en « investissements » (en assimilant des dépenses courantes à des achats de matériel médical).
- Comme en France également, il existe une dette cachée (la plus difficile à évaluer), avec des dépenses de santé et de retraite non provisionnées.
Et puis, au-delà de ces événements et considérations budgétaires, il faut voir plus loin, beaucoup plus loin. La situation des finances publiques US conduira un jour à une grave crise financière, puisque les déficits sont financés facilement par de l’épargne non-résidente relativement grâce au privilège exorbitant du dollar, encore principalement monnaie de réserve internationale.
Alors certes, les dirigeants politiques et économiques, ainsi que les gros investisseurs, pensent que ce risque est tellement lointain – en tout cas pour ceux qui pensent que ce risque existe – qu’il n’arrivera jamais. Si l’on revient à nos arguments de vendredi dernier, sur l’impossibilité de faire défaut pour un grand Etat de l’OCDE, que peut-on dire quant aux risques de vrai défaut dans le futur pour les Etats-Unis ?
Mieux vaut se préparer
Déjà, l’argument des moyens illimités de l’Etat du fait de la pression fiscale n’est plus recevable.
L’argument de la répression financière, qui incite les banques et assureurs à rester surpondérés en titres d’Etat pour gérer les ratios réglementaires, sera de moins en moins solide. Dans un environnement de taux élevés ou/et volatils, rien ne garantit que l’appétit des investisseurs institutionnels en titres d’Etat reste intact (de part et d’autre de l’Atlantique).
L’argument de la banque centrale pouvant monétiser directement ou indirectement la dette publique de son pays (ou des pays de sa zone monétaire) par l’impression de monnaie n’a de sens que si l’on considère que la banque centrale en question peut mettre en place un QE quels que soient les fondamentaux économiques.
Dans le cas des Etats-Unis seulement, le statut de monnaie de réserve du dollar permet un financement facile des déficits public et extérieur. Oui, mais encore faut-il que les investisseurs non-résidents restent investis ou/et que ceux qui sont partis reviennent. Dans un contexte géopolitique durablement tendu, les tentatives de dédollarisation se multiplieront ici ou là, ce qui fragilisera de plus en plus le financement des déficits « jumeaux » américains (budgétaire et commercial).
Cela fait quand même beaucoup de conditions, et parier éternellement sur le privilège exorbitant du dollar n’a aucune pertinence.
Certes, nous sommes mortels en tant qu’êtres humains et donc a fortiori en tant qu’investisseurs particuliers ; il se pourrait fort bien qu’en tant que contemporains de la dérive budgétaire américaine, nous n’assistions jamais à un défaut réel des Etats-Unis. Mais en tant que personne physique ou morale, il n’est pas interdit de penser à ses héritiers et successeurs, en se préparant sous une forme ou sous une autre à la fin dans un premier temps des bons du Trésor américain en tant qu’actif sans risque.
Nous verrons dans notre prochain article, si la faillite est de la même façon envisageable ou pas, pour une banque centrale.