La Chronique Agora

La guerre du chêne chinois

scierie française - chêne - Chine

Après des décennies de baisse, la demande chinoise fait progresser le prix du chêne. Les scieurs se plaignent de ne plus trouver assez de matière.

Le rendement du bon du Trésor américain à 10 ans qui s’était récemment un peu calmé repasse au dessus de 3%. Selon Jamie Dimon, de JP Morgan, les ennuis sérieux ne commenceront qu’à 5%, il ne sert à rien de paniquer avant ce seuil [1].

Nous avons donc le temps et cela me permet de vous parler de choses que j’estime plus intéressantes : la guerre du chêne pour la Chine.

Du fond de mes bois, je suis cette année loin des hostilités ; j’ai coupé et vendu des douglas qui sont des résineux. Les chênes poussent gentiment et la sécheresse n’a pas fait de victimes notables. Mais la guerre du chêne pour la Chine fait parler bûcherons, débardeurs et experts forestiers.

Commençons par le traitement qu’en fait la presse généraliste.

« Les exportations de chêne de France vers la Chine ont augmenté de 35%. Le prix de ce bois augmente. Une situation qui pèse sur les scieries françaises qui risquent de se retrouver à court de chêne. »

 

… Les 550 scieries de France, qui exploitent la troisième forêt de chênes du monde, emploient 26 000 personnes rien qu’en ce qui concerne le… chêne !

D’un côté les méchants, les Chinois assoiffés de chênes.

De l’autre, les gentils : les scieries qui emploient des gens, des emplois, donc…

sortez votre mouchoir en papier (la consommation de Kleenex est bonne pour le bois) et essuyez votre larme.

Maintenant, laissez-moi vous raconter une histoire un peu différente.

La demande chinoise correspond à du bois de faible qualité que les scieries ne souhaitent pas transformer.

Le travail du propriétaire forestier s’étale sur des cycles longs. Pour produire du chêne de qualité supérieure, il faut en France une centaine d’années et de nombreuses coupes d’éclaircie. Celles-ci produisent du bois de moins bonne qualité qui a du mal à trouver acheteur.

Il y a trois acteurs dans la filière bois :

Je mets de côté les experts qui assistent les propriétaires dans leur gestion et organisent les ventes aux enchères de bois sur pied.

Depuis plus de trois décennies, le prix du chêne à l’achat baissait en France. Au milieu des années 1970, le mètre cube de chêne se vendait l’équivalent de 400 €. Aujourd’hui, le prix moyen sur le marché est de 147 €.[2] Mais depuis trois ans, la valeur du chêne sur pied a quasiment doublé.

Pendant des décennies, les scieurs français – qui ne se sont pas équipés pour la transformation de bois de qualité moyenne car ils ne sont pas compétitifs – ont mis la pression sur les propriétaires, qui étaient contraints de brader leur bois moyen. Les nécessaires coupes de mise en valeur du beau bois non seulement ne rapportaient presque plus rien mais parfois coûtaient.

Notons aussi que les scieurs ont par ailleurs été largement subventionnées par les contribuables ; ce sont des employeurs régionaux, au contraire des propriétaires forestiers et des négociants-courtiers dont les activités nécessitent moins de main d’oeuvre.

Un jour, des négociants sont venus trouver les propriétaires en leur proposant des prix nettement supérieurs à ceux du marché français pour leur chêne.

Tope-là, marché gagnant-gagnant conclu…

Gros émoi des scieurs – dont certains s’étaient entre temps enfin résolus à s’équiper – qui estiment ne plus trouver suffisamment de matière.

Dans un réflexe protectionniste classique, les scieurs implorent maintenant le gouvernement d’interdire l’exportation des chênes. Leur lobbyisme va-t-il réussir à imposer ce marché gagnant-perdant ?

J’aimerais savoir ce que diraient ces mêmes scieurs si le syndicat des fabricants de mobilier ou de charpente demandait au gouvernement de leur interdire les exportations de bois semi-fini !

Cette lamentable histoire montre combien la politique corrompt l’économie, comme l’explique autrement Bill Bonner dans sa chronique. Elle montre aussi les déplorables effets du lobbyisme supposé « protéger l’emploi ». Car les subventions n’ont pas empêché les scieries de sombrer.

Les beaux bois de chêne sont devenus rares. Les prix du bois moyen montent grâce à l’export. Des courtiers ont créé de nouveaux circuits commerciaux. Ceci permet aux propriétaires d’écouler leurs coupes de mise en valeur, de réinvestir pour l’avenir. Les opportunités sont plus facile à discerner dans un climat de liberté que dans un climat de réglementation, contrainte et protectionnisme.

[1] https://www.bloombergquint.com/global-economics/2018/08/06/dimon-doubles-down-on-higher-u-s-yields-call-with-5-warning#gs.qU2G9b8

[2] Forêt Privée n° 360 Mars avril 2018-09-20

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile