Le dossier Evergrande est une parfaite illustration des dysfonctionnements du système actuel, où la spéculation l’emporte sur l’économie réelle. Les autorités occidentales feraient bien d’en retenir quelques leçons pour l’avenir…
Le foncier et l’immobilier jouent un rôle majeur dans l’économie chinoise, à côté des investissements publics.
Ce rôle est illustré par la part de l’immobilier dans le PIB et dans la finance. Le secteur immobilier représente 13% de l’économie contre seulement 5% en 1995 et environ 28% du total des prêts du pays.
Etant donné que les gouvernements locaux ont une dette de 10 000 Mds$, les ventes de terres sont la source de revenus la plus cruciale et la plus fiable pour le remboursement de leur dette.
Ainsi, tout changement drastique augmenterait sérieusement le risque de défaillance des collectivités locales.
En pratique, la Chine a recours à un système de production de crédit fondé sur la monétisation des ressources foncières : cela produit à la fois un « credit impulse » et, en même temps, une auto-solvabilisation par la hausse des prix des actifs.
Le point faible de ce système malsain fondé sur l’appréciation continue des « stocks », c’est la rentabilité, c’est-à-dire les flux.
La valeur des actifs accumulés qui servent à adosser le crédit monte – mais les flux pour soutenir cette valeur ne montent pas dans la même proportion. In fine, pour soutenir le tout, il faut mettre en place une pyramide de Ponzi.
C’est ce qu’a fait Evergrande… mais c’est aussi ce qu’a fait tout le système chinois.
Une disproportion de fond
Le système est devenu fragile ; il est entré dans ce que l’on appelle son « moment Minsky ».
Le fond, c’est bien sûr la disproportion entre le financier et l’économique d’une part et la disproportion entre les effets de stocks que constituent ces actifs et les cash-flows/revenus qu’ils génèrent d’autre part.
On est dans le problème classique – et mondial – de systèmes dopés, mus par le crédit ; un crédit malsain, adossé aux actifs et non aux capacités de solvabilisation et rentabilisation par les flux.
C’est le gouvernement chinois lui-même qui a cassé le Ponzi.
Les problèmes de crédit croissants du groupe ont coïncidé avec le changement de politique du gouvernement vers le contrôle de l’« expansion désordonnée du capital », contre les grands groupes technologiques, l’industrie immobilière et d’autres secteurs.
Le ministère du Logement du pays a annoncé une campagne d’inspection de trois ans pour renforcer la réglementation du secteur immobilier.
L’année dernière, le gouvernement a mis en œuvre une politique stricte visant à réduire l’effet de levier des développeurs/promoteurs, que le régulateur bancaire chinois a qualifiés de plus gros risque financier du pays.
Il a été demandé aux banques d’augmenter les taux hypothécaires.
Les gouvernements locaux ont été invités à accélérer le développement de logements locatifs subventionnés par le gouvernement, et à accroître la surveillance sur tous les points, du financement des développeurs et des prix des logements nouvellement cotés aux transferts de titres.
« Le logement, c’est pour y vivre »
La philosophie de la reprise en main a été clairement exprimée, et elle est compréhensible et assimilable par tout le monde, y compris le public : « le logement », a dit Xi Jinping, « c’est pour y vivre ».
Ainsi, au lieu que le logement « soit pour y vivre », a expliqué Xi Jinping, il est devenu un secteur « pour la spéculation ». Les appartements en Chine sont devenus le véhicule d’investissement de choix pour les gens. Peu d’acheteurs achètent un appartement à Evergrande comme résidence principale.
Ce qui fait que « la propriété immobilière est la source la plus importante de risque financier et d’inégalité de richesse en Chine ».
Il est intéressant de noter la phrase de Xi Jinping : un logement c’est pour y vivre, ce n’est pas pour spéculer.
Sans le vouloir, Xi a mis le doigt sur la racine du mal chinois et du mal global : les valeurs d‘usage sont oubliées, escamotées derrière les valeurs d’échange – c’est-à-dire derrière la spéculation et le jeu sur les prix.
La remarque de Xi a une portée générale, au-delà de l’économie. Elle a une portée systémique : nous sommes au cœur des contradictions du capitalisme, les contradictions entre la valeur d‘usage des choses et leur valeur d’échange. Nous sommes au cœur de la dialectique entre le système fondé sur le profit et l’accumulation et le système fondé sur production sur la satisfaction des besoins.
Deux systèmes
Ce sur quoi Xi met le doigt, c’est sur la question de la coexistence de deux systèmes dans l’économie chinoise : d’un côté un système pour le profit, et de l’autre un système pour les besoins tels qu’ils sont appréciés par l’équipe dirigeante.
A partir du moment où les dirigeants ont compris :
– que l’on entrait dans un moment Minsky d’instabilité ;
– que la compétition stratégique avec les Etats-Unis entrait dans une phase critique…
… Ils ont décidé de revenir aux valeurs d’usage, aux besoins, c’est-à-dire en gros au socialisme.
La logique de ce choix, c’est la réduction de la part de l’économie pour le profit – et l’augmentation de la part pour la production de vraies richesses, de vrais produits d’avenir technologiques et bien sûr d’armement.
Dans cette logique, la Chine doit renforcer le secteur public, les investissements, les dépenses militaires, et réduire le rôle du marché.
Si Xi appliquait sa réflexion au marché financier et si on revenait aux valeurs d’usage dans ce secteur, c’est-à-dire à la priorité au rendement, la spéculation aurait du souci à se faire, elle qui se contente de rendements nuls, donc de valeurs d’usage inexistantes, mais se rattrape sur les valeurs d’échange.
Ce qui se passe en Chine devrait donner à réfléchir aux super élites du système occidental.
La Chine est notre avenir.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]