La Chronique Agora

L’euthanasie des classes moyennes

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Un monde qui baigne puis se noie dans les dettes ne peut supporter des taux réels positifs.

Voici, succinctement énoncée, une vérité que les élites et les pseudo économistes mainstream ne peuvent comprendre et surtout admettre : contrairement au sens commun, plus les niveaux de dettes publiques et privées montent, et plus les taux d’intérêt réels doivent baisser.

Pour produire plus de dettes dans un système, il faut en faire baisser le coût, et le coût des dettes, ce sont les taux d’intérêt.

C’est ce que l’on voit depuis des décennies : les niveaux de dettes galopent et les taux d’intérêt ne cessent de chuter.

Les problèmes deviennent très compliqués quand on a tellement baissé les taux qu’on a atteint la borne du zéro. La poursuite de la baisse des taux bute sur le niveau zéro et il faut alors se diriger vers le contre-intuitif, à savoir les taux négatifs. Au lieu de s’accumuler par l’intérêt composé, le capital se désaccumule.

Depuis 1945, nous avons connu un cycle long du crédit. Les cycles longs du crédit sont de l’ordre de 75 ans. Le cycle long du crédit qui a pris naissance après la Seconde Guerre mondiale s’est développé à partir des destructions économiques, des destructions de capital, des destructions monétaires et financières de la guerre ; et il a pu se développer grâce à la réforme financière dite de Bretton Woods. Au fil du temps, nous en avons épuisé les délices. Et bien au-delà.

Trop de stock de dettes

Nous avons joué les prolongations grâce aux innovations ; elles nous ont permis de mondialiser la production de dettes, et de mondialiser l’insolvabilité. Le vrai ruissellement, c’est la dissémination des dettes, et le ruissellement de l’insolvabilité.

Le système à notre époque ne tourne que si et seulement si, d’une manière ou d‘une autre, il produit un minimum de X milliers de milliards de dettes nouvelles par an. C’est l’accroissement, le « Delta », qui compte.

La production de dettes bute maintenant sur le stock accumulé : il est tellement élevé – en regard des cash-flows pour les honorer – que, pour en ajouter de nouvelles, il faut manipuler le prix des anciennes. C’est la raison pour laquelle il faut monétiser, c’est-à-dire les faire acheter par les banques centrales.

Les QE et autres achats de titres à long terme ne sont rien d’autre que des soutiens artificiels des prix des dettes anciennes, afin de pouvoir en émettre de nouvelles.

Il y a un autre lien qui est généralement escamoté par l’économie idéologique : c’est le lien entre l’intérêt et le profit.

Euthanasie des rentiers

Le système, et je vous le répète sans arrêt, a pour carburant le profit. Ou, plus exactement, le taux de profit.

Le taux de profit, c’est le ratio de la masse de profit divisée par la masse de capital engagé. Le système capitaliste investit pour le profit et l’investissement est le moteur de la croissance et de l’emploi.

L’intérêt ne tombe pas du ciel, il est une fraction de la masse de profits bruts ; c’est une partie du travail non payé aux salariés, une partie de ce que l’on appelle le surproduit. Si l’intérêt baisse sans arrêt, cela bonifie le taux de profit apparent. Donc, cela prolonge la croissance malgré l’érosion de la profitabilité du capital exprimée au niveau du bénéfice net.

La baisse continue des taux dans le système est un moyen de lutter contre la tendance à la baisse du taux de profit du capital et la tendance à la stagnation.

L’euthanasie des rentiers est bien un moyen de prolonger le cycle de croissance au profit du capital engagé dans la production, mais elle a des contreparties : la destruction des classes moyennes et la concentration du grand capital, ce que l’on constate actuellement.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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