▪ Dans le grand abandon du réel par les marchés financiers, l’analyse politique fait aujourd’hui les frais d’une paresse intellectuelle. L’optimisme béat des investisseurs repose sur le fol espoir d’une austérité sous pilotage technocratique. Une note de l’équipe d’allocation d’actifs de Société Générale, publiée vendredi 9 mai, prévoit un CAC 40 à 7 000 points à l’horizon 2016, sous l’effet combiné du pacte de responsabilité et des réductions de coûts engagées par le gouvernement Valls. Ce parti-pris, ou plutôt cette incantation technocratique, masque le véritable enjeu de la question européenne.
Certes la dissolution de l’euro engendrerait une crise d’ampleur équivalente à 2008 mais son rejet démocratique comme garant de l’austérité mondiale demeure encore largement sous-estimé. Ceci nous promet un réveil des plus douloureux en cas de renversement politique.
Une telle sérénité, à quelques jours d’élections parlementaires promises à un déchaînement de passions nationalistes |
L’arrivée en force des partis eurosceptiques au Parlement européen, à l’occasion des élections du 25 mai prochain, a jusque-ici laissé tout à fait insensibles les indices actions et les taux obligataires de la Zone euro. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une telle sérénité, à quelques jours d’élections parlementaires promises à un déchaînement de passions nationalistes, a de quoi surprendre. Même au Royaume-Uni, pourtant épargné par la crise de l’euro, les indépendantistes du UKIP sont annoncés grands vainqueurs des élections avec 38% d’intentions de votes, d’après un sondage publié la semaine dernière par l’institut Comres. En France, le Front National se profile quant à lui comme probable leader, et chef de file incontesté d’un vote eurosceptique recoupant près de 35% des intentions de vote.
A la décharge des plus optimistes, les partis eurosceptiques demeurent des forces hétérogènes et largement dispersées, au sein d’un jeu parlementaire dominé par de puissantes coalitions continentales pro-européennes (PPE, PSE, libéraux, écologistes). Par ailleurs, le rapport démographique s’avère particulièrement défavorable à de petits pays comme la Hongrie, la Finlande, le Danemark, la Grèce, et les Pays-Bas, dont les partis eurosceptiques, pourtant très puissants, n’enverront en définitive que peu d’élus à Strasbourg.
Dès lors, en l’absence de forces nationalistes d’envergure en Allemagne et en Espagne, et face au déclin du mouvement Cinq Etoiles en Italie, le gros du contingent eurosceptique sera formé par les représentants français du Front National, les Anglais du UKIP et les Polonais du PiS. Une force pour le moins dispersée lorsque l’on sait que Nigel Farage, président du UKIP, a récemment rejeté la main tendue de Marine Le Pen, et que les Polonais du PiS se révèlent politiquement plus proches des conservateurs britanniques que du UKIP. Dans ce contexte, il est donc peu probable que la poussée des partis eurosceptiques aux élections de mai, même massive, puisse induire un blocage des institutions européennes, ni infléchir significativement la politique économique de Bruxelles.
▪ Des liquidités prêtes à l’attaque spéculative
La montée de l’euroscepticisme n’aurait donc aucun effet sur l’équilibre de la Zone euro ? Pas si vite, car si les marchés européens ont effectivement retrouvé une certaine sérénité depuis les évènements de 2010-2011, aucune action politique d’envergure, aucune amélioration économique significative, n’est à l’origine de cette accalmie. En Zone euro, le taux de chômage reste inchangé à près de 24% et continue de concerner plus d’un jeune Grec sur deux en 2014. Si la balance commerciale espagnole est récemment repassée en territoire positif, ce n’est qu’au prix d’un effondrement des importations, conséquence d’un pouvoir d’achat en chute libre.
En France, le gouvernement Valls effleure à peine les plans d’austérité bruxellois que déjà le spectre de la déflation s’invite à l’agenda politique, comme dans l’ensemble de la Zone euro où l’inflation atteint ses plus bas niveaux depuis 2010. En réalité, l’embellie européenne repose sur du sable. Elle n’est rien de plus que le mirage d’une confiance provisoirement retrouvée dans les institutions et la communication musclée de Mario Draghi. Les conséquences psychologiques de la vague eurosceptique pourraient se faire visibles alors que les marchés financiers n’attendent rien de mieux que quelques motifs d’attaques spéculatives pour mobiliser des liquidités en quête de placements tactiques.
▪ La France, ferment de pagaille européenne ?
Souvenons-nous que l’Union européenne, du moins dans sa forme actuelle, n’est rien de plus qu’une assemblée d’Etats-Nations, au sein desquels les ambitions politiques et la quête du pouvoir ne dérogent pas aux vieux principes. Ainsi, si des partis eurosceptiques à 35% ne bousculeront vraisemblablement pas les institutions européennes, au sein des pays concernés, les leaders européistes n’oublieront pas d’aller mendier à la soupe de l’opinion populaire et de donner quelques gages de complaisance à l’égard de l’électorat eurosceptique.
Ainsi va la vie politique, où les ambitions personnelles priment en dernière instance et commandent autant d’inflexions que tourne le vent des opinions |
Ainsi va la vie politique, où les ambitions personnelles priment en dernière instance et commandent autant d’inflexions que tourne le vent des opinions. A ce jeu-là, la France, pays de tradition insurrectionnelle, de citoyens goguenards et de lâchetés politiques, fait figure de candidat idéal à une jolie pagaille européenne. Qui ne voit d’ici Manuel Valls enfiler son costume de matador catalan pour arracher au taureau bruxellois un "délai supplémentaire" à la mise en oeuvre des plans d’austérité ? Et que dire d’un Arnaud Montebourg revigoré dans ses positions "démondialistes", invitant Colbert à la table des conseils d’administration du CAC 40 ? Non, vraiment les motifs de déstabilisation ne manquent pas. Et si la Grèce nous avait servi un joli feu d’artifice, la France, elle, pourrait nous offrir un bouquet final de toute beauté !
Diplômé en stratégie financière et titulaire d’un Master 2 en gestion d’actifs, William Parry a travaillé trois ans comme conseiller en investissements au sein de cabinets indépendants avant de rejoindre les activités de banque privée d’un grand groupe français. Passionné d’économie et de géopolitique, il propose un regard contrarien sur la macroéconomie et un avis sur les solutions d’investissements offerts aux particuliers. |