▪ Nous ne savons pas si les marchés sont en train de nous préparer la grande première d’une nouvelle superproduction à grand spectacle (avec budget de plusieurs centaines de milliards)… Mais cela fait pratiquement une semaine que les indices américains nous jouent chaque soir la même scène, tandis que la Bourse de Paris clôture pour la sixième fois en sept séances pratiquement au plus bas du jour, bien loin de ses meilleurs niveaux de la matinée.
Il n’y a eu qu’une heureuse exception ce mardi 10 janvier, avec une envolée de 2,65% qui a permis au CAC 40 de combler d’un coup son handicap par rapport aux indices américains depuis le 1er janvier.
Ces derniers, contrairement au CAC 40, ont pris l’habitude cette année d’entamer la séance en repli (sauf les 3 et 4 janvier) avant d’en terminer au plus haut — souvent grâce à un coup de pouce opportuniste de toute dernière minute.
Les meilleures dispositions affichées par Wall Street entre 17h15 et 17h30 — le Nasdaq repassait dans le vert, avec à la clé l’inscription d’une sixième hausse d’affilée — n’ont pas permis à la Bourse de Paris d’échapper à une seconde consolidation consécutive.
Le CAC 40 affichait une baisse de 0,15% qui peut apparaître marginale (après -0,2% la veille), mais l’indice clôture symboliquement sous le seuil des 3 200 points (à 3 199,98 points).
Les données américaines obscurcissent le ciel européen
Etrange scénario car beaucoup de conditions semblaient enfin réunies jeudi matin pour que le CAC 40 tente l’aventure au-delà des 3 250 points. C’était sans compter l’apparition de quelques nuages venant obscurcir l’horizon économique aux Etats-Unis et qui ont suffi à provoquer un virage à 180 degrés et une rechute de 3 249 jusque sur 3 191 points.
L’Euro Stoxx 50 s’en tire à peine mieux avec un gain de 0,25%. Il fait pâle figure après les 2% de hausse affichés à la mi-journée dans le sillage de Milan, qui prenait plus de 3,5% (et 2,1% au final). Cela suffit néanmoins à ramener le marché italien en territoire positif depuis début 2012.
L’émission de 12 milliards d’euros de dette italienne jeudi matin a été considérée comme un large succès. La demande a été forte et elle a entraîné une détente des taux courts. Ils chutent de moitié par rapport aux dernières adjudications de fin 2011. Le deux ans affichait jusqu’à 5% de rendement, la situation semblait intenable, il fallait corriger le tir de toute urgence !
Le vent de folie qui a soufflé en milieu de matinée est un peu retombé à 13h alors que la BCE laissait (comme prévu) inchangé son taux directeur, maintenu au plancher de 1%.
La traditionnelle séance de questions/réponses avec la presse (à partir de 14h30) a de nouveau provoqué un désenchantement des marchés, comme à la mi-décembre.
Super Mario déçoit
Pas de baisse de taux cette fois-ci (personne ne l’espérait vraiment)… mais les marchés ont sanctionné une prestation de Mario Draghi — certes moins langue de bois que son prédécesseur — qui n’apporte pas les réponses que la communauté financière espérait.
Le nouveau patron de la BCE indique que la croissance en Zone euro semble, au mieux, se stabiliser à un niveau très bas, proche de zéro, et que les incertitudes conjoncturelles demeurent extraordinairement nombreuses. Un discours qui semble calqué sur celui de son homologue Ben Bernanke à propos des perspectives de reprise aux Etats-Unis.
S’agissant de la Grèce, Mario Draghi a rappelé que la mise en oeuvre de sa nouvelle politique fiscale devra impérativement déboucher sur un rétablissement des équilibres budgétaires, même si la récession atteint -5,1% du PIB. De plus, il n’a pas démenti une journaliste évoquant la possibilité de voir la décote sur la dette grecque dépasser les 50%.
C’est une éventualité que les marchés semblent prêts à surmonter, à condition que le FMI et l’Allemagne mettent la main à la poche et autorisent la BCE à agir comme il convient.
L’Allemagne devra-t-elle céder ?
Le consensus qui se renforce depuis mi-décembre, et auquel nous sommes tenté d’adhérer, c’est qu’Angela Merkel sera contrainte de lâcher du lest sur le sauvetage de la Grèce d’ici fin mars.
Si elle continue de camper sur ses positions et que le Bundestag rejette toute forme d’interventionnisme de la BCE, alors le sort de la Zone euro sera scellé d’ici quatre à six semaines.
Faute d’une nouvelle décote sur sa dette — ou d’un renflouement déguisé — Athènes n’obtiendra pas son prochain refinancement prévu pour lui permettre de clôturer le 1er trimestre 2012 sans qu’elle se retrouve contrainte d’avertir ses créanciers (dès le 1er avril) d’une situation de cessation de paiement.
C’est le genre de poisson d’avril qu’il serait judicieux d’éviter ; nous faisons le pari que les Européens feront le nécessaire pour s’épargner un Fukushima obligataire.
Si cette anticipation est la bonne, pourquoi le CAC 40 n’est-il pas parvenu à garder le contact avec les 3 240/3 250 points ?
Tout est bon pour s’alléger
Il semblerait que les investisseurs aient profité du moindre prétexte pour prendre des bénéfices. Il s’agissait de deux mauvais chiffres américains. Le premier concerne le chômage hebdomadaire qui progresse de 24 000 (et non de 10 000 comme anticipé). Le second concerne les ventes de détail qui n’ont progressé que de 0,1% (contre 0,3% attendu) après 0,4% en novembre, malgré une hausse de 1,7% des ventes de voitures neuves.
Souvenez-vous de ces commentaires triomphalistes au lendemain de Thanksgiving qui annonçaient la résurrection du consommateur américain en fin d’année !
Ce qui est le plus surprenant, c’est que Wall Street trouvait la ressource de repasser dans le vert juste avant l’heure du déjeuner !
Le raffermissement s’est confirmé au fil des heures avec une progression parfaitement régulière des indices américains entre 16h30 et 22h01, au sein d’un étroit canal ascendant. Cela traduit l’action résolue des robots algorithmiques qui s’acharnent à faire durer le mouvement haussier amorcé mi-décembre.
C’est un scénario qui ressemble comme à un copier/coller à celui qui s’était déroulé à la même période charnière 2009/2010 puis 2010/2011. Ce phénomène semble complètement technique et décorrélé de l’actualité micro ou macro-économique.
A chaque fois, la polarité s’est inversée à la baisse avec la première grosse vague de publication des « trimestriels » (troisième semaine de janvier). Les brasseurs d’argent achètent l’anticipation pour vendre la concrétisation des résultats.
Le point d’inflexion pourrait se matérialiser lundi prochain… Alors encore une petite hausse symbolique de 0,1% à la dernière minute ce vendredi (n’importe quel prétexte fera l’affaire) et les indices américains auront inscrit le score quasi mystique des sept séances de hausse consécutives !
Les robots remplacent l’humain
Mission accomplie pour les robots et ceux qui les programment. Ils démontrent avec brio que les épargnants n’ont décidément plus rien à faire en Bourse… au propre comme au figuré !
Comme pour l’agriculture ou le travail à la chaîne, l’industrie de l’argent considère que les machines remplacent avantageusement les hommes.
Mais lorsqu’elles se mettent à dérailler, contrairement à une moissonneuse-batteuse ou une presse à emboutir, personne ne sait où se cache l’interrupteur virtuel qui permet de les stopper avant qu’elles n’engendrent un désastre total.
Lorsque les liquidités viennent à manquer, les marchés financiers s’apparentent à des réacteurs de type Fukushima privés de leur système de refroidissement. C’est pourquoi la Fed et la BCE sont très probablement en train de nous concocter un prochain QE3.
Il nous surprendrait beaucoup que le suspense dure au-delà de la mi-mars. C’est ce qui pourrait expliquer le vif succès des émissions de bons du Trésor espagnols et italiens jeudi matin (soit 22 milliards d’euros cumulés).