Et pourtant, la situation sur les marchés est plus paradoxale que jamais.
Il est difficile de ne pas juger contradictoire une envolée de 8,5% du Nasdaq et de 7,5% du S&P 500 à l’issue d’une série étourdissante – et rarissime – de huit séances de hausse consécutives.
Les investisseurs se comportent comme si un avenir radieux nous attendait en 2024, alors que le baril de pétrole poursuit sa débâcle amorcée précisément ce même 30 octobre, date à laquelle les indices boursiers se sont retournés brutalement à la hausse.
Le Brent bascule sous les 80 $, jusque vers 79,5 $, et le baril de brut léger américain WTI lâche encore 2,8%, à 75 $, et retrouve lui aussi des niveaux inconnus depuis le 21 juillet dernier.
Alors certes, une baisse initiale de 10% du pétrole du 30 octobre au 3 novembre avait de quoi tempérer les anticipations inflationnistes d’ici fin 2023… mais une chute de quasiment 15% en 14 séances – alors que les bombes continuent de pleuvoir sur Gaza, que l’Egypte maintient ses troupes en état d’alerte maximum au nord du Sinaï, tandis que la Russie mène une contre-offensive sur les rives du Dniepr, qui met les nerfs de Volodimir Zelensky au supplice –, cela défie pour de bon l’entendement.
Les spécialistes de l’énergie semblent déjà tourner la page du conflit au Proche-Orient et considèrent que malgré les +4,9% de croissance du PIB US au troisième trimestre, les risques de ralentissement des économies occidentales – et disons carrément de récession, vu le carnage sur le pétrole – sont désormais plus à craindre que les risques d’un « second tour » du côté de l’inflation.
La croissance chinoise suscite également pas mal d’interrogations… Il y a le verre à moitié vide, puisque le PIB de la Chine a progressé de 4,9% (comme celui des US) contre +6,3% au troisième trimestre 2022. Le BNS (Bureau national des statistiques chinoises) mentionne une chute de 9,1% des investissements dans l’immobilier (soit dit en passant, l’Europe ne fait pas mieux, loin s’en faut), de 3,2% dans les infrastructures de transports et les groupes industriels.
Mais il y a aussi le verre à moitié plein, puisque le PIB chinois était anticipé à seulement +4,5%. La différence s’expliquerait par une hausse de 5,5% de la consommation des ménages en septembre, laquelle ressort bien supérieure aux +4,6% du mois d’août.
Mais la consommation américaine continue également de bluffer les observateurs : les ménages US semblent dépenser de manière compulsive, alors qu’un bon tiers d’entre eux se retrouvent dans le rouge à chaque fin de mois, et de façon flagrante depuis le début du second semestre, puisque le taux de défaut sur les cartes de crédit et les prêts auto bat un record vieux de 15 ans.
Là encore, un paradoxe flagrant puisque l’épuisement de l’épargne COVID pour les ménages les moins fortunés devrait conduire à une diminution des dépenses… mais comme vous le supposez, il y a un « biais » : les dépenses de logement augmentent fortement, ce qui ne manquera pas de surprendre, alors que les taux hypothécaires caracolent encore au-dessus de 7,5%, aux Etats-Unis.
Mais voilà, il n’y a quasiment plus rien à vendre, donc pour des ménages aisés – ceux qui peuvent payer « cash » –, le choix est vite fait de faire construire la maison de ses rêves, plutôt que d’attendre indéfiniment qu’il s’en présente une sur le marché.
Car pour tous les propriétaires déjà endettés, un emprunt ne se transfère pas d’un bien à un autre. Donc il serait irrationnel de renoncer à un crédit hypothécaire bon marché pour tenter d’acquérir un bien qui, par le jeu des intérêts qui ont triplé, serait 30% plus petit ou beaucoup plus mal situé que celui que l’on n’a pas fini de rembourser.
L’Europe connaît le même phénomène, mais avec une différence fondamentale : la densité de population étant largement supérieure aux Etats-Unis, les terrains constructibles très rares, le culte de la maison individuelle bien moins ancré, la pénurie de logements n’engendre pas de hausse des mises en chantier, donc pas d’activité économique et moins de consommation de matériaux de construction.
D’où le sentiment que l’Europe file déjà tout droit vers la récession !