La Chronique Agora

L’Euro-Stoxx 50 prend 5%, l’euro 0,5% : qui a pris des hallucinogènes, qui a pris des somnifères ?

▪ Vous avez aimé le principe de la mise sous tutelle à l’allemande de la Grèce ? Vous allez adorer celle de la France et de l’Italie — c’est en tout cas le scénario idyllique qui a réenchanté les marchés lundi.

Deux ou trois rumeurs jetées en pâture aux marchés dans les journaux du dimanche (en Allemagne et en Italie) et le spectre de la crise des dettes souveraines s’enfuit en rasant les murs.

Les marchés se sont donc fait peur pour rien la semaine passée. Les discours évoquant une Zone euro au bord de l’éclatement, des dirigeants européens aux abois cherchant désespérément une parade à l’accroissement des déficits sur fond de récession… Tout cela n’était donc que des leurres destinés à égarer les âmes sensibles alors que des « mains fortes », pariant sur un avenir radieux, n’attendaient qu’une occasion de racheter des actions à vil prix.

C’est pourquoi, vous l’avez compris, le CAC 40 a rebondi de 5,45% ce lundi — et de plus de 7% en moins de 48 heures (en 10 heures de cotation très précisément).

Toutes les pertes de la semaine passée sont effacées d’un seul coup, ainsi que 35% de la baisse qui s’est matérialisée au cours des quatre dernières semaines, entre 3 400 et 2 800 points.

Le score de la journée de lundi était vertigineux mais le ratio écart/volumes l’est encore bien davantage. Nous venons d’assister à une nouvelle manière de record, avec tout juste trois milliards d’euros échangés pour 150 points gagnés, soit 550 millions d’euros négociés par tranche de 1% gagnée.

Ces volumes sont à comparer avec les 12,5 milliards d’euros traités au cours des cinq séances précédentes, qui avaient vu le CAC 40 retomber de 2 990 vers 2 793 points.

Pour huit titres vendus, un seul racheté suffit à ramener le marché parisien sur ses niveaux du 10 novembre dernier : c’est aussi cela, la magie de la Bourse !

Nombre de traders ont observé que les 110 points gagnés en ligne droite depuis l’ouverture ressemblaient beaucoup aux séquences de rebond du 27 septembre ou du 27 octobre dernier (ne restez pas vendeurs autour du 27 du mois !)… Cependant, il s’était traité 5,5 milliards d’euros au lendemain de l’adoption du FESF (un projet mort-né), soit presque le double de cette séance du 28 novembre, pour un gain d’ampleur comparable.

Or les 5,5% engrangés par Paris, les 4,6% gagnés par Francfort, Madrid ou Bruxelles ne s’expliquent que par des rumeurs. Il n’y a même pas d’éléments matériels à se mettre sous la dent.

▪ Les investisseurs tablent sur le fait que les gouvernements européens sont maintenant dos au mur ; ils n’ont d’autres choix que de proposer des initiatives qu’ils espèrent efficaces et des décisions politiques concrètes qui rassurent les marchés. Mais celle que tout le monde attend, c’est-à-dire une action plus musclée de la BCE… l’Allemagne la refuse.

Angela Merkel et son gouvernement s’accrochent à leurs trois principes cardinaux : la rigueur, l’austérité, les sanctions contre les pays récalcitrants.

Si nous tentions une analogie — plutôt exagérée — avec le régime imposé dans un camp disciplinaire, nous aurions au programme des travaux d’intérêt général (un grand nettoyage), une diète sévère (visant à se désintoxiquer de la dette) et des pompes (pour les plus paresseux).

Et qui hurlerait les ordres au mégaphone, certain de son bon droit et du succès de ses méthodes ?

Devinez ?

Sauf que l’Allemagne n’est pas aussi exemplaire que sa presse populaire ou économique le prétend. Il suffit de regarder ces dizaines de milliards de dette dissimulées dans des « véhicules spéciaux » et soustraites à la comptabilité nationale afin d’afficher un déficit budgétaire inférieur à celui de la France… au lieu d’un score de 5% bien moins flatteur.

▪ Une foule de rumeurs a circulé ce week-end — c’est assez naturel avant le sommet du 9 décembre. Elles concernaient aussi bien le projet de constitution d’un noyau dur de pays disposant d’un « triple A » qui mettraient sans attendre en oeuvre une intégration budgétaire et fiscale, que la possibilité (démentie) pour le FMI de prêter de 400 à 600 milliards d’euros à l’Italie en attendant que les mesure de rigueur annoncées cet automne produisent leurs effets.

Les mauvaises nouvelles économiques ne se sont pas dissipées spontanément du fait de la seule résurgence d’une atmosphère boursière plus positive. Selon l’OCDE, la Zone euro est entrée en légère récession cet automne.

Cette mauvaise conjoncture inquiète Moody’s. L’agence a indiqué lundi matin que la dégradation rapide des conditions de financement des économies européennes — les banques elles-mêmes seraient en retard de 180 milliards d’euros sur leur programme de levée de fonds pour boucler 2011 — menace le niveau de toutes les notes souveraines européennes, y compris celle des pays les mieux notés (ce qui englobe implicitement l’Allemagne).

▪ Nous ne manquons pas de nous étonner depuis des semaines de la mansuétude des agences de notation envers les Etats-Unis. Ces derniers ont en effet échoué à accomplir le moindre progrès en matière de réduction des déficits depuis l’automne 2008 — si n’est la mise en place d’un programme automatique de coupe des dépenses qui revient à égaliser le bouquet de la mariée avec un taille-haie.

L’Europe a commencé à s’infliger une cure d’austérité sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pendant ce temps, l’Amérique regarde démocrates et républicains s’écharper — et ne rien décider — sur des questions budgétaires essentielles depuis deux ans.

Un voyant rouge a fini par s’allumer en grésillant dans le bureau de Fitch. L’agence annonçait lundi soir, quelques minutes après la clôture de Wall Street, le placement de la note « AAA » des Etats-Unis sous surveillance négative.

Cela n’a pas provoqué de réactions négatives lors des premières transactions hors séance. Les médias américains ont choisi d’angler la nouvelle en mettant en avant les commentaires positifs de Fitch sur la compétitivité de l’économie américaine — et tout le bla-bla convenu sur cette nation héroïque et inventive qui a toujours su ressortir plus forte des crises qu’elle a traversées.

Les opérateurs avaient de toute façon envie de voir la vie en vert au lendemain d’un pont de Thanksgiving où les estimations de ventes pour le Black Friday et le week-end des soldes outrepassent les attentes les plus optimistes.

Les chiffres annoncés dimanche à grand renfort de communiqués triomphalistes demandent cependant à être confirmés car les méthodes de calcul retenues par la Fédération nationale des détaillants américaine (NRF) sont carrément « pifométriques ». Il s’agit en effet d’un comptage informatique du nombre de personnes franchissant les portes des galeries commerciales en cours de journée, et d’un sondage aléatoire sur leurs intentions d’achat : comment ne pas se sentir sur-motivé par des super-promos ?

La hausse estimative des ventes apparaît tellement spectaculaire (+16% par rapport à novembre 2010) que personne ne se demande avec quel argent les consommateurs sont allés dévaliser les centres commerciaux ou faire une razzia sur Internet. Est-ce grâce à leurs plus-values boursières ou leurs indemnités de licenciements ?

Le panel retenu par la NFR fait la part belle aux grands centres commerciaux dont l’effet d’attraction ne se dément pas. Il sous-pondère toutefois les zones de chalandise de taille intermédiaire : il y aura toujours du monde sur la Cinquième Avenue… Dans la banlieue nord de New York, c’est probablement plus calme, raison de plus pour ne pas s’y attarder.

▪ Wall Street tenait là un bon prétexte pour mettre fin à une série noire de sept séances de repli consécutives. Et comme un bonheur — inattendu — n’arrive jamais seul, les indices américains ont de surcroît bénéficié d’un bon coup de pouce au cours des cinq dernières minutes de la séance. Cela leur a permis de revenir à proximité des meilleurs niveaux de la mi-séance et de rester au contact des places européennes.

Le Dow Jones par exemple ne gagnait plus que 2% vers 21h50 — mais un soudain regain d’énergie lui a permis d’afficher au final un score plus flatteur de +2,59%. Le Nasdaq est repassé en une poignée de minute de 2 513 à 2 527 points (de 2,9% à 3,52%). Le S&P 500 a également repris 0,5% pour en terminer à +2,92%, ce qui a plus d’allure que les 2,35% de 21h55… à peine la moitié du score de Francfort en clôture.

Wall Street s’est largement inspiré de l’euphorie qui a ensoleillé les places boursières du Vieux Continent… si bien qu’une question n’a cessé de nous tarauder durant toute la séance de lundi : pourquoi l’euro n’a-t-il jamais reflété ni le regain de confiance dans l’avenir de la Zone euro, ni l’appétit pour le risque des acheteurs d’actions ?

Après avoir gagné au mieux 1,2% (à 1,339 $) quand le CAC 40 en gagnait quatre fois plus, l’euro se repliait déjà sous les 1,335 $ vers 17h35… puis sous les 1,33000 en fin de soirée, soit +0,3% par rapport à vendredi.

Qu’est-ce que les cambistes avaient négligé pour demeurer aussi apathiques au beau milieu de l’euphorie boursière ? La bonne réponse est : rien ! Tout simplement parce qu’ils n’ont rien détecté de tangible en faveur ou en défaveur de l’euro.

Alors qui se raconte des histoires ? Ceux qui ont brassé trois milliards d’euros à Paris… ou ceux qui ont traité 300 milliards de dollars au cours du même intervalle à Londres et à New York ?

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