La Chronique Agora

Les Etats-Unis impriment des dollars en attendant que le chômage baisse

▪ Pas de neuvième séance de hausse consécutive à Paris : les opérateurs y ont pourtant cru jeudi, jusque vers 17h03.

Nous aurions bien aimé assister à un tel exploit. Il aurait constitué le troisième exemple de cette nature depuis le début du XXIe siècle.

Les deux précédents historiques remontent à la période du 8 au 21 juin 2010 (entre 3 350 et 3 750 points), puis à celle du 13 au 30 juillet 2012 (entre 3 000 et 3 400).

L’unique série dépassant ce total de neuf nous ramène au siècle précédent, lorsque les actions françaises se négociaient encore en francs. Il s’agit de la période d’hystérie haussière (quand la folie des dot.com battait son plein) du 27 octobre au 16 novembre 1999 (entre 4 700 et 5 300). Le CAC 40 progressa durant douze séances, mais les experts nous promettaient alors 15 ans de croissance à 5% par an.

Presque 15 ans plus tard, l’Europe se bat pour ne pas imiter un Japon qui enchaîne les épisodes de récession et de déflation depuis 2008 (cela en fait déjà trois en quatre ans).

▪ Japon/France : d’étranges similitudes
Une concordance nous apparaît d’ailleurs assez troublante. Le Japon enchaîne deux trimestres de contraction de son PIB (-0,3% puis -0,9%) et se prépare à en subir un troisième avec une chute de 5% des exportations en octobre, l’Europe également. Mais les Bourses de Tokyo comme celle de Paris affichent un gain annuel strictement identique de 15%.

Des observateurs examinant la situation avec un regard extérieur seraient tentés de penser que les marchés ont acheté la progression moyenne des profits des entreprises, laquelle pourrait « coller » à la norme immanente des 15%. Mais là encore, la performance des actions excède largement la hausse de 12% des bénéfices, sachant qu’un titre comme Apple en représente 10% à lui seul.

Même si l’exercice peut vous paraître un peu vain, en soustrayant les profits d’IBM, Intel et Google du S&P 500, la hausse globale tombe franchement en-deçà des 10%.

Mieux vaut ne pas tenter de justifier l’euphorie des marchés par l’imminence d’une embellie économique car les embauches sont au point mort, au Japon comme dans l’UE, et le taux de population américaine disposant d’un emploi est le plus faible observé depuis la période de déclin du début des années 80.

▪ On imprime des dollars en attendant que le chômage américain baisse
Sans parler de l’explosion de la pauvreté qui touche pratiquement 50 millions de citoyens américains, soit une proportion de un sur six ; c’est sans précédent depuis les années 30.

C’est dans cette optique qu’il faut resituer l’objectif de la Fed de poursuivre sa politique monétaire expérimentale. Nous sommes maintenant au-delà du non-conventionnel avec 85 milliards de dollars de rachat mensuel sans horizon de temps, jusqu’à ce que le taux de chômage repasse sous les 6,5%.

De l’avis de nombreux économistes, cela n’arrivera probablement pas avant fin 2014 !

De notre point de vue, cela n’arrivera pas avant 2041 — il suffisait d’inverser les deux derniers chiffres — car la Fed vient de fixer un plancher technique qui n’est pas près d’être enfoncé.

Nous prenons l’initiative de le baptiser unemployment cliff.

Wall Street — toujours aussi avide d’argent facile — a surtout intérêt à ce que le taux ne recule jamais sous les 6,6% : les entreprises cotées savent ce qu’il leur reste à faire !

Nous pouvons déjà faire le pari que les entreprises cotées ressentiront la nécessité impérieuse de réduire leurs effectifs dès que le chômage commencera à se rapprocher des 7%.

Elles le feront au nom de la sauvegarde de leurs marges, du maintient de leurs cash flows… et en fait de n’importe quel prétexte qui apparaîtra formidablement judicieux aux sherpas de Wall Street.

Car qui voudrait prendre le risque de recruter à tour de bras au risque de voir la Fed cesser de distribuer des centaines de milliards de dollars à quelques dizaines de partenaires privilégiés qui font la pluie et le beau temps à Wall Street ?

Ces brasseurs d’argent — qui sont souvent les principaux actionnaires de la Fed, on a trop tendance à l’oublier — peuvent décider souverainement de faire grimper certains titres au firmament (ainsi que la fortune de leurs dirigeants) et d’en envoyer d’autres — trop soucieux de revitaliser le contrat social des pères de la Nation — rôtir en enfer.

Regardez ce qui est arrivé à Peugeot qui a eu le tort d’essayer de maintenir le maximum d’emplois en France et de ne délocaliser que sous la pression d’une absolue nécessité.

Ajoutez à cette stratégie patriotique (incompréhensible pour des investisseurs anglo-saxons) une pincée de malchance, comme la perte du marché iranien en 2010, et vous obtenez une punition boursière d’une sévérité qui fait froid dans le dos.

Enron qui passait son temps à tricher, truquer ses comptes, escroquer la Californie et d’autres Etats de l’Union savait au contraire brosser Wall Street dans le sens du poil. Cette firme voyou n’a perdu son triple A qu’à 15 jours de sa déclaration en faillite.

Mais oublions le passé et tournons-nous vers l’avenir : les tractations sur la question de la falaise fiscale se poursuivent, toujours entourées de mystère.

Une nouvelle réunion semi-secrète a eu lieu la nuit dernière entre Barack Obama et John Boehner (le chef de file républicain). Si tout le monde est à peu près convaincu qu’aucun d’entre eux ne signera un compromis qui menace de sabrer la fragile reprise économique soutenue à grands coups de planche à billets, la question cruciale que se posent les riches et les ultra-riches, c’est le taux de prélèvement auquel seront soumis les dividendes d’actions à partir de 2013.

Un alignement sur la fiscalité des revenus (réclamée par Warren Buffett lui-même) pourrait faire passer l’imposition de 15% (actuellement) à un maximum de 43,4%.

Les plus-values long terme pourraient voir leur taux d’imposition forfaitaire passer de 15% à 25%. Si tel était le cas, ce n’est pas l’économie réelle qui risque de tomber de la falaise, c’est Wall Street.

Puis à coup sûr, le DAX 30 (revenu tester ses sommets historiques ces dernières 48 heures) et dans la foulée le CAC 40 — car n’oublions pas que 30% de la capitalisation du marché parisien est également détenue par les 2% d’Américains les plus riches.

Une plus-value sur Apple, Volkswagen, LVMH reste une plus-value (peu importe la nationalité de l’entreprise) ; mais une taxation à 25% au lieu de 15%, c’est carrément très différent.

La dernière fois que la taxation des valeurs mobilières avait été alourdie aux Etats-Unis, c’était… voyons, voyons… mais oui, c’est ça : en 1987 !

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