▪ Cela fait quatre séances que les indices américains plafonnent à proximité des sommets annuels de l’été 2011. Par exemple, le S&P a renoué mercredi soir avec les 1 350 points, au prix d’une hausse de 0,2%. C’est comme si Wall Street voulait laisser aux opérateurs une dernière chance de faire le point sur la situation économique aux Etats-Unis avant d’aborder une nouvelle étape, certainement décisive.
Nous somme bien incapable de déterminer si l’évolution des indices américains consacrera une rupture radicale et définitive avec le monde réel — suite à un nouveau shoot d’héroïne de type QE3 — ou si les marchés vont se reprendre la conjoncture en pleine figure comme un boomerang.
▪ Qu’appelle-t-on reprise aux Etats-Unis ?
Nous allons juste tenter de faire un point (en forme de mise au point), afin que vous puissiez vous faire votre propre idée du genre de reprise qui se dessine aux Etats-Unis. Cette dernière repose d’abord sur une véritable campagne de matraquage de pieux mensonges au sujet de l’embellie qui se dessine sur le marché du travail et dans le secteur immobilier en cette entame d’année 2012.
Nous n’avons pas toujours le temps de dresser un tableau exhaustif des données économiques qui entretiennent notre scepticisme par rapport au discours dominant, ce qui vous contraint parfois à nous croire sur parole. Mais l’assoupissement des marchés américains nous en fournit la démonstration avec le Dow Jones qui affichait hier soir un score de 0,04% dans des volumes anémiques.
Nous allons vous dévoiler quelques éléments marquants de notre tableau de bord.
Nous allons commencer par les derniers chiffres recueillis auprès du très officiel ministère du Travail (Labor Department), du cabinet indépendant Challenger/ADP et du non moins indépendant Bureau of Labor Statistics.
▪ Plus d’emplois certes, mais… précaires
Côté gouvernement, nous avons creusé un peu du côté des chiffres annexes et avons découvert que si le nombre de postes proposés en janvier avait enfin progressé (3,38 millions contre 3,12 en décembre), le nombre d’embauches fermes avait… reculé, à 4,05 contre 4,13 millions en décembre.
Cela peut vous apparaître contre-intuitif, mais cela éclaire un peu l’une de nos premières interrogations face à une progression assez singulière des emplois à mi-temps au mois de janvier.
Pour schématiser un peu, il y a une multiplication des CDD et moins de CDI, c’est-à-dire une montée de la précarité pour les nouveaux entrants sur le marché du travail, ainsi que pour ceux qui parviennent à retrouver un emploi.
Passons maintenant à notre second étonnement qui concerne le repli continu du taux de chômage.
Nous avons déjà évoqué les toilettages de fichiers, le bidouillage de l’estimation de la population active mais sans entrer dans le détail, ni chiffrer l’ampleur de l’imposture.
Nous allons combler cette lacune ; accrochez-vous bien à votre souris, il va y avoir du lourd.
Si les statisticiens officiels faisaient honnêtement leur travail, comme le Bureau of Labor Statistics, ils auraient dû constater que le nombre total d’Américains « ayant ou désirant un emploi », sur la base des critères en vigueur en 2007 (juste avant la Grande crise), s’élève à 11% et non à 8,3% en ce début d’année.
Un sondage effectué fin 2011 a montré qu’environ 20% des Américains ayant un emploi se considèrent comme sous-employés ; 20% des adultes travaillent pour une rémunération inférieure au niveau officiel du seuil de pauvreté de 900 $/mois, d’où la nécessité de cumuler plusieurs mini-postes mal payés.
Pour ceux qui ont la chance d’avoir un boulot à plein temps, pas moins de 40% des emplois sont considérés comme produisant de bas salaires contre 30% au début des années 80.
Au fait, ouvrons une petite parenthèse : en 1980, 92% des hommes entre 25 et 54 ans avaient un emploi, en juillet 2011, ils n’étaient plus que 81,2%.
Par ailleurs, nous trouvons assez troublant que le nombre d’emplois salariés recensés en janvier aux Etats-Unis soit inférieur à celui de janvier 2000, alors que la population a augmenté de 30 millions de personnes (soit +9%) dans l’intervalle.
Il n’y a pas que le nombre de salariés qui a reculé depuis le début de la crise fin 2007. C’est aussi le cas pour le revenu médian aux Etats-Unis qui a diminué de 6,8% en réintégrant l’inflation officielle. Rappelons que cette dernière est largement sous-évaluée grâce à l’exclusion de nombreuses variables volatiles (comme les loyers ou la santé, nous allons y revenir).
L’Amérique, c’est le pays des entrepreneurs. Ils étaient 16,6 millions travaillant à leur compte début 2007, ils ne sont plus que 14,5 millions aujourd’hui. Plus de deux millions de micro-entreprises ont disparu en quatre ans, souvent faute de crédit pour faire face à un impayé ou racheter du matériel.
Le marasme qui continue de sévir dans le secteur immobilier ne favorise pas la résurrection des micro-entreprises du secteur, lesquelles ont payé un lourd tribut à la crise.
Notez également que dans la situation actuelle, pas moins d’un Américain sur trois serait incapable de payer la mensualité de son emprunt immobilier ou son prochain loyer s’il perdait son emploi.
▪ Pas d’emploi, pas d’épargne : rien en cas de coup dur
Fait sans précédent depuis la crise de 1929 : 37% des Américains de moins de 35 ans ne possèdent aucune épargne ni aucun capital mobilisable en cas de coup dur.
En ce qui concerne le sentiment de richesse dont Wall Street serait le baromètre, souvenons-nous que 46% des actifs disposent de moins de 10 000 $ d’épargne pour leur retraite. Même s’il s’agissait d’actions à 100%, une remontée de 20% des cours depuis Noël n’en fera pas des nababs.
Il y a plus inquiétant. Le tiers des actifs susmentionnés possèdent en fait moins de 1 000 $ d’avance pour leurs vieux jours. Ceux-là devront continuer de bosser jusqu’à leur mort… ou s’abonner aux Restos du Coeur locaux.
Malgré les milliers de milliards déversés par la Fed, les Américains de la classe moyenne sont loin de s’enrichir. La banque centrale américaine annonçait début octobre que le capital net des ménages avait diminué de 4,1% au cours du seul troisième trimestre 2011.
Selon une étude récente de BlackRock Investment Institute, le ratio dette sur revenus des ménages américains est de 154%. Nombre d’entre eux doivent faire face à une situation de surendettement sans issue et beaucoup doivent recourir à la faillite personnelle.
Le nombre d’Américains relevant de la catégorie « extrême pauvreté » s’élève désormais à 6,7% de la population. Cela signifie un pouvoir d’achat zéro pour acheter de la nourriture et aucun budget pour se soigner.
Cette triste réalité est confirmée par le spectaculaire accroissement du nombre de bénéficiaires des coupons alimentaires (food stamps). En juin 2011, ils étaient 45,2 millions d’Américains à recourir à ce système (soit plus 15% de la population totale) ; ils étaient 20 millions de moins fin 2006.
D’après le US Census Bureau (organisme chargé du recensement de la population américaine) qui avait publié ses données le 13 septembre dernier, pas moins de 46,2 millions d’Américains vivaient sous le seuil de pauvreté fin 2010, un niveau jamais atteint depuis l’origine de la collecte de cette statistique, il y a 52 ans.
▪ Les indices grimpent mais la confiance chute
Nous n’osons pas mentionner de combien le salaire des dirigeants des entreprises cotées (et le montant de leur patrimoine financier) a augmenté depuis 2000, ou même 2007. Dans le premier cas, les rémunérations ont plus que doublé, dans le second, la hausse atteint 30%.
A travers tout ce qui précède, voyez-vous la consommation et le moral des ménages américains grimper sur le même tapis volant que Wall Street en 2012 ? Nous savons tous qu’ils peuvent se passer l’un de l’autre… et si cela se confirme, ce sera une preuve supplémentaire de la déliquescence de l’économie américaine.