▪ « Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternel où par conséquent les sujets sont tels des enfants mineurs incapables de décider ce qui leur est inutile ou nuisible… un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme qui se puisse concevoir ».
— Kant, Théorie et Pratique, 1793
Tous les jours, Gérard Tartampion vend 437 paquets de cigarettes sur lesquels est écrit en sinistres grosses lettres noires « Fumer tue ». Gérard Tartampion n’est pas un assassin, il ne sera pas mis en prison, c’est un bon citoyen. Il est buraliste. Il paie l’URSSAF, les charges sociales, la CSG, la CRDS, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu, ses taxes foncière et d’habitation et la TVA sur son argent honnêtement gagné en vendant des produits meurtriers fabriqués en toute légalité par des cigarettiers qui eux-mêmes s’acquittent de moult taxes.
L’Etat-providence a décidé que fumer était mortel pour ses citoyens, d’où l’avertissement « Fumer tue », puisqu’un homme averti en vaut deux. L’Etat prélève une taxe spéciale sur les cigarettes et profite de ce commerce. Le cancer du poumon est « remboursé par la Sécu ». Un nettoyage dentaire annuel est « pris en charge par la Sécu ». C’est bien normal, fumer tache les dents et on a le droit de mourir propre. Nous nageons dans le bonheur.
Sauf que…
Pourquoi l’Etat sait-il mieux que nous ce qui est bon pour nous ?
Pourquoi l’Etat sait-il mieux que nous que faire de notre argent ?
La pensée dominante de notre époque nous conduit à croire que l’Etat sait mieux que nous ce qui est bien pour nous. Le corollaire est donc qu’il est aussi mieux placé que nous pour dépenser notre argent. Le plus surprenant est peut-être que personne ne remet ouvertement en cause cette idée alors même que les Etats-providence sont un échec et sont en proie au surendettement. Comment en sommes-nous venus à admettre ce principe de la suprématie étatique, à avoir cette foi quasi inébranlable en ce dogme ?
▪ En France, l’Etat inspire confiance depuis longtemps
Il est considéré comme protecteur, une protection qui dépasse largement ses missions régaliennes.
Ce dernier adjectif, qui fleure bon l’Ancien Régime, désigne les fonctions de sécurité extérieure et intérieure qui se résument à quatre grands corps : diplomatie, armée, justice et police.
Dans un monde idéal, tout ceci est inutile. Dans un tel monde, personne n’a d’ennemi, on « se tient bien ». Si Rabelais et l’humanisme vous paraissent bien loin, voici le rappel de la devise gravée sur le fronton de la mythique abbaye de Thélème et sa justification.
« FAIS CE QUE VOUDRAS, car des gens libres, bien nés, bien instruits, vivant en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et retire du vice ; c’est ce qu’ils nommaient l’honneur. Ceux-ci, quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et contrainte, se détournent de la noble passion par laquelle ils tendaient librement à la vertu, afin de démettre et enfreindre ce joug de servitude ; car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitons ce qui nous est dénié« .
François Rabelais, Gargantua, livre LVII, 1534, (version modernisée).
Le monde n’est pas idéal, bien sûr, et Rabelais n’était pas dupe, c’était même un farceur. Il y avait une faille – que je vous ai mise en gras dans la citation car j’aime bien vous faciliter la vie, cher lecteur, et vous épargner de la peine.
Revenons à nos moutons du moment. Il faut bien police et armée pour empêcher certains d’entreprendre les choses défendues. D’où la nécessité des fameuses missions régaliennes de l’Etat, en particulier celle qui lui confère le droit de la « violence légale ». Ce faisant, un engrenage fatal se met en route et il est désormais convenu et largement admis que non seulement l’Etat ne veut que votre bien (ou notre bien à tous) puisqu’il nous protège, mais qu’en plus nous lui laissons décider ce qui est notre bien.
C’est là que les ennuis commencent et grandissent au fur et à mesure que l’Etat grossit. En effet, l’Etat est un parasite. Comme tout parasite, contenu à la portion congrue, il est utile et efficace. Mais, dès qu’on laisse le parasite prendre de l’importance, son utilité diminue et sa nuisance se révèle. Omniprésent, l’Etat devient inutile et nuisible.
[NDLR : Ce texte est extrait du dernier ouvrage de Simone Wapler, Main basse sur votre argent. Pour vous en procurer un exemplaire, c’est très simple : cliquez ici !]