La Chronique Agora

Et une volte-face, une… et 1% dans les dents

** Les promesses présidentielles n’engagent que ceux qui comptent dessus — la formule est attribuée à un précédent premier magistrat de la Cinquième république. Cette maxime s’avère plus que jamais d’actualité avec la proposition du gouvernement de financer le RSA (revenu de solidarité active) par l’instauration d’une nouvelle taxe sur les revenus du capital — une de plus ! — qui sera votée alors que les Français seront encore en train de défaire leurs valises ou d’acheter de nouvelles fournitures scolaires.

Une mesure considérée depuis Bercy et l’Elysée comme presque indolore financièrement — 1% de plus sur des gains accumulés en dormant, rien que de très moral — et surtout politiquement… car elle touche principalement les "riches".

C’est un mode d’imposition — appelons les choses par leur nom — assimilable à de la "justice sociale" et qui obéit à un principe de redistribution qui fait l’unanimité sur les bancs de l’Assemblée Nationale depuis les premiers balbutiements de la République à la fin du 17ème siècle.

Le groupe communiste votera probablement contre au prétexte que 1%, ce n’est pas assez cher payé pour les "nantis" et que 1,4 milliard d’euros, ce n’est qu’une goutte d’eau prélevée dans l’océan des "super-profits". Cependant, le vote d’un texte portant le prélèvement social à 12% sur les contrats d’assurance-vie, les dividendes d’actions et les rentes viagères ne devrait donner lieu à aucun suspense lors de la prochaine rentrée parlementaire.

Le Medef pousse un gros ouf de soulagement puisque les grandes entreprises, celles qui ont redistribué 100 milliards d’euros aux actionnaires en 2007, sont totalement exonérées de participer à l’effort de soutien financier aux plus pauvres du pays.

En d’autres termes, c’est de nouveau la classe moyenne aisée — celle qui parvient encore à épargner malgré la flambée des prix de l’énergie (pétrole, gaz, électricité) et celle de 7% des denrées alimentaires en rythme annuel — qui se retrouve mise à contribution. Total, Suez ou EDF peuvent continuer d’envisager l’avenir avec sérénité : enfin une bonne nouvelle pour les actionnaires… nous faisons principalement allusion aux grands fonds de pension anglo-saxons qui ne paieront pas 1% d’impôt supplémentaire sur les dividendes perçus en 2009.

** Mais oublions un peu nos petits débats politico-financiers franco-hexagonaux… et intéressons-nous à des problèmes internationaux d’un autre calibre : les sommes en jeux ne se chiffrent plus en demi-milliards d’euros mais bien en centaines de milliards de dollars. Les spéculations sur une augmentation de capital massive de Freddie Mac et de Fannie Mae continuent d’aller bon train, même si elles semblent s’être estompées depuis vendredi dernier.

Les deux titres viennent de reprendre 50% en cinq séances dont 15% à la clôture hier. Mais cette hausse n’efface qu’à peine la moitié du terrain perdu depuis le 15 août dernier ; elle n’empêche pas la réémergence des spéculations sur une situation de cessation de paiement consécutive à l’abaissement de la notation de ces établissements par les principales agences de notation américaines.

Le porte-parole du secrétariat américain au Trésor a certifié hier qu’aucune annonce ne serait faite concernant des mesures de refinancement des GSE (governement sponsored entreprises), mais les spéculateurs vont néanmoins en avoir pour leur argent.

En effet, le président de Fannie Mae, Dan Mud, vient d’annoncer le remplacement de l’actuel directeur du risque crédit par Michael Show et la nomination de David Hisey comme directeur financier.

Il fallait bien que des têtes tombent. Nous tairons le nom des deux principaux disgraciés car ces derniers n’ont fait qu’obéir aux ordres… et ils venaient de bien plus haut que de la seule direction générale de Fannie Mae, soyez-en convaincu.

Ces changements d’hommes "fusibles" sont certainement annonciateurs d’autres bouleversements bien plus profonds, soit du statut, soit du mode de financement de l’entreprise. C’est désormais entre les mains du Congrès — et nous mettons notre main à couper que celui-ci ne prendra aucune décision importante avant le changement de locataire du Bureau ovale et la nomination d’une nouvelle équipe au Trésor.

Hank Paulson a annoncé, début août, qu’il renoncera à sa fonction quel que soit le verdict des urnes en novembre prochain. C’est bien joué de sa part car il a ainsi temporairement assuré la survie des GSE — ce dont on lui saura gré — sans avoir directement impliqué le contribuable américain.

C’est donc à son successeur, voire au nouveau Président — quelles que soient ses convictions libérales ou démocrates –, que reviendra la terrible responsabilité de devoir convaincre le Congrès d’opter ou non pour la renationalisation de Freddie Mac et de Fannie Mae : impopularité garantie à la clé !

Honnêtement, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer ce qui du statu quo ou de l’adossement pur et simple au budget global des Etats-Unis constitue la pire des solutions. Nous savons simplement — tout comme le marché qui a fait fondre de 90% en neuf mois la capitalisation des GSE — qu’il n’en existe aucune de bonne !

** Les déboires de Freddie Mac et de Fannie Mae ne sont que l’une des conséquences d’une dérive du libéralisme… un libéralisme inventif et audacieux dont notre président s’était fait l’avocat — c’est son métier d’origine — durant sa campagne.

18 mois auparavant, il suggérait de créer en France un marché du refinancement hypothécaire inspiré du modèle américain, ce qui supposait la création d’une super-Caisse des dépôts et consignations, assumant un rôle comparable à celui des GSE, aujourd’hui au bord de la faillite.

Puisque nous avons débuté cette Chronique en évoquant sa volte-face concernant l’effort de réduction des prélèvements obligatoires dans l’Hexagone, laissons-lui à présent la parole au sujet de la situation économique mondiale qu’il jugeait enthousiasmante il y a 18 mois, à l’image du dynamisme de l’Angleterre — un "exemple" pour la France — et des Etats-Unis.

Nicolas Sarkozy, qui s’exprimait hier devant un parterre d’ambassadeurs réunis à l’Elysée, a déclaré que "le coeur du capitalisme mondial est atteint", miné par le "scandale des subprime". Il a dénoncé "les fautes graves et toujours impunies des agences de notation" (bien joué… aucune n’est de nationalité française) et "les excès d’un capitalisme financier qui a connu des dérives scandaleuses". Ce sont pourtant ces mêmes "dérives" qui ont permis aux Etats-Unis d’afficher les miraculeux 4 à 5% de croissance sur lesquels il s’extasiait en 2006.

Et d’enfoncer le clou : "le coût de ces errements pour le système bancaire international sera, selon le FMI, de l’ordre de 1 000 milliards de dollars mais il risque d’être beaucoup plus élevé pour l’économie réelle".

C’est bien beau de dénoncer après coup les dérives de la finance virtuelle… Mais lorsqu’il s’agit de compenser la chute des recettes fiscales qui va découler du ralentissement économique actuel, c’est dans des poches bien réelles — les nôtres — qu’il s’apprête à puiser les précieuses ressources qui manquent à l’Etat. Les banques, les agences de notation et les réassureurs, qui ont pourtant profité durant presque cinq ans de la prodigieuse manne de la bulle du crédit immobilier, ne seront pas sollicités, en revanche…

Il faudra bien plus que 1% de prélèvements supplémentaires sur les revenus du capital pour contrebalancer les effets de la crise actuelle, d’autant plus que les recettes de ce nouvel impôt tendront à se réduire inéluctablement… en même temps que le montant des dividendes versés l’an prochain.

Philippe Béchade,
Paris

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