La Chronique Agora

Et si Pékin sortait le carton jaune pour sanctionner le billet vert ?

▪ Les places européennes avaient mal entamé cette séance de vendredi — avant de récupérer toute ou partie du terrain perdu, à l’image de Francfort qui a terminé sur une note positive symbolique de +0,17%. Wall Street en revanche, a vu ses pertes s’aggraver très sérieusement à la mi-séance : le Dow Jones lâchait 1,1%, enfonçant les 11 200points, le S&P décrochait de 1,5%, sous les 1 200, tandis que le Nasdaq plongeait de 2% vers 2 506 points.

Si les places européennes avaient clôturé une heure plus tard, leur physionomie aurait certainement ressemblé à celle constatée en tout début de matinée… Et les haussiers n’auraient pas apprécié du tout ce genre de scénario.

Grâce au rebond orchestré de main de maître en seconde partie de séance — les raisons objectives de racheter du papier étaient manifestement inexistantes –, la semaine s’est achevée sur une baisse de 2,2% du CAC 40. L’indice français avait subi un gros trou d’air avec une chute initiale de plus de 2% à 3 770 points, avant d’en terminer à 3 831.

La journée avait fort mal démarré sur les places asiatiques également. Elles ont subi de lourdes corrections : -1,4% à Tokyo, -2% à Hong Kong et -5,2% à Shanghai. Cette dernière efface ainsi tous ses gains du mois de novembre sur des craintes de durcissement de la politique monétaire chinoise.

Les opérateurs ont rapidement considéré que les indices chinois avaient sur-réagi : après tout, Pékin n’a rien annoncé de concret malgré un taux d’inflation qui affole les compteurs. En conséquence, les pertes ont été réduites de plus de moitié en fin de matinée. A Paris, le seuil des 3 825 points a servi de pivot durant le reste de la séance… pour surtout ne pas prolonger le flirt avec les 3 800 !

Les places européennes étaient même parvenues à revenir à l’équilibre peu après l’ouverture de Wall Street (modeste repli initial des indices américains) alors que l’euro remontait vers 1,3740 $… Cependant, le dollar a ensuite regagné du terrain vers 1,37/euro puis 1,366 en soirée, grâce à la hausse de l’indice de confiance du Michigan (à 69,3 contre 67,7 estimé fin octobre).

▪ Nous n’avons cessé de pointer du doigt le gonflement de bulles tous azimuts ces dernières semaines, nous interrogeant sur l’épine qui pourrait les faire éclater. L’une des hypothèses était que les cours pourraient partir en vrille au cas où ils cesseraient simplement de progresser.

Tous les stratèges se disent acheteurs… mais nous en connaissons beaucoup qui seraient bien plus à l’aise s’ils pouvaient engranger leurs bénéfices sans que cela se voie trop.

La séance de vendredi a été marquée par un lourd repli du pétrole (-3,5% vers 84,5 $), des métaux industriels (-4% en moyenne) et de l’or (-3% à 1 360 $).

Force est de reconnaître que les actions ont bien mieux résisté. Les indices boursiers ont évolué en ordre dispersé avec Londres (-0,3%), Amsterdam (-0,5%) ou Paris (-0,95%) face à Lisbonne et Madrid (en hausse de 0,6% et 0,75% respectivement).

Si l’Eurotop 100 a reculé de 0,55%, l’Euro-stoxx 50 n’a pas perdu plus de 0,3% (à 2 822 points) après avoir chuté sous le support majeur des 2 800 points en début de séance. Cependant, les indices apparaissent vulnérables 48 heures après la culmination du "sentiment positif" (quasi-unanimité pour pronostiquer une poursuite de la hausse) des investisseurs.

▪ Aux craintes concernant le niveau de l’inflation dans les pays émergents viennent s’ajouter les préoccupations concernant le refinancement des dettes publiques des états européens les plus fragiles.

L’Irlande se dirige tout droit vers un scénario à la grecque : le rendement des emprunts à 10 ans avait atteint 8,8% en milieu de semaine. Il était à 8,6% à la veille du week-end alors que l’Europe et le FMI se disaient prêts, depuis Séoul, à intervenir si nécessaire.

Sur le front des changes, comme on pouvait s’y attendre, aucune avancée concrète n’a émergée du G20. Il s’agit bel et bien d’un "G vain", selon la formule attribuée à Jacques Attali… lequel ne fait que reprendre un calembour de salle de marchés qui se perd dans la nuit des sommets du siècle passé.

Les vingt pays les plus riches de la planète se sont bornés à une simple déclaration d’intention visant à d’abstenir de recourir aux dévaluations compétitives. Les stratégies mises en place aux Etats-Unis et en Chine suggèrent tout l’inverse : il y a les paroles — dont les marchés se méfient, et les actes — auxquels les cambistes se fient.

▪ Dans ce contexte, les données sans surprise concernant la croissance des économies européennes, en ralentissement mais toujours nettement positive, sont passées pratiquement inaperçues. Au troisième trimestre, la croissance allemande atteint 0,7%, conformément aux prévisions des économistes, et celle de la France ressort à 0,4% (contre 0,5% attendu).

Dans l’ensemble de la Zone euro, le PIB a augmenté de 0,4% sur le trimestre écoulé. Mais la production industrielle a diminué de 0,9% au mois de septembre, alors qu’elle était attendue en hausse de 0,3%. Ces chiffres plutôt médiocres — et qui ne pointaient pas dans la bonne direction vendredi matin — n’ont pas empêché le CAC 40 de revenir, peu après leur publication, au contact de l’ex-résistance des 3 820/3 830 points.

Il reste très difficile de déterminer la capacité de résistance à la baisse des marchés au surgissement d’un imprévu, car les cours ne sont pas montés avec du "véritable argent".

Il s’agit depuis la mi-septembre de capitaux empruntés dans l’attente d’une création massive de fausse monnaie par la Fed. Le CAC 40 et l’ensemble des indices de la Zone euro se sont envolés de 15% sans la participation des acteurs institutionnels comme les fonds de retraite ou les particuliers.

Les fonds indiciels suivent le mouvement ; les robots de gestion font leur travail, ils achètent les titres qui montent, liquident ce qui sous-performent, jusqu’au bout de l’absurdité. Mais ces fonds n’augmentent pas significativement leur exposition — beaucoup sont même "couverts".

Tout le monde perçoit bien, au-delà des discours standardisés et nécessairement optimistes (afin de ne pas passer pour marginal ou contrarien aux yeux des clients anglo-saxons) que le mouvement est artificiel et orchestré de façon à peine dissimulé par la Fed et le Trésor américain pour doper le "sentiment de richesse".

Ben Bernanke le revendique même publiquement, avec une candeur qui pourrait faire sourire… si la manoeuvre ne recélait des risques à peine quantifiables de chaos économique et boursier.

▪ Pour beaucoup d’Américains — pas seulement ceux qui embrassent le discours protestataire du Tea Party — grandit un soupçon flagrant notamment sur les forums des principaux sites économiques US. Les Américains suspectent que Bernanke cherche d’abord à enrichir sans risques, et apparemment sans limites, ses partenaires et complices de Wall Street… tandis que les citoyens/contribuables subissent dans leur ensemble une vague d’appauvrissement et de chômage sans équivalent depuis 1932.

Le blocage des institutions induit par la perte de majorité des démocrates interdit qu’une quelconque mesure utile et efficace ne soit votée d’ici novembre 2012.

Les républicains misent ouvertement sur "l’immobilisme" du président (empêché par tous les moyens de faire le ménage dans les mauvaises pratiques de Wall Street depuis deux ans) pour capter le vote des déçus de l’Obamania.

Si Wall Street dégringole, Ben Bernanke sera absous (sauf par son mentor Alan Greenspan qui a retourné sa veste monétariste et ultra-libérale depuis qu’il ne dirige plus la Fed) et la Maison Blanche sera accusée d’avoir laissé la bride sur le cou de ses sponsors de 2008.

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