La Chronique Agora

Et si on avait BESOIN d'une récession ?

** Il y a deux grandes écoles de pensée concernant les renflouages :

* La première, c’est que les banques sont toujours en difficulté et doivent être nationalisées (Roubini, Krugman).

* La seconde, c’est que les banques sont toujours en difficulté, mais qu’un partenariat public/privé peut les recapitaliser à mesure qu’elles sortent du trou (Geithner, Gross).

* Comme toujours à la Chronique Agora, nous faisons l’école buissonnière. Nous n’appartenons à aucune des deux.

* Selon nous, les banques ont des problèmes parce qu’elles ont prêté trop d’argent à trop de gens qui ne pouvaient le rembourser. Elles devraient se contenter du verdict des marchés… et aller se faire pendre.

* Hé, mais… est-ce que cela ne causerait pas une dépression ?

* Ah… c’est là que nous nous séparons vraiment de nos concitoyens bipèdes. Nous sommes une minorité… une minorité si petite que ses partisans peuvent probablement tous tenir dans un ascenseur. Parce que nous pensons qu’une dépression, c’est exactement ce dont on a besoin… et ce qu’on va obtenir quoi que fassent les empêcheurs de tourner en rond. En fait, nous pensons qu’ils transformeront une dépression ordinaire en une Grande Dépression. Une Deuxième Grande Dépression, même.

* Les consommateurs réduisent leurs dépenses. C’est probablement la nouvelle tendance la plus importante de l’ère post-Bulle. Les consommateurs voient petit… des maisons plus petites, des factures plus petites, des voitures plus petites, des dettes plus petites, des retraites plus petites. Ce changement perdurera probablement. Ils ont vu où voir grand les menait. A présent, small is beautiful.

** Toutes nos excuses si nous nous répétons, mais c’est important. La principale source de croissance économique ces 25 dernières années était la volonté des consommateurs de s’endetter pour acheter des choses. En Asie, ça a provoqué de magnifiques exploits en termes de production. Aux Etats-Unis, ça a engendré une énorme augmentation des profits des entreprises. Vous voyez, la main-d’oeuvre est le coût principal, pour les entreprises. Globalement, les sociétés américaines paient des employés américains qui achètent les biens et les services produits par leurs employeurs. Les entreprises ont donc les revenus provenant de la vente aux employés du côté "crédit" de leurs livres de comptes, et les coûts des salaires du côté "débit".

* Mais lorsque les employés ont commencé à acheter plus à crédit, c’était comme se retrouver face à un barman qui ne demanderait jamais à ses clients de payer. Les entreprises avaient plus de revenus que jamais — sans coûts de main-d’oeuvre en face. Les employés dépensaient de l’argent qu’ils n’avaient jamais gagné, si bien que les ventes supplémentaires ont été versées au bilan comme des profits.

* Les bénéfices ont augmenté à Wall Street ce dernier quart de siècle, à mesure que les clients s’endettaient de plus en plus. Les sociétés vendant du crédit — l’industrie de la finance — ont été particulièrement gâtées. A présent, le temps est venu de rembourser. Le barman veut son argent ! Les bénéfices et les ventes sont en chute à mesure que les consommateurs essaient de se désendetter. Ils reçoivent le même salaire — pendant un temps — et réduisent leurs dépenses.

* Les consommateurs épargnent plus et dépensent moins, disions-nous hier. C’est une bonne chose pour le consommateur individuel… mais c’en est une mauvaise pour les économistes qui croient à une croissance du PIB nourrie par le consommateur. Tout à coup, ce dernier agit comme s’il avait du bon sens. Naturellement, les officiels du gouvernement sont déterminés à y mettre un terme.

** De nouvelles banques ont mis la clé sous la porte. Des banques font faillite tout le temps. Personne ne s’en soucie particulièrement. Mais certaines banques sont dites "trop grandes pour couler". Si elles rendent l’âme, pensent certaines personnes, elles entraîneront toute l’économie avec elles.

* Les autorités sont donc intervenues… soit pour nationaliser les grandes banques… soit pour les subventionner. Cela, nous dit-on, évitera de pires dégâts.

* Vraiment ? Comment ? Si une banque a accordé un mauvais prêt, il y a une véritable perte de capital. De l’argent a été dépensé — pour acheter du ciment, peut-être… ou peut-être des logiciels… ou encore du champagne. Il ne reviendra pas. Puis arrivent les renflouages. On donne aux gens qui ont fait des erreurs l’occasion d’en refaire — et ils y sont autorisés par les personnes mêmes qui regardaient ailleurs lorsque les premières erreurs ont été commises. Qu’arrive-t-il exactement à l’argent qu’ils reçoivent ? Voilà qui fait l’objet d’un vif débat. Une partie va payer les primes des banquiers. Une autre va payer les frais de thalasso et une autre encore est prêtée — des prêts qui sont soit pires soit meilleurs que ceux qui nous ont mis dans le pétrin.

* Rien de tout cela ne corrige les erreurs. Une dépression est une chose naturelle. Dans notre dictionnaire, une dépression correspond à la fin d’une expansion majeure du crédit. A ce moment du cycle économique, il devient clair que bon nombre des choses pour lesquelles le crédit a été utilisé n’étaient pas judicieuses. Les pertes, les erreurs et les mauvais investissements doivent être reconnus, éliminés et apurés. Ca prend du temps. Et c’est douloureux. Mais comme un tour chez le dentiste, c’est parfois nécessaire.

* On peut peindre une dent cariée en blanc et affirmer qu’on l’a guérie. Et on trouve pas mal de gens avec le pinceau prêt. Mais cela n’arrêtera pas la douleur. Mieux vaut arracher la dent infectée… et repartir du bon pied.

* A mesure que les consommateurs cessent de dépenser, les ventes et les bénéfices des entreprises chutent… et il en va de même pour l’emploi. Le taux de chômage aux Etats-Unis dépasse désormais les 10% dans plus d’un quart des états. La situation ne peut qu’empirer. D’ici la fin de l’année, il devrait être à 10% dans tout le pays. A mesure que les gens perdent leurs emplois, ils commencent à voir encore plus petit. Des vacances à Las Vegas ? Oubliez ! Une nouvelle voiture ? Pas sans subvention ; sinon, on s’en tiendra à notre tacot. Sortir dîner ? Non… restons à la maison… et on se mettra aussi au jardinage !

* Bienvenue dans une dépression. Ce n’est pas une mauvaise chose, en fait. Simplement une période d’ajustement… une phase de réparation, de réorganisation, de réduction et de raccommodage. Il y a un temps pour tout, en ce bas monde. Là, il est temps de faire le point et de se remettre en forme.

* Mais attendez encore. On ne se sent pas en dépression. Où sont les files devant la soupe populaire ? Où sont les immigrants dans leurs carrioles ? Où est Eleanor Roosevelt ? Comment se fait-il que cette dépression n’est pas en noir et blanc ?

* Eh bien… parce que c’est une dépression du 21ème siècle. Elle est en couleurs haute définition… et elle arrive sur un monde qui est bien plus riche que le monde des années 30. En plus, on n’est qu’en 1930… et non en 1932. Donnez-lui un peu de temps.

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